En se basant sur des sondages, deux chercheurs de Princeton montrent qu’avant la guerre, les dirigeants de Gaza étaient profondément impopulaires chez les Gazaouis. Mais, avertissent-ils, la répression israélienne pourrait changer la donne.
Sondages de fin septembre à l’appui, deux chercheurs de Princeton montrent qu’au lieu de soutenir le Hamas, la plupart des Gazaouis ont été frustrés par la gouvernance inefficace du groupe armé, alors qu’ils endurent des difficultés économiques extrêmes. La plupart d’entre eux ne se ralliaient pas non plus à l’idéologie du Hamas. Contrairement au Hamas, dont l’objectif est de détruire l’État israélien, la majorité des personnes interrogées est favorable à une solution à deux États, avec une Palestine indépendante et un État d’Israël coexistant. En tout cas à la veille du 7 octobre.
Ces chercheurs – Amaney A. Jamal cofondatrice du Baromètre arabe, un réseau de recherche sur le Moyen-Orient et doyenne de l’Ecole des affaires publiques de Princeton et Michael Robbins directeur et co-chercheur principal du Baromètre arabe – ont publié, le 26 octobre, leurs résultats dans la revue Foreign Affairs. Leur constat : » Certains hauts responsables israéliens, invoquant le succès du Hamas aux élections parlementaires palestiniennes de 2006, ont en fait déclaré que tous les habitants de Gaza faisaient partie de l’infrastructure terroriste du Hamas et étaient complices des atrocités commises par le groupe, et qu’ils étaient donc des cibles légitimes des représailles israéliennes. »
Or, pointent les experts, « l’argument selon lequel l’ensemble de la population de Gaza peut être tenue pour responsable des actions du Hamas est rapidement discrédité lorsqu’on examine les faits. » Le Baromètre arabe a mené une enquête à Gaza et en Cisjordanie, fin septembre, quelques jours seulement avant que la guerre entre Israël et le Hamas n’éclate. Elle révèle que « qu’au lieu de soutenir le Hamas, la grande majorité des habitants de Gaza a été frustrée par la gouvernance inefficace du groupe armé alors qu’ils endurent des difficultés économiques extrêmes. La plupart des habitants de Gaza ne se ralliaient pas non plus à l’idéologie du Hamas, dont l’objectif est de détruire l’État israélien. La majorité des personnes interrogées sont favorables à une solution à deux États, avec une Palestine indépendante et un État d’Israël coexistant. »
Dans le détail, l’enquête du Baromètre arabe, menée en partenariat avec le Palestinian Center for Policy and Survey Research, montre que les habitants de Gaza ont très peu confiance dans leur gouvernement dirigé par le Hamas. « Une majorité de sondés (44 %) ont affirmé qu’ils n’avaient pas du tout confiance et 23 % pas beaucoup de confiance. Seuls 29 % des habitants de Gaza ont exprimé une grande ou une assez grande confiance dans leur gouvernement. En outre, 72 % ont déclaré que la corruption dans les institutions gouvernementales était importante (34 %) ou moyenne (38 %), et une minorité seulement a estimé que le gouvernement prenait des mesures significatives pour s’attaquer au problème. »
Gaza favorable à un changement politique
Plus frappant, encore, lorsqu’on leur a demandé pour qui ils voteraient si des élections présidentielles étaient organisées à Gaza et que le scrutin mettait en lice Ismaïl Haniyeh, le chef du Hamas, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, et Marwan Barghouti, un membre emprisonné du comité central du Fatah, le parti dirigé par Abbas, les Gazaouis révèlent leur défiance vis-à-vis du chef du Hamas. Seuls 24 % d’entre eux voteraient pour Haniyeh. C’est Marwan Barghouti qui arriverait en tête (32 %), Abbas recevant à peine 12 % des suffrages. 30 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles s’abstiendraient. Bref, concluent les auteurs, une forte proportion de Palestiniens de Gaza « souhaite un changement politique », considérant que le gouvernement était très peu réceptif aux besoins de la population.
L’importance des problèmes économiques de Gaza apparaît clairement dans les résultats de l’enquête. Selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté à Gaza est passé de 39 % en 2011 à 59 % en 2021. De nombreux habitants de Gaza ont du mal à se procurer les produits de première nécessité en raison de leur rareté et de leur coût. 75 % des personnes interrogées ont déclaré avoir manqué de nourriture et d’argent pour en acheter à un moment donné au cours des 30 derniers jours. À titre de comparaison, dans une enquête du Baromètre arabe de 2021, seulement 51 % des personnes ont déclaré la même chose. « Ce changement survenu en seulement deux ans est alarmant. Les habitants de Gaza ont été contraints d’adapter leurs habitudes pour tenter de joindre les deux bouts, 75 % d’entre eux déclarant avoir commencé à acheter des aliments moins préférés ou moins chers et 69 % déclarant avoir réduit la taille de leurs repas », soulignent les auteurs.
La plupart des habitants de Gaza (31 %) identifient la mauvaise gestion du gouvernement du Hamas comme la principale cause de l’insécurité alimentaire à Gaza et 26 % attribuent cette responsabilité à l’inflation. Seuls 16 % des Gazaouis mettaient fin septembre en cause les sanctions économiques imposées de l’extérieur, Israël et Egypte.
69 % n’envisagent pas de partir
Autres enseignements intéressants des sondages de fin septembre : 48 % des Gazaouis ont affirmé que « la démocratie est toujours préférable à tout autre type de gouvernement ». Et, « la grande majorité des habitants de Gaza interrogés (69 %) ont déclaré qu’ils n’avaient jamais envisagé de quitter leur patrie. Cette proportion est plus élevée que celle des Palestiniens d’Irak, de Jordanie, du Liban, du Maroc, du Soudan et de Tunisie à qui l’on a posé la même question. »
Et Amaney A. Jamal et Michael Robbins de tirer cette conclusion : depuis les mesures de représailles israéliennes post 7 octobre, l’opinion publique de Gaza pourrait bien se retourner. « Israël a coupé l’approvisionnement en eau, en nourriture, en carburant et en électricité de Gaza, plongeant le territoire dans une profonde crise humanitaire. La poursuite de la violence ne rapprochera pas l’avenir de paix et de stabilité que la plupart des habitants de Gaza espèrent. Au lieu d’éradiquer la sympathie pour le terrorisme, les mesures de répression israéliennes, qui rendent la vie des Gazaouis plus difficile, ont renforcé le soutien au Hamas. Si la campagne militaire actuelle à Gaza a un effet similaire sur l’opinion publique palestinienne, elle fera encore reculer la cause d’une paix à long terme.