FIGAROVOX/ENTRETIEN – Survivante de l’équipe de Charlie Hebdo, la journaliste analyse la polémique qui oppose le journal satirique à Mediapart. Pour elle, deux ans après les attentats de Paris, une partie des élites médiatiques et politiques est toujours dans le déni.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO @AlexDevecchio
LE FIGARO. – Entre Charlie Hebdo et Mediapart, la polémique atteint un grand degré de virulence. Le directeur de Mediapart, Edwy Plenel, a été brocardé par Charlie Hebdo pour sa proximité avec Tariq Ramadan. Et, dans son éditorial, Riss accuse désormais Plenel de « condamner à mort une deuxième fois » sa rédaction…
Zineb EL RHAZOUI. – C’est bien curieux, mais cette polémique me rappelle qu’après l’attaque terroriste de Charlie Hebdo, alors que nous n’avions pas encore enterré nos morts, certaines voix avaient déjà donné la même sempiternelle tournure au débat public : « je ne suis pas Charlie » et « halte à l’islamophobie » en supputant que les « musulmans » étaient les véritables victimes. Après les attentats terroristes du 13 novembre, ceux qui s’étaient un peu trop émus du sort des morts et des blessés ont eu droit à des accusations à peine masquées de racisme parce qu’ils auraient plutôt dû s’émouvoir du sort des victimes des attentats terroristes de Beyrouth. Après les attentats de Nice où des bébés ont été broyés dans leurs poussettes pendant qu’ils regardaient des feux d’artifice, le débat public accusait encore une fois la France de racisme pour avoir rechigné à accueillir des burkinis sur la même plage…
Le 12 novembre, Mediapart a publié une tribune de soutien à Plenel signée par 130 personnalités accusant Charlie Hebdo d’attiser un climat de « haine ».
Cette tribune refuse que la ligne éditoriale islamo-complaisante de Mediapart soit questionnée. Je me pose la question de l’opportunité de s’en prendre à Charlie Hebdo comme un porteétendard de la « haine » une semaine après que cet hebdo eut été visé par une campagne de menaces de mort particulièrement violente. Mediapart fait d’ailleurs partie des organes de presse qui défendent l’idée selon laquelle les « musulmans » seraient de plus en plus des « victimes » depuis les attentats.
Pour ma part, je fais partie d’une maison journalistique où le mot « victime » a une signification très réelle, sanglante, qui se vit dans la douleur de l’absence et dans la peur de la récidive. J’ai envie de dire aux signataires : vous ne remuez pas le petit doigt lorsque des confrères sont menacés de mort, en revanche, vous faites bloc lorsque la moustache d’Edwy Plenel et surtout ses accointances avec Tariq Ramadan sont tournées en dérision ?
Charlie Hebdo a-t-il bien fait de pointer la complicité de Plenel et de Ramadan sur le plan idéologique ?
Je ne fais plus partie de la rédaction de Charlie Hebdo, mais si j’y travaillais encore, j’aurais sans doute approuvé ce Plenel-bashing, où rien ne souffre si ce n’est son ego. Dans un journal satirique, ce genre d’ironie est trop précieux pour le laisser passer. Plenel, en s’affichant fièrement avec Ramadan et en dédiabolisant sa figure, a misé sur le mauvais cheval. L’admettre aurait été plus noble que de se cacher derrière une tribune signée par de nombreux intellectuels à la probité et à l’honnêteté avérées, mais aussi par des islamistes, des amis de Tariq Ramadan et autres idiots utiles des islamistes.
« L’islamisme n’est pas en soi une chose grave », a déclaré la coprésidente de la société des journalistes de Mediapart, Jade Lindgaard…
Cette consoeur pêche au mieux par inculture, au pire par racisme. Soit elle ignore ce qu’est le projet islamiste dans le domaine politique et n’a jamais étudié les codes civils et pénaux des théocraties islamiques du monde arabe et d’ailleurs ; soit elle considère que nous autres « musulmans » devons être condamnés à être régis par la coutume et la superstition. Si Mme Lindgaard était née musulmane à Marrakech, à Annaba, à Assiout, à Hofouf ou à Djalalabad, elle serait privée de libertés aussi élémentaires que travailler, étudier, se parfumer, penser, sortir, boire un verre, choisir son époux, hériter à égalité avec ses frères ou encore se rendre au cimetière pour enterrer les siens. Son affirmation est une insulte à tous ceux qui se battent pour la liberté dans le monde musulman au péril de leur vie.
Les cas de Mediapart et Plenel sont-ils isolés ?
Malheureusement, ceux que j’appelle les collaborationnistes du fascisme islamique sont nombreux en France. Ils sévissent dans tous les domaines. Dans les médias, ce sont tous ces journaux fiers de « défendre les musulmans » alors qu’ils auraient honte d’en faire autant avec les « chrétiens ». En politique, ce sont tous ceux qui s’obstinent à traiter les « musulmans » comme une communauté au lieu de les voir simplement comme des individus. Dans le débat public, ce sont tous ceux qui considèrent que critiquer le christianisme est conforme à l’esprit des Lumières (et sur ce point ils ont raison), mais que critiquer l’islam est de l’« islamophobie » et du racisme. Ce sont tous ceux qui acceptent un féminisme au rabais pour les femmes nées musulmanes. Ce sont tous ceux qui considèrent les « musulmans » comme un nouveau prolétariat et consentent à ce qu’un musulman ne puisse jamais échapper à son identité.
Ces personnes ont pourtant droit, comme les autres, à la liberté d’expression et d’opinion…
Les seules limites à la liberté d’expression sont celles de la loi, que nous sommes tous, surtout en tant que journalistes, tenus de respecter. En dehors de ces limites, chacun a le droit de dire que la terre n’est pas ronde s’il le souhaite, il devrait en être libre. Toutefois, la société doit aussi être libre de le tourner en dérision, de dénoncer son discours comme ridicule ou dangereux. Aussi, personne ne conteste le droit de M. Plenel d’être une groupie de Tariq Ramadan. Simplement, il devrait faire preuve de plus d’humilité lorsque ses amitiés intellectuelles s’avèrent moins honorables qu’il ne le prétendait.
Dans votre livre 13, vous aviez raconté la nuit du 13 novembre. Deux ans après qu’est-ce qui a changé ?
Dans la société, beaucoup de choses. Mais nos politiques, eux, comme une bonne partie des élites médiatiques, font preuve d’un déni déconcertant face au terrorisme islamique. Ils continuent de refuser de faire le lien entre les crimes de masse commis au nom de l’islam et les aspects plus « banals » de la radicalisation islamique. À tous ceux-là, j’ai envie de proposer d’aller vivre quelques mois dans une théocratie islamique, ils sauront alors ce qu’est l’aboutissement du projet islamiste auquel ils veulent bien donner une chance en France. J’ai envie de leur dire que, s’ils nous considèrent vraiment comme leurs égaux, nous autres « musulmans », eh bien qu’ils nous reconnaissent les mêmes droits qu’ils exigent pour eux-mêmes : la liberté. Pas celle de « porter le voile » ou de se retrancher dans le communautarisme, non. Nous méritons la même liberté qu’en Occident : celle de critiquer la dictature des théocraties, de rire de notre héritage, de rejeter le joug de notre religion, de choisir notre orientation sexuelle, et de jouir de l’égalité femmes-hommes.