Le Prophète de l’islam est le plus impopulaire parmi les fondateurs de religion. Si vous évoquez Confucius, Bouddha ou Jésus chez les non-chrétiens, on vous prête l’oreille. Dès que vous évoquez Mahomet devant un non-musulman, celui-ci est dubitatif, à juste titre. On voit trop d’images horrifiantes à la télé commises en son nom pour être tenté d’avoir envie de le connaître. Mes compatriotes algériens ont manifesté dans les rues d’Alger pour exprimer leur indignation devant les caricatures de Charlie Hebdo et crier que les frères Kouachi sont des martyrs. Or, y a-t-il un seul verset dans le Coran qui appelle à mettre à mort celui ou celle qui insulte le Prophète ? Aucun verset ne légitime le meurtre d’un blasphémateur, d’un hérétique ou d’un apostat. Aucun !
Les musulmans ne puisent pas leur religion dans le Coran qu’ils prétendent être la parole de Dieu transmise par l’archange Gabriel au prophète Mahomet. Vous tombez à la renverse quand vous vous penchez sur ce que les musulmans appellent la « charia »[loi islamique]et que certains d’entre eux, par ignorance, souhaitent voir appliquée, et qui est en inadéquation avec le Coran. Vous découvrez, effarés, les massacres que les oulémas [théologiens] ont infligés à cette religion.
Les références au Coran dans la chariasont minimes. Les oulémas s’appuient sur autre chose : le « hadith ». Il s’agit d’un propos que l’on met dans la bouche du Prophète. Les djihadistesfanfaronnent qu’ils vont conquérir le monde. Est-ce le Coran qui leur a annoncé ces victoires ? Non. Mais le hadith, oui. Le Coran fait dire ceci au Prophète : « Dis : je ne connais pas l’avenir, j’ignore ce qui sera fait de moi ou de vous… » Pourtant, les djihadistes croient que le Prophète connaissait l’avenir et qu’il leur a même annoncé qu’ils conquerraient le monde.
Les hadiths
Tous les problèmes qui collent à la peau des musulmans proviennent de cette chose qu’on appelle le hadith. Le hadithn’est pas apparu par hasard sur leur route. Il y a des choses factuelles à savoir sur l’islam. D’abord, que le Prophète n’a pas désigné les califes qui lui ont succédé. Le premier traité de théologie rédigé dans l’histoire de l’islam s’appelle El Muwata, de l’imam Malik. Il ne contenait pas un seul verset du Coran. Il a été rédigé à la demande du calife – pour donner un avant-goût de ses mœurs : il enterrait vivants les opposants. Contemporain de l’imam Malik, il y a Ibn Ishaq, auteur de la première biographie de Mahomet. Ce livre a été la source de toutes les autres biographies apparues ultérieurement.
Cette première biographie du Prophète a été écrite elle aussi à la demande du calife. Là, on est à peu près un siècle et demi après le Prophète. C’est au cours de cette époque que vont être écrites les premières compilations de hadiths et que va se cristalliser cette version de l’islam qui nous est parvenue aujourd’hui. C’est sous le règne des Omeyyades [dynastie de califes de 661 à 750 de notre ère]que le hadith est né et qu’il a été utilisé comme outil de propagande. Les Omeyyades ne se sont pas occupés de coucher par écrit les hadiths produits par leurs propagandistes. Ce sera l’affaire des Abbassides [dynastie de 750 à 1258 de notre ère]pour lesquels Ibn Ishaq a écrit une biographie du Prophète. Ibn Ishaq en a brossé un portrait sur mesure pour des califes sanguinaires.
Arrêter cette culture de guerre
Le djihad dans le Coran n’a rien à voir avec celui pratiqué par les musulmans au lendemain de la mort du Prophète et tel que les héritiers des premiers califes le pratiquent aujourd’hui. Les fameuses conquêtes sont le premier grand péché commis par les musulmans. Ils ont décrété un djihad offensif, alors que cela est interdit par le Coran. Pendant les treize premières années de son apostolat, le Prophète et les premiers convertis sont persécutés, mais le Coran les somme de patienter. Ensuite, il y a eu ce verset : « Il est permis à ceux qui sont combattus en raison de leur foi… » Il est permis, mais auparavant cela ne l’était pas.
Plus tard viendra un autre verset : « Combattez sur la voie de Dieu ceux qui vous combattent, ne transgressez pas, Dieu n’aime pas les transgresseurs. » Le Coran ne demandait pas aux habitants de la péninsule Arabique d’islamiser le monde, mais de s’islamiser eux-mêmes, ce qui signifie, quand on interroge les sourates, de se pacifier et d’arrêter cette culture de guerre et de razzia qui était la leur. Le Prophète n’a combattu que ceux qui l’ont combattu. On peut lui accorder ce crédit, ne serait-ce que parce que, dans la mesure où il écrivait lui-même les sourates, il ne pouvait se permettre de contredire l’enseignement dont il était porteur.
« Si ton Seigneur le voulait, tous les habitants de la Terre se convertiraient : est-ce à toi de contraindre les gens pour qu’ils deviennent croyants ? » Ce verset date de la période mecquoise où le Prophète mettait du zèle à prêcher ses concitoyens. Même ce zèle, le Coran le lui a reproché. «… Que celui qui veut croire, croie, et que celui qui veut mécroire, qu’il mécroie… » Et pourtant ! On se demande quel Coran ont lu les générations d’oulémas. Eux qui ont usé des rivières d’encre en fatwas liberticides, en excommunications et en appels au meurtre.
