Il était temps, mais c’est trop tard, diront de vipérines langues. Le Patriarche monte enfin au créneau et d’une seule petite phrase assassine, il efface de longs mois d’incertitude. Mar Nasrallah Boutros Sfeir a définitivement choisi son camp. Finie la valse-hésitation, finie l’obligation de réserve et au diable la circonspection, l’heure est au combat frontal et sans merci, car l’enjeu est de taille. Il y va tout simplement de l’avenir du Liban.
« Une victoire du 8 Mars aux prochaines élections législatives aura de lourdes conséquences sur le plan historique national ». Le coup de semonce est tombé, brutal et dévastateur. Les Généraux sur le retour et les chefs de clan analphabètes sont avertis, le Prélat se dresse désormais pour leur barrer la route et pour les empêcher de sacrifier le Liban sur l’autel de leurs ambitions perverses. Ils peuvent s’amuser à contester son autorité, continuer à l’humilier et à nourrir l’espoir fallacieux de le détrôner, rien n’y fera, il sera toujours à l’affût pour déjouer leurs complots et dénoncer leurs impostures.
Le chef de l’Église maronite revient de loin. Il bat aujourd’hui sa coulpe pour les erreurs stratégiques qu’il avait commises et qui avaient à des moments clés empêché la « révolution du cèdre » de remporter une victoire écrasante sur les orphelins du régime de tutelle. En interdisant l’éviction de l’homme lige de Damas, en refusant l’élection d’un nouveau Président à la majorité absolue et en se laissant manipuler par le pantin Kouchner, il avait permis au camp qu’il cherche à combattre aujourd’hui de resserrer ses rangs, de préparer la contre-offensive et de remporter des victoires décisives.
Ses tergiversations étaient d’autant plus incompréhensibles que les évêques maronites, sous sa houlette, n’avaient jamais manqué de clarté ni de détermination chaque fois qu’il s’était agi de définir le « bon choix » pour leurs ouailles et pour les Libanais en général. Aujourd’hui, il prend enfin la mesure du danger. La bataille qui se profile à l’horizon est d’autant plus cruciale qu’elle se déroule essentiellement en « pays » chrétien. Aussi, pour le chantre ès qualités du souverainisme libanais, renoncer aujourd’hui et au moment des choix fondamentaux à assumer son rôle aurait été tout simplement impardonnable, sinon criminel. Il se réveille un peu tardivement peut-être, mais mieux vaut tard que jamais.
Ses pourfendeurs le croyaient à jamais terrassé. Ils voient aujourd’hui surgir face à eux un Prélat de combat qui, à 89 ans, n’hésite pas à croiser le fer. Le Général Iznogoud qui n’a pas eu honte de se faire proclamer sauveur des Chrétiens et qui s’était laissé griser par le bruit de ses propres criailleries, sait désormais de quel bois se chauffent les vrais Patriarches.
Un autre Général, devenu Président faute de mieux, doit aussi se sentir interpellé. Ses simagrées « consensuelles » et ses sursauts de fierté qui ne durent que le temps d’une couverture télévisuelle commencent sérieusement à lasser. Tout le monde se met en quatre pour lui offrir un « bloc centriste » taillé sur mesure et lui se sent permis de faire du chichi. Un jour, je veux, un autre, je ne veux pas. Il faut bien qu’il se décide un jour, nom d’une pipe !
Pour clouer le bec à ceux qui lui contesteraient le droit d’intervenir dans une bataille aussi cruciale, le vaillant Cardinal s’est contenté d’une phrase toute tautologique: « Bkerké a le devoir de dire ce qu’il faut dire ». Chauffe, Mar Nasrallah, chauffe !
* Chauffe Marcel ! (Vas-y, donne-toi à fond !). C’est le cri qu’a poussé un jour Jacques Brel lors d’un enregistrement en studio pour encourager Marcel Azzola à improviser, à faire « de la dentelle » sur son accordéon.