Dignité aliénée de l’esclave volontaire…

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Derrière les bouleversements que connaissent actuellement plusieurs pays du monde arabe, nous assistons au choc violent entre diverses réalités contradictoires et conflictuelles. Les soulèvements qui agitent la Syrie sont, à cet égard, les plus révélateurs.

A première vue, on pourrait dire que les peuples arabes sortent enfin de leur long coma. Mais ce printemps des peuples, ou ces révolutions, ou ces soulèvements se font sur un soubassement multiséculaire de structures sociales et anthropologiques dont la résistance au changement peut s’avérer redoutable d’efficacité. Trois images permettent de saisir ces forces enfouies sous le boisseau, et que les pouvoirs dictatoriaux connaissent à la perfection ce qui leur permet de les instrumentaliser à leur guise.

La première image est celle de ces manifestations spontanées de soutien au régime baasiste que des ouvriers syriens ont organisées à Beyrouth devant les locaux de l’ambassade de leur pays. On a entendu les slogans classiques de dévotion, de fidélité jusqu’à la mort ainsi que toute la panoplie, usée jusqu’à la corde, des acclamations creuses qui constituent le menu classique des pouvoirs totalitaires. Mais le plus surprenant fut la vision de ces ouvriers, en guenilles, prosternés front contre terre, embrassant les portrait du dictateur de Damas posé devant eux sur le sol. Leur geste de grande prosternation est en principe une attitude d’adoration que le croyant adopte comme hommage suprême à Dieu et à Dieu seul. Certes, il serait sacrilège de penser que ces pauvres bougres, qui ont fui la pauvreté dans leur pays, assimilent la personne de leur « Raïs » à Dieu. Cependant, leur geste de grande prosternation montre bel et bien le haut degré de perversion qu’un pouvoir totalitaire peut atteindre. Il suffit de lire ou de relire La Ferme des Animaux de George Orwell pour comprendre la vraie nature, non seulement du totalitarisme mais surtout de la servilité obséquieuse ou de la servitude volontaire comme l’appelle Etienne de La Boétie. Il n’y a de tyran que parce que l’homme est prêt à vendre son âme. Il n’y a de tyrannie que parce que l’homme préfère le confort de la servitude aux risques de la liberté. L’homme, à la dignité inaliénable de par sa nature, préfère souvent y renoncer ou l’ignorer afin d’offrir sa dignité en pâture aux fauves et aux prédateurs qui le terrorisent. L’homme, amnésique et aliéné par rapport à lui-même, se laisse convaincre de la réalité de cette peur sur laquelle les tyrans bâtissent leurs empires chimériques et leurs demeures infernales.

La deuxième image est plus sournoise. Elle a pour cadre les manifestations populaires spontanées de soutien au dictateur garant de l’unité nationale, de la sécurité et de l’ordre mais aussi de la concorde entre les composantes de la société. On a vu, des représentants de toutes les communautés religieuses de Syrie, se tenant par la main et saluant les foules en témoignage, non d’amour mutuel, mais de serment d’allégeance du dhimmi à l’égard du Sultan. Les ouvriers syriens en guenilles manifestent à Beyrouth afin de se concilier les bonnes grâces des barbouses et d’éviter tout ennui à leurs familles au pays. Quant aux prélats multicolores, c’est au nom de l’Identitaire qu’ils oublient volontairement que leur rôle premier est d’être une conscience morale au service de la personne humaine et non au service d’un pouvoir ennemi des libertés.

La troisième image se passe de commentaires car elle est hors du temps. Elle échappe à toute appréhension par les outils de la raison et se situe en marge de toute analyse. Elle exprime l’apothéose même du processus d’aliénation à soi, de l’oubli volontaire de soi. Cette image pathétique, révoltante d’obscénité, est celle des parlementaires syriens applaudissant et acclamant en bon ordre, comme des élèves du primaire, le dictateur au moment où il prononçait son discours. Le spectacle a dépassé de loin tout ce que George Orwell avait imaginé dans ses fables.

A cela on pourrait ajouter le peu glorieux spectacle des politiciens libanais qui font antichambre chez le dictateur de Damas ainsi que de certains citoyens libanais ordinaires qui chantent sa gloire, non parce qu’ils sont convaincus de ses vertus, mais au nom de la haine que leur obsession identitaire leur fait éprouver à l’égard de leurs propres concitoyens.

Quelle différence peut-il exister entre les ouvriers affamés se prosternant en un geste d’adoration devant le portrait du Dr Bachar, les prélats hauts en couleur jurant serment d’union sacrée en faveur du Dr Bachar et les représentants du peuple syrien applaudissant sagement, sous la coupole du parlement, leur idole le Dr Bachar ? Ces trois images, ainsi que celle des inconditionnels libanais du Dr Bachar, sont absolument identiques quant à leur nature. Elles représentent les visages multiples de l’esclave volontaire qui a peur de décider par lui-même.

1 Commentaire
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MAD
MAD
13 années il y a

un nomade de Syrien
merci Monsieur pour ces mots justes
j’espère qu’un grand nombre de français libres puissent vous lire, et se rendre compte du terrible sort qui nous est réservé, nous Syriens, depuis presque 50 ans…..
merci encore

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