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D’anciens proches du dictateur déchu évoquent, sous couvert de l’anonymat, sa piteuse fin de règne alors que les rebelles resserraient leur emprise sur la capitale.
En cavale, Maher el-Assad, le frère du dictateur déchu, a téléphoné il y a une semaine à un de ses amis pour démentir la rumeur de sa mort. « “Je suis encore en vie”, m’a-t-il dit, confie au Figaro son interlocuteur. Mais le plus invraisemblable, c’est qu’il a ajouté qu’il comptait rentrer en Syrie. Pour quoi faire ? Il est fou, il ne se rend pas compte que Bachar est détesté, même par sa famille, qu’il a laissée tomber. » Y compris Maher lui-même, redouté chef de la 4e division blindée, qui n’a pas été prévenu par son frère de sa fuite.
Deux semaines après le renversement de Bachar elAssad par des rebelles islamistes au terme d’une offensive éclair de onze jours, le mystère se dissipe sur le piteux départ du dictateur, et la débandade généralisée qui s’est ensuivie parmi les cercles familiaux et sécuritaires du régime. Plusieurs sources ont accepté de témoigner auprès du Figaro, anonymement pour des raisons de sécurité.
« Bachar a quitté Damas le samedi 7 décembre vers 22 h 30 heures avec son fils aîné Hafez, rentré de Moscou avec lui une semaine auparavant, et Mansour Azzam, le secrétaire général de la présidence », affirme au Figaro un ancien proche du président. Ils ont fui par un tunnel reliant le palais à l’aéroport militaire voisin de Mezzeh, qu’une entreprise française avait achevé de percer au printemps 2011 alors que la révolte grondait. De là, Assad s’est envolé pour la base militaire russe de Hmeimim, sur la côte syrienne.
À 2 heures du matin, Maher, lui-aussi, décolla en hélicoptère de l’aéroport de Mezzeh à destination de Hmeimim.Il se trouverait également à Moscou. Mais, selon cet ancien proche, l’ordre d’évacuer « à titre humanitaire » Bachar el-Assad vers la Russie n’a été accordé que lundi matin par Vladimir Poutine. Après avoir dû attendre trente-six heures sur la base russe, il put alors rejoindre Karim, son autre fils, sa fille, Zein, et son épouse, Asma, qui, depuis plus de six mois, se fait soigner à Moscou pour une rechute de son cancer du sang.
Pour les protéger, Assad avait envoyé en Russie, bien avant son renversement, le lieutenant-colonel Majed al-Ali de la garde républicaine ainsi qu’une poignée de gros bras. S’il a abandonné précipitamment le pouvoir, ces précautions, ajoutées aux investissements des Assad à Moscou, montrent que Bachar avait préparé une éventuelle sortie à terme vers la Russie. L’exploitation de son système de télécommunications au palais, installé par une société étrangère il y a plus de quinze ans, pourrait livrer d’autres secrets.
Au cours des heures qui ont précédé sa fuite de Damas, le tyran s’est bien gardé de dévoiler ses intentions. Ni à ses neveu et nièce, Bassel et Boushra Shawkat, qu’il reçut à 19 heures dans sa résidence de Mezzeh. Ni, un peu plus tard, à Bouthaina Shaaban, sa conseillère politique, à qui il demanda au téléphone de préparer une réunion en vue d’une intervention télévisée le lendemain. À 22 h 30, une autre de nos sources appela Kamal Sakr, le responsable de la presse au palais, auquel il demanda : « Où est Bachar ? »« Il me répondit qu’il n’en savait rien, on n’a plus de contact avec lui. »
Peu avant minuit, cet officiel, inquiet, contacta le ministre de l’Intérieur, Mohamed al-Rahmoun, lui disant avoir « des informations selon lesquelles la prison d’Adra, à 30 kilomètres de Damas, commence à se vider ». « Il m’a répondu : “Mais ce n’est pas grave ! C’est nous qui la vidons.” Je lui demandais si Damas était barricadé. Il me dit : “Oui, totalement, personne ne peut entrer” ! »
Cet officiel se coucha à 2 h 30 du matin, avant d’être réveillé une heure plus tard par des coups de feu qui durèrent jusqu’à 17 h 30, le lendemain. Les rebelles du Sud furent les premiers à entrer dans Damas, rejoints le dimanche après-midi par les combattants de Mohammad al-Joulani, le nouvel homme fort de la Syrie.