Persécution
« Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait point de fitna dans la religion… » La fitna dans la religion, c’est la persécution des autres en raison de leurs croyances. Faire cesser la persécution religieuse est l’unique motif que le Coran assigne au djihadarmé. Le Prophète de son vivant s’est tenu à un djihadstrictement défensif, dans la mesure où il ne pouvait aller à l’encontre des sourates qu’il prétendait recevoir de Dieu.
« J’ai été envoyé, font-ils pourtant dire au Prophète, pour combattre jusqu’à ce que les gens se convertissent. » Ce hadith est apparu à l’époque où les conquêtes faisaient rage. Les hadiths n’ont pas été écrits du vivant du Prophète. La plus grande mystification de l’islam réside dans sa définition même : quand vous demandez à un musulman ce qu’est l’islam, il s’empresse de vous répéter, sûr de lui, que sa religion est basée sur la profession de foi, la prière, la zakat, le ramadan et le pèlerinage : ils appellent cela les piliers de l’islam. Qui a arrêté cette définition ? On vous répond que c’est le Prophète. C’est totalement faux !
Il s’agit certes de prescriptions coraniques mais ce ne sont pas des fins en soi. Elles ne sont qu’un moyen d’accéder à un but supérieur, la taqwa, la crainte révérencielle de Dieu, et cette taqwa signifie, quand on l’examine à la lumière des seuls versets du Coran, l’obligation faite au musulman d’être en permanence dans une dynamique de paix avec son prochain, quel qu’il soit.
Ce sont les docteurs de la loi qui ont décidé que la définition de l’islam se limitait à une profession de foi et à quatre pratiques rituelles. Or, les premières compilations de hadiths apparues en contenaient beaucoup moinsque celles apparues plus tard. Ainsi, plus on s’éloignait du Prophète dans le temps, plus le volume des propos qui lui sont prêtés grossissait.
Les ancêtres idéologiques
Ce hadith où ils font dire au Prophète qu’il a été envoyé pour combattre les autres jusqu’à leur soumission est un de ces hadithsque les djihadistesressassent. Ces derniers n’interrogent jamais les textes qu’ils mettent en avant pour justifier leurs actions, ils s’en remettent à leurs ancêtres idéologiques. Le contenu des prêches dans les mosquées est composé jusqu’à nos jours à 80 % de hadiths. Les frères Kouachi et Coulibaly ne sont pas des martyrs. Ils sont tout au plus des victimes de ce qu’un sage musulman contemporain appelle un « mensonge sophistiqué ». Les califes ont cherché à persuader les musulmans que le califat est consubstantiel à l’islam. Cela est faux, il n’y a aucun verset dans le Coran qui oblige les musulmans à être soumis à un calife.
Cinquante ans après la mort du Prophète [632 de notre ère], les musulmans en sont arrivés à bombarder La Mecque et à endommager la Kaaba. Le calife auteur de ces bombardements s’appelle Yazid. Il est le premier dans l’histoire de l’islam à être arrivé au pouvoir par voie héréditaire. Yazid a régné pendant trois ans : il a massacré la famille du Prophète dont il a fait décapiter les mâles et pris les femmes en captivité.
Savez-vous que des groupes de rebelles syriens donnent à leurs contingents les noms de ce Yazid et de son père ? Comment peut-on concilier l’islam avec des califes semblables ? Cela est la conséquence du grand malentendu qu’il y a dans la tête de ces musulmans, qui ne voient dans le passé que le prestige des victoires militaires. Ce sont ces dernières qui ont recouvert de prestige des califes sanguinaires et ont fait d’eux des modèles que les ahuris du djihadveulent égaler aujourd’hui. Ben Laden n’a pas interrogé le Coran pour savoir s’il avait le droit de détourner des avions remplis de civils innocents et de les lancer contre des bâtiments peuplés de civils innocents. Oussama Ben Laden est un pur produit des compilations de hadiths.
« Quand vous frappez sur la voie de Dieu, faites attention, et ne dites pas à celui qui vous dit paix : tu n’es pas un croyant… »« Quand vous frappez sur la voie de Dieu », signifie : quand vous êtes en pleine bataille – contre un ennemi qui a commencé lui-même la guerre. Même dans ces cas, le verset enseigne au musulman qu’il n’a pas le droit de tuer son adversaire si celui-ci dit paix et dépose son arme. Si vous rappelez aux djihadistes les rudiments des lois coraniques, ils s’empressent de vous répondre par des hadiths et par des traditions qui remontent au Prophète et dans lesquelles on voit celui-ci tuer les prisonniers et massacrer les juifs. Ces abominations que les musulmans eux-mêmes ont imputées à leur Prophète, le Coran les récuse catégoriquement. Elles sont le fruit de la vassalité et de l’absence de scrupules des oulémas.
Les musulmans européens font un grand tort à leur religion en la réduisant au port du voile et à la viande halal. Il y a dans le Coran des valeurs plus importantes que la prière, le ramadan et le pèlerinage réunis. « Dieu ordonne la justice, la bienfaisance… » Il est rare dans le Coran qu’un verset prenne un ton aussi solennel pour énoncer les priorités. Dans les compilations de hadiths, il n’y a aucun chapitre qui évoque la justice.
Si on juge à l’aune du seul Coran, un pays comme la Norvège est cent fois plus musulman que l’Arabie saoudite.
Ali Malek, écrivain né en Algérie, a commencé à publier des nouvelles et des romans aux éditions Barzakh, à Alger. En France, il a publié deux romans aux éditions Non Lieu, « Une terre bénie de Dieu » (2006), qui évoque les années de guerre civile, et « La Mise à pied » (2014), une parabole sur l’Algérie contemporaine.
* Ali Malek, écrivain algérien