Selon le site d’information en ligne Damas Post, Bachar al-Assad, commandant en chef de l’armée et des forces armées syriennes, a promulgué ce jour un décret présidentiel qui « autorise » le retour dans l’armée des soldats, sous-officiers et officiers versés à la retraite, ayant démissionné, bénéficié d’une dispense ou mutés à une fonction civile de l’Etat. En rejoignant leurs casernes, ils pourront récupérer le grade atteint au moment de leur départ si celui-ci est intervenu depuis moins de 3 ans.
Le site All4Syria, qui rapporte la même information, estime que « l’autorisation » est plutôt une mesure d’urgence et que le décret se justifie par « l’important déficit » en hommes dont souffre aujourd’hui l’armée régulière. Il indique que ce déficit n’a été que momentanément compensé par l’appel à l’aide lancé en direction du Hezbollah, d’autant que celui-ci a discrètement commencé à se désengager de Syrie pour tout un ensemble de raisons. Il a subi des pertes importantes lors de ses confrontations avec l’Armée syrienne libre. Il n’est pas satisfait du comportement à son égard des militaires syriens, qui le laissent régulièrement seul en première ligne jusqu’au moment de récolter les fruits de ses victoires. Il est contraint de prendre en considération la situation intérieure au Liban, où la réouverture du dossier de l’assassinat de Rafiq al-Hariri fait peser sur lui une pression supplémentaire dont il se serait volontiers dispensé.
Cette décision présidentielle montre aussi que les autres mercenaires auxquels Bachar al-Assad a fait appel au fil des mois, depuis qu’il a entrepris de répondre par la force des armes aux Syriens réclamant liberté et dignité, n’ont pas suffi à lui assurer la victoire militaire décisive, constamment annoncée imminente. Ni les chabbiha, dont les atrocités sur les populations civiles ne sont pas étrangères à l’arrivée en Syrie de milliers de djihadistes, ni les Forces de défense nationale, dont le nom masque la totale soumission aux intérêts du seul pouvoir en place, ni les autres phalanges constituées sur des bases confessionnelles afin d’assurer la survie du « défenseur des minorités », ni les chiites recrutés et rémunérés pour venir défendre, depuis l’Irak, l’Iran, le Yémen, le Pakistan ou l’Afghanistan, le « seul pouvoir laïc de la région »… ne lui ont permis de faire pencher en sa faveur le rapport des forces.
Faute de pouvoir compter sur un nombre significatif de combattants russes, il a donc entrepris de battre le ban et l’arrière ban des anciens militaires capables de porter les armes, dont la sortie récente de l’armée n’exigera pas un trop long recyclage. Ses besoins en hommes sont tels que le décret invite à revêtir à nouveau l’uniforme des officiers précédemment mis à pied pour fautes professionnelles graves, pour raisons de santé ou transférés, à titre de punition, à des fonctions administratives civiles…
Ce développement semble accréditer les « données terrifiantes » sur « la situation militaire du régime après mille jours de conflit », contenues dans un rapport récemment diffusé sous le timbre de la « direction conjointe de l’Armée syrienne libre », une structure en principe disparue à la faveur de la mise en place, en novembre 2012, du Haut Etat-major dirigé par le général Salim Idriss. Sachant que l’armée régulière était forte, au début du conflit, de quelque 300 000 hommes, ce rapport disponible en arabe et en anglais évalue, avec une marge d’erreur de plus ou moins 5 %, à
– 189 000 (soit 61 % des effectifs de l’armée) le nombre des militaires recherchés par la Sécurité militaire pour défection, désertion ou refus de rejoindre leurs casernes. Il s’agirait de 6 000 officiers, 7 500 sous-officiers et 175 500 hommes de troupes appartenant à toutes les communautés ;
– 3 000 le nombre d’officiers déserteurs réfugiés dans des camps spéciaux en Turquie et Jordanie, et 3 700 celui des officiers déserteurs restés en Syrie ou coopérant, sans avoir déserté, avec la révolution ;
– 40 000 au maximum (13 % des effectifs de l’armée) le nombre des militaires aptes au combat sur lesquels Bachar al-Assad est en mesure de faire appel avec une totale confiance. Appartenant pour la plupart à la Garde républicaine et aux Forces spéciales, ils sont en majorité membres de la communauté alaouite ;
– 38 000 le nombre des militaires présents dans les casernes mais que le régime s’abstient d’engager dans les combats de crainte de les voir déserter. Ils appartiennent eux aussi à toutes les communautés ;
