DEVANT la répression, la Confrérie doit faire face à ses dilemmes d’autrefois : alors que la vieille garde réaffirme son principe de non-violence, une frange de ses membres choisit la résistance armée.
Un visage encadré d’un voile blanc, des lunettes de soleil qui glissent sur son nez perlé de sueur, Fatma* souffle à l’énoncé de la question : « Connaissez-vous des Frères ayant choisi la lutte armée ? » « On en connaît tous, mais ils ne l’admettront jamais, ils ont trop à perdre », lâche-t-elle. À ses côtés, Ibrahim tend son téléphone où apparaît le selfie de deux jeunes hommes. 17 et 18 ans. Des voisins. Bras dessus, bras dessous, ils ressemblent à de banals ados. « Ils ont été tués. On les soupçonnait depuis un moment de participer à des actions violentes. C’est aussi une réalité, on a des militants extrêmes dans nos rangs. »
Depuis décembre 2015, la Confrérie est officiellement placée sur la liste des organisations terroristes par l’Égypte. Une accusation portée de longue date par le régime et les anti-islamistes face à un groupe qui a toujours eu un rapport ambigu à la lutte armée. « L’utilisation de la violence par les Frères est une caractéristique clé de la réévaluation forcée de leurs méthodes dans le nouveau contexte égyptien », note Mokhtar Awad, spécialiste de l’extrémisme à la George Washington University. Le chercheur rappelle que « le groupe avait abandonné la violence dans les années 1970 car elle était devenue non nécessaire. Mais si celle-ci n’est pas centrale chez les Frères musulmans qui privilégient une stratégie sociale et politique, le groupe n’a jamais été totalement pacifiste non plus. »
Si les leaders historiques s’en tiennent à un discours de résistance pacifique, les soupçons d’une scission au sein des Frères ont été confirmés avec les prises de positions de Mohammed Mountasser, nouveau porte-parole de la « jeunesse Frère ». Si les communiqués publiés par Mohammed Mountasser n’appellent pas directement à la violence, ses « incitations à la résistance » élusives constituent un changement de discours important. L’encouragement à célébrer l’appel de Kenana – appelant ouvertement à la violence contre l’État égyptien – par la nouvelle forte tête de la Confrérie a même forcé Mohammed Ghozlan, porte-parole du leadership traditionnel, à rejeter publiquement cette position.
Pour les spécialistes, ces éléments prouvent qu’au moins une faction de la Confrérie se laisse tenter par cette approche de la résistance « avec des éléments probants prouvant leur attache à des groupes terroristes actifs tels que Hasm ou Liwa al-Thawra », note Ahmed Youssef, analyste pour le Cairo Institute for Human Rights Studies.
Il est pourtant trompeur d’imaginer que la minorité de Frères musulmans tentés par la lutte armée rejoigne en masse les rangs de l’État islamique. Ils sont plus enclins à ouvrir de nouveaux fronts dans la capitale et ses environs menés par ce qu’ils appellent des « comités d’opérations spéciales » et à chercher une aide logistique extérieure, notamment auprès des brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas à Gaza. Si ces groupes sont d’ailleurs présentés comme des émanations des Frères, rien ne prouve qu’ils en soient le bras armé pur. Ils sont plus probablement un mélange d’anciens Frères, de salafistes révolutionnaires mais aussi de militants non affiliés qui agissent par pure vengeance. Mais cet extrémisme n’en est pas moins inquiétant, met en garde Mokhtar Awad : « Ils sont bien moins meurtriers que l’État islamique mais ont la capacité de mobiliser en puisant dans le réservoir important de la jeunesse islamiste en colère. »■