Depuis, le ministre de l’Intérieur est introuvable, alors que sa famille aurait fui au cours de la nuit au Liban. Aux premières heures de dimanche, Bouthaina Shaaban réussit à traverser la frontière, avant de prendre l’avion le lendemain pour rejoindre sa fille aux Émirats arabes unis, l’une des bases arrière de l’ancien pouvoir. Dans l’hôtel d’un quartier chrétien où elle transita, Bouthaina Shaaban aperçut la famille d’Ali Mamlouk, l’ancien tout-puissant chef de la galaxie sécuritaire d’el-Assad, mais pas lui. Mamlouk, l’un des hommes les plus recherchés du nouveau pouvoir, aurait trouvé refuge à Moscou.
Bassel et Boushra, les neveux de Bachar, sont eux aussi passés dans la nuit au Liban, avant de rejoindre leur mère aux Émirats. Quant à Manal el-Jaadan, l’épouse de Maher, elle est arrivée avec son fils vers 6 heures du matin à Beyrouth, sans son mari dont elle est séparée, puis a pris un vol Middle East Airlines pour les Émirats. « Je l’ai eue alors au téléphone, elle insultait Bachar, elle était d’une humeur massacrante », se souvient un fonctionnaire qui a transité par le Liban. Rami Makhlouf, l’ancien financier du clan que Bachar, son cousin-germain, avait assigné à résidence en 2021, avait quitté le navire deux jours avant son naufrage, pour Dubaï.
Lorsque l’aube se lève sur Damas, ce dimanche, il n’y a plus personne du clan el-Assad, cette famille qui avait dirigé le pays pendant cinquante-quatre ans. Pour ce fonctionnaire, « chacun a dû se débrouiller comme il pouvait pour passer au Liban ou par la côte, où des bateaux ont emmené des fuyards à Chypre et, de là, chez des amis en Roumanie. D’autres se sont réfugiés dans l’ambassade de Russie à Damas, avant d’être évacués par convois vers la base de Hmeimim, notamment les chefs des services de renseignements, et d’autres enfin, moins chanceux, sont allés par leurs propres moyens s’abriter à Hmeimim. »
C’est le cas du vieil oncle de Bachar, Rifaat el-Assad, âgé de 86 ans et souffrant de la maladie d’Alzheimer, que le dictateur n’a pas non plus prévenu. Aux termes d’une fuite de plus douze heures à travers les routes d’un pays où les rebelles avaient érigé les premiers barrages, et après une halte au village natal des elAssad à Qardaha, dans la montagne alaouite, le vieillard hagard finit par arriver peu avant minuit devant la base de Hmeimim, où un garde russe, ne parlant ni l’arabe ni l’anglais, l’éconduisit.
L’ancien bourreau de la révolte des Frères musulmans à Hama, en 1982, ne devra son salut qu’à l’intervention d’un haut placé à Moscou et à des négociations avec de multiples acteurs locaux permettant à son avion privé de partir pour une destination inconnue, sans être abattu. « Où vais-je ? », demanda celui que la France décora de la Légion d’honneur pour services rendus, avant de le dessaisir de tous ses biens. « À Marbella ! », l’apaisa son entourage, en référence à son ancien palais espagnol aujourd’hui confisqué !
Comment Vladimir Poutine a-t-il laissé tomber son allié Bachar el-Assad ? L’histoire s’est accélérée entre le 27 novembre, début de l’offensive des rebelles islamistes depuis leur province d’Idlib, dans le nordouest de la Syrie, et le 7 décembre, fin de neuf années d’appui russe au dictateur.
Le 27 novembre, el-Assad est à Moscou, où il doit assister à la remise d’un master en mathématiques à son fils Hafez. Il voit Poutine le 29, alors que les rebelles viennent de conquérir cinq quartiers d’Alep et une cinquantaine de villages alentours. Mais le lendemain, la chute de la seconde ville de Syrie le contraint à rentrer précipitamment. À Alep, les Russes n’ont apporté qu’un soutien aérien minimal à leur allié, dont ils savent que l’armée est fragilisée à l’extrême. Au cours de son séjour, el-Assad aurait réclamé à Moscou davantage d’hommes.
Une source proche du dictateur expose les raisons que lui a données Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie pour motiver le rejet de sa requête. « Nous sommes à la recherche d’hommes pour remporter la guerre en Ukraine. Comment pourrait-on s’aventurer à envoyer des gars en Syrie ? Contrairement à 2015, lorsque nous sommes intervenus, ce n’est pas Daech qui menace cette fois. Et puis on va être discrédités alors que nous critiquons les crimes de Benyamin Netanyahou contre les civils à Gaza. »
Face aux Russes, qui lui recommandent de « préparer sa sortie », Bachar répond qu’il ne peut pas demander aux Iraniens, ses autres alliés, d’envoyer des hommes, car Maher leur a demandé de se retirer. Quatre mois plus tôt, fragilisé par des frappes israéliennes répétées contre des cibles iraniennes dans Damas, el-Assad avait demandé à son frère, plus proche que lui de Téhéran, que les supplétifs iraniens reculent de Syrie. « C’est impossible, maintenant, que les Iraniens reviennent », fait valoir el-Assad aux Russes, d’autant qu’ils seraient ciblés par Israël en pénétrant par la frontière irako-syrienne.
