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A 97 ans, le petit-fils d’Alfred Dreyfus, Charles, défend sans relâche l’honneur de son aïeul, aux côtés de son fils, Michel, alors que s’ouvre l’exposition « Alfred Dreyfus. Vérité et justice » consacrée à l’affaire au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris.
Dans son appartement de Boulogne-Billancourt, près de Paris, Charles Dreyfus conserve de nombreux souvenirs. Sa bibliothèque bilingue raconte la première partie de sa vie aux Etats-Unis, avec son père, Pierre Dreyfus, et sa mère, Marie Baur, tous deux juifs ayant fui la guerre pour New York en 1942. Au mur, une magnifique photo de la ville-monde attire le regard et l’homme de 97 ans, toujours droit dans son costume brun, sourit en la regardant.
« J’ai beaucoup aimé New York, où je suis arrivé pendant la guerre et où j’ai fait en partie mes études d’ingénieur, et, si ma femme pianiste n’avait pas voulu venir en France dans les années 1960, j’y serais encore », raconte Charles Dreyfus, qui défend sans relâche l’honneur de son grand-père Alfred Dreyfus, auquel le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (MAHJ), à Paris, consacre une grande exposition du 13 mars jusqu’au 31 août.
Il sait que son nom de famille résonne comme un coup de clairon tant l’Affaire est un moment-clé de l’histoire de France. Victime d’une machination et injustement condamné pour haute trahison au profit de l’Allemagne en 1894, le capitaine Alfred Dreyfus a été dégradé et déporté au bagne en Guyane sur l’île du Diable, pendant cinq ans. L’Affaire divisa la société française en deux camps suscitant de violentes polémiques nationalistes et antisémites. Il sera finalement réhabilité en 1906.
« Cette nouvelle injustice est une meurtrissure »
« Il est mort [en 1935] quand j’avais 8 ans, je me souviens d’un homme doux et chaleureux, évoque Charles Dreyfus, qui allait souvent rendre visite à ses grands-parents, près de la place des Ternes, à Paris. On le décrit comme abîmé physiquement par l’île du Diable, mais il avait une santé robuste pour y avoir survécu. Ce n’était pas quelqu’un d’ordinaire et son incroyable capacité d’abstraction l’a sauvé de la folie. Il était capable de se réciter du Montaigne ou d’étudier le fonctionnement de l’estomac quand il était enfermé. » Il a mieux connu sa grand-mère Lucie, morte en 1945. « Elle s’est cachée pendant la guerre dans un couvent du sud de la France et est morte juste après. »
Aujourd’hui, son fils, Michel Dreyfus, l’accompagne sur les chemins de la mémoire familiale. « L’Affaire est l’affaire de tous dans la famille et chacun à un moment donné y est confronté, explique Michel Dreyfus, psychiatre. Parler de blessure serait peut-être un peu fort, mais justice n’a pas été pleinement rendue à Alfred puisque la réhabilitation civile de 1906 n’a pas été suivie d’une complète réhabilitation militaire telle qu’il la méritait, raison pour laquelle il se met en retraite de l’armée en 1907. Cette nouvelle injustice est une meurtrissure qui continue de marquer notre famille. »
Michel Dreyfus accompagne son père dans les nombreux événements auxquels il est invité. Car l’Affaire continue d’intéresser, voire de passionner. L’historien et commissaire de l’exposition au MAHJ Philippe Oriol, qui a créé et dirige le Musée Dreyfus, installé à côté de la maison d’Emile Zola, à Médan, dans les Yvelines, en témoigne. « Je suis né dans une famille de dreyfusards et, si l’Affaire a marqué la famille de Dreyfus, elle a imprégné aussi celles des défenseurs du capitaine, raconte ce grand spécialiste de l’Affaire. J’ai consacré quarante ans de ma vie à cette histoire folle et Charles incarne pour moi une continuité avec le capitaine, dont il partage l’humilité, l’intelligence, une forme de révolte contre l’injustice et quelque chose dans le regard qui fait que les deux personnages se confondent un peu pour moi. »
« Un beau film, mais Alfred est mal incarné »
Pas un film ou un livre qui ne sorte sur le capitaine sans que son petit-fils n’y jette un œil. « Roman Polanski a reçu plusieurs lettres de mon père et ils se sont rencontrés », s’amuse Michel. De ce J’accuse sorti en 2019, les Dreyfus ne pensent pas grand bien. « C’est un beau film, mais, une fois encore, Alfred est mal incarné et le récit de l’Affaire comporte des inexactitudes », regrette Charles Dreyfus.
Le directeur du Musée d’art et d’histoire du judaïsme, Paul Salmona, qui a imaginé cette grande exposition, veut corriger une bonne fois pour toutes l’image erronée d’Alfred Dreyfus : « L’homme est considéré par beaucoup comme un grand bourgeois distant et falot, n’ayant rien compris à l’Affaire. C’est cela que nous voulons corriger avec le travail de l’historien Vincent Duclert, auteur notamment, en 2006, de Alfred Dreyfus. L’honneur d’un patriote, chez Fayard, et du directeur scientifique de la Maison Zola-Musée Dreyfus, Philippe Oriol. Rappeler que l’Affaire illustre le combat contre l’antisémitisme pour faire triompher la vérité et, à travers elle, la République. » Ce combat lui semble aujourd’hui plus que jamais contemporain.