Le pape copte orthodoxe, Tawadros II, en compagnie du président Abdel Fattah al-Sissi, samedi, au cours de la messe de Noël dans l’égalise de la Nativité, sortie de terre dans la nouvelle capitale administrative en construction
Endeuillés par une année meurtrière, les chrétiens d’Égypte ont célébré Noël sous haute surveillance policière.
Retransmise en direct à la télévision égyptienne, la cérémonie s’est voulue grandiose, même si elle a littéralement essuyé les plâtres. Devant une foule de 8200 fidèles, le pape copte orthodoxe Tawadros II, très proche des autorités actuelles, est apparu souriant et a fait part de « sa reconnaissance et de sa gratitude envers les forces armées qui servent la nation, maintiennent la sécurité et la stabilité du pays ».
À ses côtés de nombreux officiels, les représentants de l’institution musulmane al-Azhar et Abdel Fattah al-Sissi. Le président égyptien est devenu coutumier de cet événement: il est le premier chef d’État à se rendre aux messes de Noël copte et ce pour la troisième année consécutive. Dans l’église flambant neuve de la Nativité, la plus grande du Moyen-Orient, sortie de terre dans la nouvelle capitale administrative en construction, il a assuré que « l’inauguration partielle de cette cathédrale est un message de paix et d’amour de l’Égypte, pas seulement au pays et à la région mais au monde entier ».
Naguib Gibrail faisait partie des chanceux triés sur le volet présents dans la nef : «Je suis extrêmement content. Cette cérémonie prouve que l’Égypte ne fait qu’une, que musulmans et chrétiens sont ensemble. Le président al-Sissi l’avait promis et il l’a fait. Nous avons beaucoup souffert du terrorisme l’année passée, mais nous sommes heureux d’être témoins de ça et contents de célébrer ce Noël en dépit des incidents récents », assure cet avocat.
Pour Ishak Ibrahim, pourtant, cette cérémonie était «une mauvaise idée». « On envoie un message de bonheur, ce n’est pas approprié une semaine après une tuerie de masse contre des chrétiens, dit-il. Et toute cette propagande fait oublier que 15 églises ont été fermées récemment car c’est plus simple pour les autorités de les fermer plutôt que de les protéger. Cela fait oublier les 24 incidents sectaires qui ont eu lieu depuis octobre 2016. Cela fait oublier les refus de permis des autorités pour la construction de nouvelles églises», assure ce militant de défense des droits des chrétiens. «Je n’ai pas souhaité y aller, je ne veux pas participer à cette mascarade », explique-t-il.
D’autres, comme Ishak, se sont aussi rendus dans leur église habituelle pour célébrer la naissance de Jésus, par manque de places disponibles ou juste par fidélité à leur communauté. Dans le centre-ville du Caire, l’église de Bab elLouk a été barricadée comme un bunker. Le pâté de maison est bouclé depuis la veille. Devant un portail de sécurité métallique, plusieurs hommes en armes guettent les va-et-vient et balancent des mamnou’ (« interdit ») à toutes les gueules qui ne leur reviennent pas.
C’est finalement en plein service que le père Nader surgit sur le perron : « Laissez entrer ! », s’agace-t-il. «Désolé, mais les policiers ont des instructions, il y a énormément de sécurité », s’excuse le religieux qui disparaît aussi vite. Il n’est pas 9 heures du matin, mais le lieu de culte voit ses premiers fidèles arriver.
Un nuage entêtant de myrrhe flotte dans l’air et s’élève dans la coupole marquetée. Les mains sont levées vers le ciel et, sous les voiles des femmes, la ferveur prend un visage paisible. Sous le regard des douze apôtres légèrement souriants, on s’échange des voeux en silence, balaye du bout des doigts le sol avant de les porter à sa bouche et ferme les yeux en recevant les éclaboussures d’eau bénite. Une porte s’entrouvre laissant entrer un vent d’air frais.
Dehors, des sirènes de police retentissent. «N’ayez pas peur, Dieu veille sur vous », assure l’homme qui officie. Depuis un an, la communauté copte est victime d’attaques ciblées de la part de l’organisation de l’État islamique : plus de 107 chrétiens ont perdu la vie dans des attentats d’envergure, beaucoup ont aussi dû fuir leur maison du Nord-Sinaï pour échapper aux exécutions ciblées dont ils sont victimes. Ces récentes attaques s’inscrivent dans un cycle de violences entamé en 2013 avec la destitution par l’armée du président islamiste Mohammed Morsi, qui a renforcé l’insurrection djihadiste dans le pays. Des centaines de policiers, de soldats et de civils ont été tués.
« Le contexte est difficile, mais pour nous ça ne change rien et, pour les fidèles, les derniers événements grandissent leur ferveur, ça les motive encore plus à se réunir, à prier, assure le prêtre Nader. Bien sûr, nous sommes profondément désolés pour les martyrs, mais il faut être persévérant dans sa foi. Nous n’avons pas peur, on s’en remet à Dieu et on prie quoi qu’il arrive. En vérité, ceux qui ont les jambes qui flageolent le plus, ce sont les policiers dehors », assure-t-il.
Sur le bitume, ce sont 230 000 policiers qui participent au plan de protection des 2 626 églises à travers le pays. Si beaucoup se disent satisfaits de ces mesures, d’autres notent que la police a rarement empêché des attaques contre les coptes dans le passé. « Ce n’est pas le nombre qui fait la sécurité, c’est la préparation. Ce n’est pas tout d’avoir des armes, il faut savoir s’en servir», tranche Ramy, agacé par l’attaque de l’organisation de l’État islamique survenue la semaine dernière dans une église de Helwan. L’assaillant a tué dix personnes et a été poursuivi et arrêté par un badaud du voisinage.
Quelques minutes avant le début de la messe nocturne, des tanks et de longs corridors de sécurité ont aussi été installés devant l’église de la Vierge Marie à Dokki. À l’entrée, pièces d’identité et croix tatouées sur le poignet font office de pass d’entrée. À l’intérieur, les mêmes fronts posés contre les bancs de prière en bois, les mêmes nuages d’encens, les mêmes chants, les mêmes mains tendues vers la voûte ornée de dorures. S’étendant traditionnellement jusque tard dans la nuit, la messe de Noël, cette année, a été raccourcie et ne s’est tenue que jusqu’à minuit, ou 23 heures dans les zones les plus à risque. « Les fidèles ont aussi interdiction de rester devant le lieu de culte, avant et après la cérémonie », précise l’un des religieux. «On est contents de fêter Noël, mais il intervient dans le sang et les “booms” », se désole encore Ramy. « On est un peu tout le temps dans l’attente de la bombe, de la balle ou du couteau du terroriste, explique-t-il. J’ai le sentiment que si ce n’est pas moi, ce sera mon frère; si ce n’est pas ce soir, ce sera demain. »■