En 2023, les Palestiniens représentaient la population la plus importante parmi les nouveaux demandeurs d’asile sur les îles grecques. Ils passaient par la Turquie qui leur accordait des facilités pour obtenir un visa.
Dans un café du centre d’Athènes, Gihad (il préfère taire son nom de famille) se retrouve comme tous les jours, depuis le 7 octobre, avec ses amis palestiniens. « As-tu des nouvelles de ta famille ? » est la question qui revient le plus souvent. Sa femme, ses deux enfants et ses parents sont coincés à Gaza. Début septembre, le trentenaire s’est décidé à quitter l’enclave en se procurant un visa d’un mois pour la Turquie.
« La situation économique était dramatique. Je ne voyais plus d’autre solution que de partir pour l’Europe », raconte-t-il, une cigarette à la main. En seulement deux semaines et contre 220 dollars, il obtient son visa. Une seule agence de voyages à Gaza est autorisée à fournir ce précieux sésame. « Cette agence a un accord avec le consulat turc basé à Tel-Aviv et avec le Hamas. Nos empreintes digitales y sont prises », explique Gihad. D’autres documents sont requis pour bénéficier du visa : « Un certificat assurant que tu travailles à ton compte ou que tu es employé, un passeport à jour et un compte en banque avec au moins 1 000 dollars. » « Mais ces documents peuvent être falsifiés facilement par l’agence contre 100 dollars », avoue-t-il.
Gihad montre sur son téléphone portable une photo de la foule qui attend devant l’agence. Elle est composée d’hommes qui n’ont pas plus de 30 ans et veulent échapper à une situation asphyxiante à Gaza, avant la guerre déclenchée par l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre.
« Bakchichs à la frontière »
Début septembre, plusieurs médias palestiniens se sont fait l’écho de cette vague de départs. Le 19 septembre, la chaîne Palestine TV a diffusé une émission intitulée « L’émigration de Gaza. Ce dont personne ne parle ». Quelques jours auparavant, le 9 septembre, de violents affrontements entre de jeunes Palestiniens et des agents de sécurité avait eu lieu devant l’agence de voyages ayant le monopole des visas. Plusieurs personnes auraient été blessées, d’après les médias palestiniens, ce qui aurait obligé l’agence à fermer plusieurs jours. Le journal en ligne palestinien Al-Quds a rendu compte de l’incident et affirmé qu’en seulement quelques jours, avant cette altercation, plus de 18 000 jeunes Gazaouis avaient fait une demande de visa pour la Turquie.
Hady, la vingtaine, se souvient de cette journée. « Le Hamas ne veut pas de mauvaise publicité, affirme-t-il. Dire que les jeunes partent en Europe pour un avenir meilleur, c’est évidemment le signe que des problèmes existent à Gaza. » Le jeune fermier qui élevait des poulets dans l’enclave est parti pour des « raisons économiques », mais aussi « pour vivre dans un pays qui respecte les droits de l’homme ».
Après avoir obtenu leur visa, Hady et Gihad ont dû se rendre au Caire pour prendre l’avion. La première étape est le passage de la frontière, à Rafah. A partir de mai 2018, le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, a facilité l’accès au territoire égyptien pour les Gazaouis. Mais, dans les faits, les hommes de moins de 40 ans ne sont pas autorisés à quitter l’enclave, « sauf contre des bakchichs aux gardes-frontières égyptiens et aux membres du Hamas », précise Hady.
Contre 400 dollars chacun, les deux acolytes ont pu franchir la frontière, puis se rendre à l’aéroport du Caire sous escorte policière. « A l’aéroport, une salle spéciale est conçue pour les Palestiniens voyageant hors de Gaza. Quand tu vas prendre ton billet d’avion, la police te suit et te surveille jusqu’à ce que tu montes dans l’avion », raconte Gihad, qui a encore dépensé 350 dollars pour son billet.
Groupe le plus important
Une fois à Istanbul, les jeunes hommes entrent en contact avec un passeur arabe. Ils déboursent encore plus de 2 000 dollars chacun pour rejoindre une île grecque. Gihad est arrivé à Lesbos, dans un canot transportant vingt-trois personnes parmi lesquelles onze autres Palestiniens de Gaza. « Nous avons été chanceux, car nous n’avons pas été renvoyés en Turquie. De nombreuses personnes voyageant avec moi sur ce bateau avaient déjà tenté une fois de venir en Grèce et avaient été renvoyées de force vers les eaux turques », rapporte-t-il. Le gouvernement grec est accusé, depuis 2020, par les organisations non gouvernementales et des enquêtes journalistiques, d’avoir généralisé les refoulements illégaux de migrants aux frontières, ce qu’il nie.
A Izmir, en Turquie, d’où il est parti pour Lesbos, Gihad assure qu’en septembre tous les hôtels étaient pleins de migrants, des Palestiniens plus particulièrement, voulant passer en Grèce. En 2023, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), les Palestiniens représentaient plus de 20 % des arrivées sur les îles grecques, le groupe le plus important parmi les nouveaux demandeurs d’asile. La hausse des arrivées de réfugiés palestiniens avait commencé en 2022, selon le HCR.
Selon le ministère des migrations grec, « un peu moins de 3 000 demandeurs d’asile palestiniens se trouvent actuellement dans les camps [installés pour leur hébergement] ». « Il existait [avant l’attaque du 7 octobre]un petit flux de Palestiniens de Gaza qui passaient par Le Caire, puis par Istanbul, pour rejoindre certaines îles de l’est de la mer Egée, comme Cos, ajoute le porte-parole du ministère. Le désastre humanitaire à Gaza et le déplacement massif des Gazaouis du nord vers le sud de l’enclave nous inquiètent, mais il n’existe aujourd’hui ni réflexion ni projet pour l’accueil des réfugiés palestiniens dans le pays. »
Gihad comme Hady n’ont maintenant qu’une idée en tête : que leurs familles puissent sortir de l’« enfer de la guerre » et les rejoignent en Europe.