En remportant une belle victoire militaire contre les bandes de l’État islamique sur l’Anti-Liban, l’armée libanaise vient probablement de sauver, in extremis, l’entité politique libanaise dans les frontières qui sont les siennes depuis ce 1er septembre 1920 où le général Gouraud, au nom de la puissance mandataire française, a proclamé l’État du Grand Liban. Il y a lieu de saluer à sa juste mesure l’exploit des militaires libanais qui ont su gérer cette question avec courage, sagesse, souplesse, tact et grande fermeté. L’état-major libanais ne s’est pas laissé emporter par l’exaltation guerrière désordonnée et s’est abstenu de collaborer activement aux combats menés conjointement par l’armée du régime syrien et le Hezbollah contre les opposants au président syrien, qualifiés de terroristes takfiristes et daechistes, afin de ne pas s’embourber dans la guerre interne de Syrie.
L’histoire retiendra le sens de la discipline dont a fait preuve l’armée ainsi que son souci d’épargner les civils à Ersal, libanais et syriens réfugiés, comme ce fut le cas lors des combats de Nahr el-Bared en mai 2007 contre l’officine qui ne s’appelait pas l’État islamique ou al-Nosra, mais Fateh el-Islam. On se demande toujours comment Chaker el-Absi, le chef de bande de l’époque, échappa à la justice libanaise et fut exfiltré, comme par magie, vers le territoire syrien. Sur l’Anti-Liban, l’armée libanaise fut privée de sa victoire finale car, et toujours comme par magie, le régime syrien et le Hezbollah négocièrent (avec qui ? ?) l’exfiltration confortable des membres de Daech, avec armes et bagages, vers Raqqa à l’extrémité orientale de la Syrie.
Le Premier ministre Saad Hariri déclara lors de sa visite en France que le président Michel Aoun et lui-même avaient donné l’ordre d’évacuation des effectifs de Daech sans expliquer le pourquoi politique de cette mesure. En principe, il y aurait là comme une entrave à la justice car on aurait soustrait au pouvoir judiciaire, pour raison d’État, des criminels ayant porté atteinte à la sécurité de ce dernier. Face à la détermination des militaires libanais, force est de constater l’extrême faiblesse des instances politiques. Un seul terme conviendrait pour décrire une telle situation : délitement ou déliquescence de l’État, c’est-à-dire dilution, désagrégation, décomposition, fragmentation, morcellement, pourrissement et ruine.
Afin de masquer, sans doute, les peu glorieuses tractations qui aboutirent à l’exfiltration des terroristes, on s’en prend à ce que le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a appelé « hésitation de l’armée » en 2014, et ce en vue de justifier l’intervention unilatérale du Hezbollah afin de pallier, selon lui, aux insuffisances hésitantes de la troupe. L’histoire jugera si l’opinion du ministre est fondée ou non.
Mais la déliquescence est dans tous les domaines. Une loi est votée portant sur la grille des salaires. Profondément injuste, elle viole le principe absolu de l’égalité de tous les citoyens face à la loi. Elle discrimine entre les employés du privé et du public. Elle impose de manière injuste certaines catégories et en épargne d’autres. De plus, elle ne se préoccupe nullement de son cadre budgétaire, vu l’impossibilité de faire voter une loi de finances tant que le quitus n’a pas été accordé à la gestion du gouvernement de Fouad Siniora qui fut politiquement contraint, à l’époque, de procéder à des dépenses courantes hors budget.
Des détenus sont libérés de prison dans le cadre des négociations menées par le Hezbollah avec l’ex-Front al-Nosra. Aucun juge n’a, en principe, ordonné leur relaxation. Une loi électorale, à peine laborieusement votée, s’avère n’être du goût de personne à tel point qu’il est aujourd’hui quasi certain que les législatives de 2018 n’auront pas lieu.
Dès lors, il n’y a pas lieu de s’étonner du récent discours de Samir Geagea. D’un côté il affirme avec fougue et rigueur, contre le Hezbollah, les principes intangibles de la souveraineté du Liban. De l’autre, il proclame son attachement sans faille à l’alliance de son parti (Forces libanaises) avec le Courant patriotique libre, allié indéfectible du Hezbollah et qui accepte invariablement son diktat.
Déliquescence est encore un mot d’une exquise douceur pour décrire la situation du grand malade qu’est l’État libanais.
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* Beyrouth