Le 26 Février dernier, le président Bachar al-Assad a accueilli le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah pour un dîner à Damas. Nasrallah est un invité de routine dans la capitale, mais le calendrier de ce voyage de haut profil – juste une semaine après que les Etats-Unis aient expédiés leur sous-secrétaire d’Etat William Burns à Damas et qu’ils aient nommé leur nouvel ambassadeur pour la première fois en 5 ans – semblait calculé non seulement pour irriter Washington mais aussi pour souligner le rôle central que le Hezbollah joue dans la planification stratégique en Iran et en Syrie. En dehors du fait de servir de pivot entre Tehéran et Damas, le groupe détient également le pouvoir d’embraser le Liban mais aussi toute la région dans une autre guerre par des actions propres.
Des représailles pour promesse non tenues
Deux ans après l’assassinat du commandant militaire du Hezbollah Imad Moughniyah à Damas – qui a incité Nasrallah a déclaré une « guerre ouverte » à Israël, l’auteur présumé – le groupe n’a pas encore fini de riposter avec succès. Mais ce n’est pas faute d’avoir essayé : en 2008, deux agents du Hezbollah et plusieurs ressortissants azerbaïdjanais ont été reconnus coupables d’avoir planifié des attentats contre les ambassades américaines et israéliennes à Bakou et condamné à 15 ans de prison. La même année, les autorités turques ont déjoué jusqu’à 6 complots possibles terroristes du Hezbollah visant des Israéliens mais aussi la communauté juive locale. Des agents de renseignements iraniens auraient aidé le groupe à établir un réseau de coopérative les faisant passer pour des touristes.
Au cours d’un discours prononcé le 16 Février 2010 évoquant le martyre de Mughniyah et d’autres héros du Hezbollah, Nasrallah a rationalisé l’absence manifeste de représailles significatives : « Nos options sont ouvertes et nous avons tout le temps du monde… Nous sommes les seuls qui pouvons choisir le moment, le lieu et la cible. » Il a également déclaré que le Hezbollah n’avais pas encore trouvé une cible qui arrivait au niveau de Mughniyah.
Pendant ce temps, le groupe s’est préparé à une lutte conventionnelle contre Israël par le stockage d’armes dans le sud, en violation des résolutions du Conseil de sécurité. En Juillet 2009, par exemple, un grand dépôt d’armes qui contenait des balles, des roquettes et des obus a explosé dans le village de Khirbet Silim, à 9 miles au nord de la frontière israélienne. Trois mois plus tard, une autre cachette du Hezbollah a explosé près du village de Tayr Filsay juste au sud du fleuve Litani. On ignore si ces explosions proviennent d’une simple coïncidence ou d’actes de sabotages (probablement) israéliens.
De plus, un mois après la deuxième explosion, la marine israélienne interdit un navire transportant cinquante-cinq tonnes d’armes iraniennes au Hezbollah. Puis, en Janvier 2010, les casques bleus de l’Onu ont découvert 66O livres d’explosifs enfouis le long de la frontière israélienne, qui aurait été positionnés par les milices chiites.
Ces découvertes ne représentent qu’une fraction des armes du Hezbollah qu’il s’est procuré au cours de sa récente accumulation massive militaire. Depuis la guerre de 2006 avec Israël, on estime que le groupe a acquis 40 000 roquettes et – avec l’aide de la Syrie- qu’il aurait amélioré la qualité de son arsenal.
En plus d’augmenter la gamme de ce stock, la Syrie a eu l’opportunité de munir l’organisation d’armes russes, qui seraient capables de détruire les F-16 israéliens. Nasrallah a fait allusion à cette possibilité en Février 2009 en affirmant que : « Presque tous les jours, les rapports déclarent que la résistance a acquis… des missiles sophistiqués de défense aérienne », ajoutant pudiquement : « Bien sûr, je n’ai ni nier, ni confirmer cette hypothèse ».
Nouvelle stratégie contre Israël
Pour compléter son arsenal, le Hezbollah a récemment énoncé une nouvelle posture militaire plus agressive contre l’Israël. Depuis la guerre de 2006, des rumeurs disaient que le groupe allait franchir la frontière et « reprendre les combats en Israël » dans le prochain conflit. Durant son discours du 16 Février, Nasrallah a proposé une nouvelle vision de la parité stratégique avec Israël, si ce n’est qu’une conception avancée d’une ancienne organisation de la stratégie « d’équilibre de la terreur ».
