C’est un signe qui ne trompe pas. L’émir du Qatar a reporté à la fin de l’été sa visite prévue jeudi à Paris, a fait savoir l’Élysée, peu après un nouvel entretien téléphonique lundi entre Emmanuel Macron et Cheikh Tamim al-Thani. Le jeune dirigeant qatarien ne veut prendre aucun risque. «S’il avait été sûr de la situation chez lui, il serait allé comme prévu à Paris », confie un homme d’affaires, familier de Doha. Mais avec la crise qui persiste, Cheikh Tamim tient à rester au Qatar. Il se souvient qu’en 1995, son père, Cheikh Hamad, avait profité d’un séjour en Suisse de son grand-père, Khalifa, l’émir de l’époque, pour renverser ce dernier. Selon nos informations, toute la famille régnante a renoncé à des vacances, passées généralement en Europe, loin de la canicule estivale.
Lundi, le ministre des Affaires étrangères qatarien, Mohammed Abderrahmane al-Thani, a remis au médiateur koweïtien la réponse de son pays à la liste des 13 exigences dressée par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte. Ces quatre pays accusent le petit émirat de soutenir le terrorisme et menacent de l’isoler de façon durable dans le Golfe et sur la scène internationale. Alors qu’un premier ultimatum a expiré dimanche à minuit, ils ont accepté de prolonger de 48 heures la date butoir fixée à leur rival pour se plier à leurs demandes.
Doha, qui a déjà fait savoir qu’il ne céderait pas, accuse ses voisins de vouloir fomenter une révolution de palais, voire d’intervenir militairement. «J’espère que nous n’en arriverons pas à une intervention militaire, mais nous nous tenons prêts à défendre notre pays», a affirmé le ministre qatarien de la Défense, Khaled al-Attiyah sur Sky News.
Les exigences faites au Qatar s’apparentent à une capitulation en rase campagne. Elles incluent les fermetures immédiates de la chaîne de télévision al-Jazeera, d’une base militaire turque en construction, l’interruption de tout lien avec des organisations islamistes, l’abaissement des relations diplomatiques avec l’Iran et que le Qatar consente à un audit mensuel pour s’assurer de la mise en place effective de ces mesures. Doha serait prêt à réduire ses relations avec l’Iran, à condition que les autres monarchies en fassent autant. Or Oman et Koweït s’y opposent. Une façon habile pour le Qatar de souligner la division de ses adversaires sur cette question des liens avec le rival iranien.
«Ces mesures sont faites pour être rejetées », a réagi dès ce week-end le chef de la diplomatie qatarienne. Elles signifieraient en effet une mise sous tutelle du pays, son renoncement à sa souveraineté et à l’indépendance d’un turbulent émirat qui n’a cessé, depuis quinze ans, d’embarrasser ses voisins. Or cette indépendance a été justement la marque de fabrique de la diplomatie qatarienne depuis que le père, Cheikh Hamad a renversé son père pour accéder au trône en 1995. N’ayant jamais digéré la mise à l’écart de Khalifa, proche de Riyad, les Émiriens et les Saoudiens, qui disposent d’amitiés chez certaines tribus qatariennes, avaient tenté un contre-coup d’État en 1996, qui échoua. Dans les sables du Golfe, l’histoire se répète souvent. Et aujourd’hui encore, Riyad et Abu Dhabi pourraient disposer de relais au sein de la famille régnante, pour remplacer Tamim.
Les raisons profondes
Si Riyad et Abu Dhabi ont été aussi exigeants, c’est qu’ils anticipent un niet de Doha pour lui imposer d’autres sanctions. Les ministres des Affaires étrangères des quatre pays en pointe contre Doha se réunissent ce mercredi au Caire pour envisager un durcissement de la riposte. Le «Front du refus» à Doha pourrait aussi demander aux pays qui commercent avec le Qatar de renoncer à leurs investissements. Bref, la crise, même si elle fait mal à l’économie locale, devrait durer. La diplomatie a échoué à rapprocher les parties. Donald Trump a pourtant appelé ces derniers jours la plupart des dirigeants du Golfe, insistant sur l’obligation faite à Doha d’arrêter de financer le terrorisme.
Mais à Doha, l’unité nationale derrière l’émir se poursuit, avec une multitude de slogans déployés dans les rues appelant à la résistance. Les Saoudiens et les Émiriens ne cachent plus que c’est en fait son père, leur vieil ennemi, Cheikh Hamad, qui tire les ficelles en coulisses.
Un mois après le déclenchement d’une crise qui a surpris tout le monde, la lumière se fait sur ses raisons profondes. « Lors de sa visite à Riyad le 20 mai, confie un diplomate dans le Golfe, Donald Trump a dit aux monarchies: je vous suis dans votre guerre contre l’Iran, mais cela vous coûtera quelque 380 milliards de dollars de contrats. L’Arabie, poursuit le diplomate, ne pouvait pas régler seule la facture. Sollicités, les Émirats ont dit oui, mais le Qatar a refusé de participer à l’effortde guerre contre l’Iran. À partir de là, la crise s’est enclenchée.»