La grossesse aura duré longtemps, presque dix ans. L’accouchement aura été particulièrement laborieux mais n’a pas imposé une césarienne. On voit déjà poindre la tête de l’enfant qui, en principe, est attendu de sortir à l’air libre dimanche prochain 28 juin lors de la première assemblée constituante de ce rassemblement des indépendants du 14-Mars qui procèdera, selon les normes démocratiques, à l’élection d’un comité exécutif et de son président ainsi que de la mise en place, progressive, de commissions et de leurs membres.
Beaucoup d’encre coulera pour critiquer cette nouvelle entité ou encore pour déconstruire le discours qui la fonde ou, tout simplement, se poser des questions légitimes quant à sa nature, son identité, sa finalité ainsi que son rôle dans la vie publique libanaise et sa fonction symbolique au Liban et hors de ses frontières.
Certains disent qu’il s’agit d’un rassemblement d’électrons libres, c’est-à-dire de citoyens non liés par une discipline de parti. Les partis politiques de la coalition du 14 Mars seront présents à cette assemblée constituante mais à titre d’observateurs. Ils ne délibèrent pas, ils ne participent pas au vote. C’est le Secrétariat Général de la coalition du 14 Mars qui assure la logistique. A partir du dimanche 28 juin, le Conseil National sera une entité tout à fait indépendante du secrétariat, sauf en matière de coordination avec les autres composantes de la coalition. Le Conseil National ne sera donc pas un super-secrétariat général qui se substituerait à lui dans les tâches qui sont les siennes.
Si on considère les composantes actuelles du 14Mars, on réalise aisément qu’il s’agit d’une mosaïque ou d’une fédération de partis et de mouvements dont la plupart ont une identité confessionnelle bien précise, ce qui est contraire à l’esprit du mouvement 14-Mars. Le Conseil National des Indépendants, quant à lui, ne sera pas hypothéqué par l’appartenance confessionnelle. Il est, par nature, le reflet de ces citoyens libanais qui, depuis 2005, se sont régulièrement retrouvés, par centaines de milliers, et ont renouvelé, à chaque fois, la grande réconciliation du peuple libanais avec lui-même. On oublie souvent que la réconciliation a déjà eu lieu. L’émergence du Conseil National dans le paysage politique est là pour le rappeler.
Est-ce que les subtils équilibres communautaires seront-ils respectés au sein de cette structure. En principe non, car il s’agit, par définition, d’un mouvement transcommunautaire. L’image symbolique est forte car elle montre au monde entier la résilience du peuple libanais en matière de coexistence mais, surtout, en matière de vivre-ensemble dans les turbulences de l’Orient. Si la coexistence suppose la juxtaposition de groupes divers, le vivre-ensemble implique une vision centrée sur l’individu-citoyen, ses libertés et ses droits fondamentaux. Au sein d’un monde arabe emporté par les violences des conflits sectaires et des dictatures, le Liban donne ainsi l’image de sa capacité à répondre pacifiquement aux défis actuels en mettant en place une plateforme commune où la valeur première est celle de chacun à titre personnel. Cependant, il serait faux de croire qu’un tel rassemblement est une sorte de fédération d’individus unis. La vision qui prévaut est celle d’une pensée moderne évoluant vers une forme d’état séculier (al-dawla al-madaniyya) qui protège les droits de tout un chacun tout en donnant des garanties à tous les groupes qui, à travers l’histoire, ont contribué à construire le patrimoine spirituel et culturel libanais.
La meilleure définition qu’on pourrait trouver à ce mouvement, c’est qu’il s’agit là d’une initiative citoyenne qui ne prétend pas être incolore inodore et sans saveur même si, à moyen terme, la neutralité du Liban puisse être un objectif. Aujourd’hui, tout le monde est dans l’impasse. Un camp s’effondre, l’autre camp ne parvient pas à marquer une victoire. L’ensemble du Moyen Orient semble être la proie des flammes. Les scénarios les plus fantaisistes et les plus catastrophistes sont quotidiennement jetés en pâture à une opinion publique désemparée et en plein désarroi.
Et pourtant, en dépit de son état d’extrême affaiblissement, l’Etat libanais n’est pas encore mort et la société libanaise possède encore des atouts majeurs. Elle demeure en mesure d’élaborer un modèle de vivre-ensemble tout en protégeant les libertés de tout un chacun.
L’image qui pourrait se cristalliser dès dimanche prochain, 28 juin, serait celle d’un Liban-oasis au milieu des déserts brûlants de l’Orient. L’oasis est source de vie, d’eaux fraîches et d’échanges. L’oasis est un havre de culture, de créativité et de dialogue. Tel est le défi que ces citoyens ont décidé de relever. Tel est le dénominateur commun de ces indépendants qui ont décidé de s’engager dans l’aventure du vivre-en-paix et du vivre-en-liberté, c’est-à-dire « tous ensemble ».
Rédigé en ce jeudi 25 juin 2015
Publié dans L’Orient-Le Jour le vendredi 26 juin 2015