En se moquant de l’« Iron Dome » d’Israël, le système de défense antimissile en tant que « film de science-fiction », Nasrallah a fait monter les enchères en promettant d’aller au coude à coude face à l’Israël lors de la prochaine campagne. En 2009, il avait prévenu que si Israël bombardait le fief du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrout Dahiya, le groupe aurait répliqué à Tel-Aviv. Cette fois, il est allé plus loin en déclarant que si Israël bombardait l’aéroport de Beyrouth : « Nous bombarderons l’aéroport Ben Gourion », en ajoutant à sa liste les ports, les raffineries de pétrole, les usines et les centrales électriques. Il s’est aussi vanté que le Hezbollah saurait faire face aux menaces israéliennes « non pas avec le sevrage, le refuge, ou par crainte mais avec clarté, fermeté, préparé, et avec des menaces eux aussi. »
L’image du Hezbollah a souffert au Liban malgré le succès considérable de la reconstruction d’une infrastructure militaire impressionnante sous les yeux de l’Onu. En Mai 2008, le groupe a envahi et occupé Beyrouth. Mais en Juin 2009, il n’a pas réussi à remporter la majorité aux élections parlementaires libanaises. Le même mois, l’élection présidentielle frauduleuse en Iran remet en cause la légitimité du chef du Hezbollah et sa doctrine controversée de Velayat-e faqih (gouvernance islamique), à laquelle adhère le groupe.
Encore plus inquiétant pour la structure interne du Hezbollah, le fait qu’il y ait des preuves l’impliquant dans l’assassinat en 2005 de l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Hariri, tel que le rapporte Der Spiegel en Mai 2009 et souligné par le monde le mois dernier.
Nasrallah a nié a plusieurs reprises ces histoires, mais la perception du public que la milice chiite soit impliqué dans l’assassinat du dirigeant libanais sunnite persiste. Pire, en Septembre 2009, l’un des chefs financiers du Hezbollah a fait faillite dans une chaîne de Ponzi (système d’escroquerie frauduleuse) – un scandale particulièrement dommageable, puisqu’il s’agit du même type de corruption que le groupe accuse régulièrement au gouvernement sunnite à Beyrouth de perpétrer.
Nasrallah a tenté d’atténuer l’impact de ces accusations et d’adoucir l’attitude du public envers le groupe. Dans son discours du 16 Février, par exemple, il a présenté ses condoléances à la famille Hariri le jour d’anniversaire du martyr Rafic. Et en Décembre 2009, il a prononcé un discours surréaliste en promouvant l’idée originale que ses électeurs devraient adhérer aux lois libanaises, telles que le respect des feux de circulation, en payant (par opposition à un vol) de l’eau du gouvernement et de l’électricité, en respectant les lois et codes du bâtiment civil, et de mettre fin à la contrebande qui sape les entreprises libanaises. De plus, il a souligné l’importance pour les fonctionnaires de montrer le bon exemple en réalisant leur travail.
Les efforts du Hezbollah pour améliorer son image comprennent également la publication d’un nouveau « manifeste » en Novembre 2009 et la remise à jour de sa Charte de 1985. Bien que le nouveau document ait réitéré l’hostilité de longue date du groupe envers les Etats-Unis et son engagement de « résistance », elle diffère de la version de 1985 de façon apparemment conçu pour réintégrer dans l’organisation un plus large public libanais. Par exemple, la nouvelle version a minimisé l’allégeance du Hezbollah aux dirigeants religieux de Téhéran et se concentre désormais sur sa participation au système politique libanais. De même, plutôt que de vouloir exhorter les chrétiens libanais à se convertir – comme le manifeste de 1985, elle dit : « Nous vous appelons à embrasser l’islam » – le groupe a donc adopté le langage conciliant, plus acceptable que la politique de consensus.
Conclusion:
Si le Hezbollah réussit à venger Mughniyah par substitution en trouvant une cible israélienne – que ce soit à la frontière ou à l’étranger – il pourrait déclencher une autre série de combats similaires à celui de 2006. Cette fois-ci, cependant, d’autres acteurs pourraient bien entrer dans la mêlée. Si l’on prend Damas mot pour mot, la Syrie pourrait décider de participer au conflit israélo-hezbollah dans une éventuelle prochaine guerre. C’est une évolution qui pourrait déclencher un bouleversement politique d’envergure internationale. Pour le moment, le Hezbollah garde sa poudre sèche sur ordre de Téhéran, en prévision d’une attaque israélienne contre les installations nucléaires iraniennes. Pourtant, la vengeance de Mughniyah est une priorité clé pour le groupe, et son succès ou son échec à atteindre cet objectif pourrait faire la différence entre le statut quo actuel et une guerre régionale.
Traduit par Serine Akar (serine.ak@gmail.com)