L’Anthropologie est une discipline éminemment respectable mais son histoire, depuis trois siècles, pose problème. Elle a longtemps désigné la seule anthropologie physique ou anthropobiologie, fille de l’Anatomie Humaine et de l’Anatomie Comparée. Elle est tombée dans les pires délires en catégorisant et classant les groupes humains selon une échelle de parallélisme entre les valeurs morales et certains critères anatomiques. Elle a, ainsi, fait le lit du racisme le plus méprisable. Le terme de race, concept scientifiquement injustifié et moralement injustifiable, ainsi que le mythe « aryen » sont les produits de tels fantasmes universitaires. A cause des dérives du nazisme, cette discipline a perdu de sa notoriété au profit de l’anthropologie culturelle. On rappellera le projet imaginé par le savant nazi Alfred Ploetz, selon qui tout nouveau-né devrait subir un examen médical pour établir son droit à vivre ; il ajoutait un autre examen à l’âge de 16 ans, pour savoir si l’individu avait le droit de se marier.
Aujourd’hui nous assistons à une réhabilitation de l’anthropologie physique grâce au dialogue des théories post-darwiniennes de l’évolution, voire du socio-darwinisme, avec la génétique des populations et la paléontologie. Ces disciplines ont véritablement « boosté » l’intérêt des chercheurs à tel point que l’anthropobiologie devient peu à peu une sorte de carrefour interdisciplinaire où se croisent les sciences biologiques, les sciences humaines, l’archéologie, la géologie, la biométrie, la paléontologie etc.
Depuis quelques jours, l’opinion publique est agitée par une affaire anthropobiologique portant sur l’origine de la population libanaise, suite aux résultats des examens ADN d’ossements du 12ème siècle (avt JC) trouvés à Saïda, avec ceux d’un groupe de 99 libanais contemporains. Comme toute étude en génétique des populations, celle de l’équipe de Chris Tyler-Smith, Marc Haber, Claude Doumet-Serhal, Pierre Zalloua (et al) montre, qu’en dépit des multiples croisements dus aux invasions et migrations qu’a connus le Proche-Orient, un certain patrimoine génétique « cananéen » serait demeuré constant dans une proportion de 30%.
Il n’y a rien de surprenant à cela. Ainsi, en 2012, l’American Journal of Genetics publiait une vaste étude sur l’ADN mitochondrial d’un échantillon international de l’Homo Sapiens qui montrait que notre espèce serait apparue en Afrique de l’Est puis aurait transité durant plusieurs millénaires en Arabie à partir de laquelle elle aurait conquis toute notre planète. L’hebdomadaire Le Point du 05/02/2012 titrait à l’occasion « Nous sommes tous des Arabes ». Récemment, la génétique des populations aurait démontré que l’Homo Sapiens serait également apparu en Afrique de l’Ouest, ce qui ébranle la précédente hypothèse.
La recherche scientifique en elle-même est innocente, c’est la lecture des faits expérimentaux qui fait problème. Ainsi, l’équipe d’Angélique D’Hondt a bien établi, en 2012, que 50% de l’ADN humain est identique à celui de la banane ; celle de David Milan a dévoilé en 2013 la grande proximité génétique de l’homme et du porc, faisant de ce dernier un excellent donneur d’organe. Brigitte Senut, dans Sciences et Avenir du 16/01/2012, rappelle que l’homme partage son génome, dans une proportion de 35% avec les fleurs et de 98% avec les chimpanzés.
Le chercheur Pierre Zalloua avait identifié, en 2007, un marqueur génétique sur le chromosome Y des populations levantines qu’il avait appelé « marqueur phénicien » (J2-haplogroupe). Ce résultat, couplé à celui de l’analyse récente des ossements de Saïda, a réchauffé de vieux fantasmes sur la non-arabité du Liban. Ces gènes sont dits être un facteur d’unité entre les libanais. Faudra-t-il tester génétiquement chaque individu afin de prouver sa libanité pure et authentique ? Pourquoi pas ? Dans le sillage d’Alfred Ploetz, F. Crick, Prix Nobel qui a découvert la structure de l’ADN, ne déclarait-il pas récemment : « Aucun nouveau-né ne devrait être reconnu humain avant d’avoir passé un certain nombre de tests sur sa dotation génétique […]. S’il ne les réussit pas, il perd son droit à la vie ».
On rappellera, en conclusion, qu’il y a une seule humanité sur terre et que la citoyenneté ainsi que l’unité politique sont fondées sur la Loi et non sur l’identité biologique, ethnique ou, pire, religieuse.
acourban@gmail.com
- Beyrouth
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