Entretien avec Kemal Dervis, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement
L’objectif du Millénaire de réduire de moitié la pauvreté dans le monde d’ici 2015 semble hors d’atteinte, si l’on en croit le rapport publié par l’ONU, le 2 juillet. Qu’en pense l’administrateur du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) que vous êtes depuis deux ans ?
Depuis le tournant de ce siècle, la mondialisation vaut à l’espèce humaine une convergence remarquable, car l’Asie et l’Amérique latine rattrapent les pays riches grâce aux progrès extraordinaires qu’elles réalisent en matière de développement économique et social. Pourtant nous constatons qu’elle creuse un écart insupportable, car certains pays, et notamment en Afrique subsaharienne, n’avancent pas ou, pire, reculent. Cet écart a été mesuré : le revenu moyen par tête des dix pays les plus riches du monde était trois fois plus élevé que celui des dix pays les plus pauvres, en 1820. Aujourd’hui, il est cinquante fois plus élevé. Les causes de ce décrochage sont connues : le sida en Afrique australe et la guerre civile en Somalie ou au Soudan.
De quoi ont besoin ces pays pour éviter que ce fossé ne se creuse ?
D’une aide efficace, c’est-à-dire qui ne soit pas attribuée pour des raisons politiques comme les Etats-Unis l’ont fait, par exemple, au Nicaragua et l’Europe au Zaïre, au temps de la guerre froide.
L’Union européenne a su aider généreusement le Portugal et la Hongrie à rattraper le reste de l’Europe de l’Ouest. C’est de ce type d’aide aux infrastructures, à l’éducation, à la santé dont ont besoin les pays les plus démunis.
Mes prédécesseurs ont fait un remarquable travail de mobilisation des consciences et l’aide au développement qui avait atteint un point bas au milieu des années 1990 a été mise à la « une » des G8 et figure parmi les priorités de l’Union européenne. Mais le développement est un phénomène de long terme et nous avons du mal à prolonger l’enthousiasme et à le traduire en actes.
Certes, les pays nordiques, les Pays-Bas ou l’Espagne tiennent bon, mais nous ne sommes pas du tout sûrs que l’ensemble des pays développés consacreront 0,7 % de leur produit intérieur brut (PIB) à l’aide en 2015, comme ils l’ont promis.
Pourquoi avez-vous plusieurs fois demandé que les budgets militaires décroissent au profit de ceux de l’aide ?
Le monde dépense grosso modo, chaque année, 90 milliards d’euros pour l’aide au développement et 900 milliards pour ses armements. Cela n’a pas de sens, même dans une optique sécuritaire.
Aujourd’hui, vous pouvez rajouter des avions de combat et des missiles, vous ne combattrez pas les vrais fléaux de l’humanité que sont le terrorisme, les pandémies et le réchauffement climatique. L’aide est infiniment plus efficace que des chars, mais elle suppose que l’on sorte des conservatismes budgétaires qui reconduisent d’année en année les mêmes dépenses en faveur d’armées régulières inadaptées dans le monde actuel. Je sais de quoi je parle : j’ai été ministre des finances de mon pays, la Turquie.
N’avez-vous pas l’impression de prêcher dans le désert ?
Il faut bien commencer à en parler !
Quel type d’action conduit le PNUD pour favoriser le développement ?
Le plan stratégique que nous adopterons en septembre prévoit de privilégier, bien sûr, la lutte contre la pauvreté, mais aussi la promotion de la gouvernance démocratique, la prévention et le traitement des conflits, l’énergie et l’environnement. Voici quelques exemples de notre action : le gouvernement de Nairobi nous a demandé de l’aider à réformer son administration, afin de faire de l’Etat kenyan un levier pour le développement. Car, pour être pérenne, celui-ci demande la création d’institutions adaptées et la formation d’hommes qui les feront vivre.
Deuxième exemple, au Liberia et au Congo-Brazzaville, nous recherchons, nous ramassons et nous détruisons les armes légères après la fin des conflits. Mais il faut aussi se préoccuper de ceux qui les portent et nous trouvons un emploi aux jeunes combattants, en partenariat avec la Suisse.
Troisième exemple, nous avons contribué à rendre possibles, en 2006, les élections en République démocratique du Congo (RDC), avec le concours de l’Union européenne. La RDC a pu se doter d’un président et d’une opposition dans des conditions difficiles, mais acceptables.
La lutte contre le réchauffement climatique n’est-elle pas vécue par les pays pauvres comme un fardeau imposé par les pays du Nord ?
Le gaz carbonique que l’on émet à Istanbul, à Paris et à Pékin a le même effet sur le climat. Le traitement du réchauffement suppose une coopération internationale forte au sein de laquelle les coûts et les avantages seront équitablement partagés.
Les pays riches doivent reconnaître qu’ils ont créé le problème et que 70 % des gaz à effet de serre déjà émis l’ont été par eux. Comme il est impossible de trouver la parade sans la participation des grands pays émergents, comme la Chine ou l’Inde, et qu’il n’est pas question de nuire à une croissance qui est vitale pour eux, les pays du Nord devront aussi transférer leurs technologies propres vers les pays du Sud. Notre monde est contraint à un compromis historique.
Propos recueillis par Alain Faujas
LE MONDE