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Ce chrétien maronite originaire du sud du pays, favori des États-Unis et de la France, est le cinquième commandant en chef de l’armée à être élu président.
Joseph Aoun est le cinquième commandant en chef de l’armée à accéder à la présidence du Liban. Il aura besoin de ses épaules solides et de sa carrure de combattant, pour exercer ses nouvelles fonctions dans un pays en lambeaux, épuisé par une guerre meurtrière avec Israël et ruiné par plus de cinq ans de crise économique et financière. Après plus de deux ans de vacance à la tête de l’État, il succède à un homonyme, un autre général Aoun, Michel (sans lien de parenté), qui l’avait nommé commandant en chef en 2017. Ce n’est pas seulement parce qu’elle met fin à une longue crise institutionnelle que l’élection de ce militaire de carrière a réveillé parmi les Libanais l’envie de renouer avec l’espoir. Son discours d’investiture suggère une volonté de rupture avec « les guerres, les attentats, les ingérences, les attaques, les convoitises et la mauvaise gestion de nos crises ».
Le sexagénaire, dont les orientations politiques sont peu connues jusqu’ici, a inscrit son mandat de six ans dans une perspective de renouveau en se présentant comme le « premier président élu après le centenaire de la création de l’État du Grand Liban, en plein bouleversement du Moyen-Orient ». L’élection par le Parlement de ce chrétien maronite – une communauté à laquelle est réservée la fonction – est le résultat d’un forcing diplomatique américano-franco-saoudien. Celui-ci traduit la nouvelle donne géopolitique et le rééquilibrage politique consécutifs aux victoires militaires israéliennes face à l’axe régional soutenu par l’Iran, dont le Hezbollah libanais était le fer de lance, et à la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie.
Sa première mission est de mettre en œuvre l’accord de cessez-le-feu conclu le 27 novembre dernier. Le texte prévoit le retrait israélien du sud du Liban et le déploiement de l’armée libanaise en lieu et place des combattants du Hezbollah qui doivent livrer leurs armes dans la zone située au sud du fleuve Litani. « Je m’engage à organiser un débat national sur une politique de défense intégrée (…) pour permettre à l’État libanais, je le répète, à l’État libanais, de mettre fin à l’occupation israélienne et d’empêcher de nouvelles agressions », a déclaré Joseph Aoun insistant sur « le droit de l’État à détenir le monopole des armes ».
Préserver l’entente nationale
S’ils n’ont pas applaudi comme leurs pairs à ce discours, les députés du Hezbollah et leurs alliés ont voté en connaissance de cause pour le nouveau président qui marque le passage du Liban à une sphère d’influence pro-occidentale. « L’équation a changé. La fonction militaire du Hezbollah au service de l’Iran est terminée. Cela qui ne signifie pas que son rôle politique au Liban l’est aussi. Bien qu’il entretienne de très bonnes relations avec les Occidentaux, Joseph Aoun a toujours pris soin de ne pas susciter l’adversité du Hezbollah », explique Johny Mounayer, un analyste politique réputé proche de l’ancien commandant en chef. Cette résolution à préserver l’entente nationale est l’une des principales convictions du nouveau président, affirme-t-il, de même que son imperméabilité au trafic d’influence qui est au cœur des habitudes politiques libanaises.
Est-ce que cette réputation de « propreté » suffira à impulser un changement dans la pratique du pouvoir à Beyrouth ? La question est d’autant plus ouverte que le régime politique libanais n’est plus le système présidentiel qui avait permis au général Fouad Chehab de moderniser l’État dans les années 1960. Les réformateurs, qui voudraient faire de Joseph Aoun l’héritier du chéhabisme, doivent composer avec la donne institutionnelle née de l’accord de Taëf, qui a mis fin à la guerre du Liban et donne le pouvoir exécutif au Conseil des ministres de façon collégiale. D’où l’importance de la première décision du nouveau président : le choix du premier ministre et la composition du gouvernement qui doivent obligatoirement tenir compte des rapports de force d’un Parlement aux mains des forces communautaires. « Joseph Aoun est un intrus dans la vie politique », explique Fadi Assaf, fondateur du cabinet Middle-East Strategic Perspective. « Même si ses années à la tête de l’armée l’ont préparé à affronter les intrigues, il est loin d’être immunisé face à une classe politique aguerrie dont il a eu un avant-goût le jour même de son élection : la séance électorale a été pratiquement interrompue entre les deux tours de scrutin pour tenter d’engager avec lui des négociations sur une série de dossiers clés. »
Presque toutes les félicitations adressées au nouveau président étaient accompagnées de vœux de réformes. La liste des chantiers est extrêmement fournie et l’expérience du général limitée dans des dossiers cruciaux, à commencer par la restructuration du secteur financier et des finances publiques.
Des défis gigantesques
Les engagements annoncés dans son discours d’investiture ont cependant été bien accueillis, que ce soit en faveur d’une nouvelle loi sur l’indépendance de la justice ou sur l’abolition du secret bancaire absolu qui continue de favoriser au Liban toutes sortes de délits et de crimes, ainsi que l’évasion fiscale à grande échelle. Face à des défis gigantesques, c’est la personnalité du chef militaire originaire du sud du Liban qui est mise en avant par certains de ceux qui l’ont côtoyé. « C’est un homme humble, à l’écoute, avec la volonté de servir plutôt que de se mettre en avant. Il sait s’entourer et inspirer confiance », témoigne le président de l’Ordre de Malte au Liban, Marwan Sehnaoui, qui collabore avec l’armée depuis des années sur de nombreux projets humanitaires.
Face à l’effondrement du pouvoir d’achat de la solde des militaires après la crise de 2019, la façon dont le commandant en chef de l’armée a maintenu la cohésion de la troupe, notamment grâce à des aides financières étrangères, montre « sa capacité à apporter des solutions concrètes, à anticiper, et préserver la confiance dans l’institution », estime Lamia Moubayed Bissat, présidente de l’Institut des Finances Basil Fleihan, en charge de plusieurs programmes de formation des officiers. Et d’ajouter : « Joseph Aoun est un véritable leader. Il incarne la réussite des institutions là où les politiques ont échoué de manière désastreuse.»
Le Figaro