Ces derniers mois, à cause de la guerre au Liban et de l’attitude du Hezbollah, les relations entre Assad et les Iraniens s’étaient dégradées. « Fin juillet, quand je l’ai vu pour la dernière fois, raconte un visiteur régulier du palais, Bachar m’avait dit que le Hezbollah avait fait une erreur en s’en prenant à Israël, en soutien au Hamas, après l’attaque du 7 octobre 2023. “Nous n’avons pas les moyens de nous attaquer à Israël, car si nous le faisons, nous allons nuire à nos relations avec les Russes” (explique alors le président syrien). C’était d’ailleurs une position que son frère lui reprochait, Maher regrettait que Bachar n’ait pas suffisamment critiqué Israël quand son armée bombardait massivement les Palestiniens à Gaza. »
À son retour à Damas, Assad cache la rebuffade à son armée et à son frère. Plusieurs sources ayant rencontré Maher ou de hauts gradés en témoignent. « Bachar disait à son frère de ne pas s’inquiéter. On a déjà perdu Alep il y a dix ans, et deux ans après, on l’a récupérée grâce aux Russes, qui vont encore venir à notre secours », se souvient l’un des interlocuteurs de Maher. Quant « aux officiers de l’armée, Bachar leur affirmait qu’après la chute d’Alep, on allait préparer le front de Hama et du reste du pays », selon un journaliste qui a quitté la Syrie.
Le mercredi 4 décembre, il réunit les chefs des services de renseignements pour leur assurer qu’« on va lancer la bataille ». Mais son armée n’offrira aucune résistance. « J’avais au téléphone des officiers à Hama qui me disaient qu’ils recevaient des messages sur leur système de communication Tétra leur répétant : “Retirez-vous ! Retirez-vous !” Je leur disais : “Mais ça vient d’où ?” “On ne sait pas”, me répondaient-ils », se souvient un homme d’affaires, parti de Syrie.
Plusieurs sources interrogées sont convaincues qu’il y a eu trahison. « On ne trouve aucune trace du ministre de la Défense, Ali Abbas, ni du chef d’état-major, ni même de Suhail al-Hassan, le chef des forces spéciales. Auraient-ils retourné leurs vestes et pris des enveloppes ? », se demande cet homme d’affaires. D’autres, au contraire, pensent qu’ils pourraient se cacher dans la montagne alaouite, dans l’espoir de lancer une insurrection contre le nouveau pouvoir.
Bachar a contacté ses alliés arabes, notamment le président des Émirats arabes unis, Mohamed bin Zayed (« MBZ »), qui lui aurait conseillé d’essayer de tenir jusqu’au 25 janvier, date de l’arrivée de Donald Trump. Le vendredi, alors que Homs est à son tour tombée, Mansour Ben Zayed, le vice-président des Émirats, arrive par un vol spécial à l’aéroport de Damas avant de rencontrer Bachar, qui reçoit également un émissaire iranien, Ali Larijani. Ce même jour, un avion décolle de Damas avec à son bord des chefs de tribus arabes qui partent voir MBZ à Abu Dhabi. « Ils sont rentrés le lendemain vers 17 heures avec comme instruction de MBZ : “protégez Damas”. Mais c’était un peu tard, ils n’avaient pas assez d’armes », constate l’homme d’affaires.
Finalement, samedi en fin d’après-midi à Doha, au Qatar, une réunion entre diplomates russes iraniens et turcs scelle le sort d’el-Assad. Dans la soirée, un ultime appel russe lui aurait intimé l’ordre de quitter Damas pour Hmeimim, afin de ne pas finir comme Kadhafi ou Saddam Hussein.
« Quand vous laissez vos albums photos derrière vous, ça veut dire que vous avez déguerpi en une demiheure. C’est ça qui nous a surpris. Bachar a fui comme un lâche alors qu’il avait une semaine pour préparer son départ », déplore cet homme d’affaires. « Un ami m’a appelé de Moscou, ajoute-t-il. Il a vu sortir Zein de la faculté où elle est étudiante. La fille de Bachar se fait désormais appeler “Jane”. Son frère aîné Hafez (le prénom de son grand-père, déjà dictateur), lui, n’a plus qu’à changer de nom et de visage ! » Pitoyable fin d’histoire.