Notre métier de journaliste suppose qu’on ne parle pas trop des trains qui arrivent à l’heure, mais plutôt de ceux qui déraillent. Le spécialiste du Moyen-Orient ne manque pas de copie lorsqu’il s’agit de décrire les catastrophes humaines qui s’accumulent, les horizons qui se noircissent et les voitures piégées qui explosent avec une redoutable efficacité. Mais, à côté de ce triste bilan, il y a aussi tout ce qui tient le coup, depuis que les épreuves se sont accumulées avec le début du XXIe siècle : ces États, pourtant faibles, qui sont demeurés debout, ces coalitions parfois difficiles qui ont pu se monter contre l’irréparable et, surtout, ces hommes de modération et de vision véritable, c’est-à-dire non apocalyptique, qui n’ont pas cessé d’influencer pour le mieux le cours des choses. Ensemble, ces forces commencent maintenant à se rassembler pour former une sorte « d’axe du bien » dont l’effet pourrait bien porter de grands bénéfices d’ici à quelque temps.
Nous allons essayer d’énumérer, dans leur ordre d’apparition chronologique, ces différents cercles vertueux qui peu à peu se sont mis en place au Moyen-Orient :
1. – La Jordanie et son roi Abdallah II. Personne n’y pense, mais le royaume de Jordanie était singulièrement affaibli en l’an 2000 par le déclenchement d’une intifada des mosquées palestiniennes dont sa population était évidemment solidaire et par la vigilance hostile que lui vouait Saddam Hussein de manière explicite et les forces les plus islamistes du pouvoir saoudien, plus discrètement. Sans se faire voir, ni rompre avec quiconque, la monarchie jordanienne est parvenue à maintenir ses liens avec Israël, à conforter les modérés au sein du Fatah, à établir des relations plus confiantes avec la nouvelle Syrie de Bachar Assad et à contenir les impatiences initiales de l’Arabie saoudite jusqu’à ce que l’avènement du roi Abdallah Ier, à Riyad, n’introduise une subite détente. La remarquable police jordanienne était parvenue à déjouer un terrible attentat d’al-Qaida, les forces armées jordaniennes ont entraîné leurs homologues saoudiens au maintien de l’ordre sans usage d’armes à feu, les conseillers militaires jordaniens continuent d’être présents en force dans les Émirats ainsi qu’à Oman. Le boom économique d’Oman donne à la capitale du royaume une partie du rôle autrefois dévolu à Beyrouth.
2. – L’émergence d’un nouveau pouvoir chiite à Bagdad en 2003. Même si les Américains se sont entièrement trompés en imaginant que ce pouvoir resterait indépendant de la théocratie de Téhéran, il n’en demeure pas moins que les gouvernements irakiens successifs, dont l’actuel, représentent par rapport à ceux de Téhéran un glissement très net vers la modération et le dialogue avec l’Occident. Or, des personnalités comme le grand ayatollah Sistani exercent un ascendant certain sur les grands dignitaires iraniens et renforcent par conséquent, à Téhéran, le camp du pragmatisme et de la modération. Si les chiites ont été incapables d’enrayer la guerre de religion que leur mènent les intégristes sunnites soutenus par al-Qaida, ils n’en sont pas moins indélogeables de 60 % du territoire irakien, et les efforts de déstabilisation menés par le clan intégriste iranien d’Ahmadinejad, relayés sur le terrain par Moqtada Sadr, sont demeurés pour l’instant en échec.
3. – Suite à l’implosion du régime baasiste à Bagdad, le régime de Damas s’est fortement divisé et son chef apparent, Bachar el-Assad, a accepté d’évacuer le Liban, tandis que son opposition interne y menait vainement une campagne de terreur. Il en est résulté la constitution de plus en plus solide d’une nouvelle identité libanaise qui abolit concrètement les terribles souvenirs de la guerre civile des années 1970-1980. Derrière la réconciliation profonde des chrétiens et des Druzes, une élite sunnite à présent tournée vers la Jordanie et la Turquie est apparue avec un leader de grand talent, Fouad Siniora, dont le courage et le sang-froid ont été amplement démontrés face au chantage des ultrasyriens. L’impact de l’offensive israélienne comme du pragmatisme irako-iranien commence même à diffuser dans la communauté chiite qui, de manière très remarquable, s’est abstenue de tout soutien à Damas depuis des semaines.
4. – Un second Fouad Siniora est apparu en la personne de Mahmoud Abbas, dont l’emprise sur la Cisjordanie paraît très solide, grâce, notamment, à l’aide que lui apportent services secrets israéliens et jordaniens.
5. – La politique anti-intégriste du roi Abdallah d’Arabie saoudite conduit le royaume à un début de dialogue avec Téhéran, lequel affaiblit encore le camp intégriste en Iran. S’il n’était les préoccupations très grandes que donne l’état général de l’Égypte, on pourrait dire que l’autoenfermement du Hamas dans la bande de Gaza, couplé à des violences et des exactions très significatives et accompagné d’une rupture de facto avec le Hezbollah libanais, serait la meilleure nouvelle intervenue dans la région depuis plusieurs années. Mais malheureusement au Moyen-Orient les vents favorables ne sont jamais seuls : la dramatique situation matérielle de Gaza et le renforcement du rôle des Frères musulmans égyptiens comme intermédiaires obligés auprès du Hamas, eux, n’entrent pas dans notre schéma de cercle vertueux de l’« axe du bien ».
«« Un second Fouad Siniora est apparu en la personne de Mahmoud Abbas, dont l’emprise sur la Cisjordanie paraît très solide »»
Le Figaro
Construire l’axe du bien
L’impact de l’offensive israélienne a surtout touché l’establishment en Israel.
Je constate par contre que ce séisme a renforcé l’identification tribale de certains journalistes (içi Adler) censés être cartésiens.