Chaque vendredi depuis mars, plusieurs centaines de musulmans investissent la voie publique, réclamant un lieu de culte.
STÉPHANE KOVACS @KovacsSt
LAÏCITÉ La Marseillaise contre un prêche en arabe. Le face-à-face était tendu, ce vendredi à 13 heures, aux abords de l’hôtel de ville de Clichy (Hauts-de-Seine). Boulevard Jean-Jaurès, derrière une banderole «Stop aux prières de rue illégales», une soixantaine d’élus de la région parisienne s’avance, écharpe tricolore en bandoulière, entourant le maire (LR) Rémi Muzeau. Place du Marché, ce sont quelque 150 musulmans qui installent tapis et enceintes sur le trottoir. Au milieu, une poignée de militants laïcs, et des Clichois souvent en colère. «L’espace public ne peut pas être ainsi accaparé !, s’exclame Valérie Pécresse, présidente du conseil régional d’Ile-de-France. Et ce n’est pas au maire de Clichy de régler cette situation tout seul, c’est le rôle de l’État !»
Devant les élus, un jeune Maghrébin hurle : «Les fachos dehors !». Un militant Front national réplique : «Le seul fascisme qu’il y a en France, il est religieux, et c’est le vôtre !» Les fidèles – qui peuvent être jusqu’à 600 selon les vendredis sont beaucoup moins nombreux que d’habitude. «On aimerait bien que ça s’arrête !, soupire le patron de la pizzeria Le Sicilien, devant laquelle est garée une longue file de camions des forces de l’ordre. Ils prient, c’est bien, mais faut pas que ça gêne commerçants et riverains !»
Le bras de fer a commencé voilà plus de huit mois. «Le 22 mars, on a été expulsé, par référé, de notre lieu de culte en centre-ville, raconte Hamid Kazed, président de l’Union des associations musulmanes de Clichy (UAMC). Et ça pour construire une médiathèque provisoire dont on ne voit toujours rien ! Non seulement le maire ne nous a jamais reçus, mais il a fait installer une grande banderole «stop aux prières de rue illégales» pour mieux diviser la population !»
Des appels à la violence
À la mairie, on s’insurge : «Au contraire, il y a eu de multiples tentatives de médiation, qui n’ont jamais abouti.» «Depuis juillet 2016, deux associations musulmanes occupaient en toute illégalité des locaux appartenant à la Ville après la fin du bail précaire et révocable qui leur avait été délivré par l’ancienne équipe municipale, rappelle-t-on. Elles ont refusé de rejoindre le nouveau lieu de culte pour des raisons encore floues et ont appelé à des prières de rue. Le maire leur avait proposé l’installation d’une salle de prière complémentaire sur un terrain municipal et la mise à disposition de salles à la Maison des associations pour les activités d’éveil culturel. Ces deux propositions n’ont reçu aucune réponse.» À noter que la médiathèque ouvrira «avant Noël», promet le maire.
Pourquoi l’UAMC récuse-t-elle le nouveau lieu de prière, rue des Trois-Pavillons, à environ 15 minutes à pied du centre-ville ? «Trop petit, trop excentré, et indigne», juge Hamid Kazed. «Ah, moi aussi j’aimerais mieux être au coeur de Paris !, sourit Mohamed Bechari, président de ce nouveau centre cultuel et culturel, qui dirige aussi la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). Mais je remercie le maire, qui a facilité l’acheminement des fidèles en mettant en place une signalisation très précise et un arrêt du bus (gratuit) juste en face! Ici, tous les musulmans sont les bienvenus. Nous avons 2 000 m² de locaux tout à fait dignes et, le vendredi, comme nous sommes très nombreux, nous organisons deux prières, à 13 heures et à 14 heures. Mais je précise qu’on est ni Frères musulmans, ni salafistes…»
Depuis mars, donc, «des agitateurs incitent à des prières de rue chaque vendredi sur le plus grand boulevard de la ville menant à Paris, déplore Rémi Muzeau. Ces fidèles, qui ne sont pas tous Clichois, puisqu’on en voit beaucoup repartir en métro ensuite, sont manipulés par des gens qui veulent bafouer la République et stigmatiser notre ville». La semaine dernière déjà, le parti Forces laïques était venu demander la fin de «ces manifestations organisées dans la plus grande illégalité». «On peut y entendre en arabe des appels à la violence, qui ont été relayés sur les réseaux sociaux, sans qu’aucune mesure de répression ne soit prise à l’encontre des organisateurs, soutenus depuis le début par le CCIF, s’indigne Laurence MarchandTaillade, sa présidente. Et les forces de l’ordre, missionnées par la Préfecture, sont là en nombre. Le budget de l’Intérieur doit-il être consacré à la protection de prières de rue illégales?» Le 13 octobre dernier, des tracts d’un certain «Mrap» (Mouvement pour le respect et l’adoration du Prophète) ont été récupérés après la prière sur les trottoirs, rapporte le maire. On peut y lire notamment, sous le sous-titre «Mécréants» : «vous les mettrez à mort ou vous leur ferez subir le supplice de la croix (…) Vous les chasserez de leur pays».
Aucune loi n’interdit spécifiquement les prières de rue. D’après la loi de 1905, les «cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte» sont autorisées à condition de ne pas entraver le «passage des rues» ni de troubler la tranquillité publique. «Rendez-vous compte qu’il y a peu, huit femmes de chambre d’un hôtel ont manifesté contre leurs conditions de travail, et elles ont écopé chacune d’une amende de 68 euros !, se récrie Rémi Muzeau. Pendant ce temps, j’ai plusieurs fois interpellé l’État de manière officielle, face à ce statu quo inacceptable pour la tranquillité des riverains, pour le respect de la laïcité et pour l’État de droit. En vain.» La Place Beauvau n’a pas non plus répondu aux sollicitations du Figaro.