– 24 000 le nombre des officiers (70 % de ce corps) n’ayant pas déserté, qui sont majoritairement alaouites ;
– 60 000 le nombre des militaires disparus (19 % de l’effectif de l’armée). Certains d’entre eux sont morts et ont été enterrés dans des fosses communes. D’autres sont détenus au secret dans les prisons militaires. Le sort des derniers est inconnu ;
– 3 500, dont 145 alaouites, le nombre des officiers détenus dans leurs casernes, en prison ou dans les geôles des services de renseignements pour avoir refusé d’obéir aux ordres d’ouvrir le feu et de tirer sur les civils ;
– 4 500 et plus le nombre des sous-officiers de toutes confessions détenus dans les mêmes conditions et pour les mêmes raisons ;
– 65 000 le nombre des conscrits et des rappelés détenus dans les prisons militaires pour n’avoir pas répondu aux appels sous les drapeaux ;
– 135 000 et plus le nombre des membres de l’armée et des services de sécurité tués depuis le début du conflit. Parmi eux 68 000 (51 % du nombre des victimes) appartenaient à la communauté alaouite ;
– 40 à 50 le nombre des militaires de toutes confessions tués chaque jour sous la torture, et inhumés sous de simples numéros dans des fosses communes ;
– 125 000 à 130 000 le nombre des militaires, agents des moukhabarat, membres des milices populaires ou des chabbiha, blessés, estropiés ou invalides. De 90 000 à 100 000, soit autour de 75 % d’entre eux, sont originaires de la région côtière ;
– 45 000 au maximum le nombre des hommes actuellement engagés dans l’armée de défense nationale, les comités populaires et les chabbiha. Ils sont voués à constituer le gros des victimes, faute d’avoir été sérieusement et longuement formés à l’utilisation d’armes autres que légères ;
– 40 000 et plus le nombre des combattants chiites extrémistes non syriens, rémunérés pour suppléer au déficit en hommes de l’armée régulière.
Environ 60 % d’entre eux sont des mercenaires civils, rapidement entrainés. Ils proviennent d’Irak, d’Iran, du Liban et de Syrie même ;
– 277 le nombre des appareils de l’armée de l’air abattus, détruits dans leurs hangars ou hors d’usage. Sur 340 chasseurs, bombardiers et hélicoptères en état de voler au début du conflit, seuls 63 le sont encore aujourd’hui. Près de 30 % des 25 avions de transport, hélicoptères non adaptés aux combats et avions de reconnaissance sans pilote, sont actuellement en panne ou hors de service ;
– 7 le nombre des aéroports militaires pris par l’Armée libre ou ses alliés, encerclés ou inutilisables. L’un d’entre eux est utilisé comme caserne ;
– 2 200 le nombre des chars ou véhicules blindés de divers types partiellement ou totalement détruits. L’armée syrienne possédait 3 600 véhicules de ce type il y a trois ans. Sur les 1 400 qu’il lui reste, 20 % environ sont hors de service, par suite de pannes techniques ou par manque de pièces de rechange ;
– 65 % le pourcentage des centres de défense aérienne, de stations de radar et de lance-missiles totalement ou partiellement détruits. Ils sont situés dans les régions nord, est et sud, et autour de la capitale. Les centres situés dans la région centre ont été moins affectés. Ceux situés sur la côte sont tous en état de marche ;
– 55 % le pourcentage des forces de la défense aérienne hors service ;
– 65 % le pourcentage des édifices militaires détruits en général, y compris les matériels et les équipes ;
– 69 % le pourcentage de superficie du territoire national échappant à l’autorité du régime. De ce chiffre, 46 % est totalement passé sous le contrôle de l’Armée syrienne libre, 10 % est contrôlé soit par l’ASL, soit par d’autres forces, et 13 % est contrôlé de jour par le pouvoir et la nuit par l’ASL ;
– 65 % à 70 % le pourcentage des édifices sécuritaires détruits ou hors de service. Ce chiffre englobe les bâtiments, les équipements, les matériels, les équipes et les véhicules.
Ces chiffres sont évidemment à prendre avec précaution, mais ils pourraient être proches de la réalité. Ils expliqueraient alors le besoin qu’éprouve le régime de faire appel à des combattants de préférence chiites, en provenance de pays étrangers, qui sont désormais plus nombreux que les djihadistes sunnites…
Si Bachar al-Assad est aujourd’hui capable de reconquérir certaines positions, en profitant de la guerre lancée contre D’aech – l’Etat islamique d’Irak et du Levant – par les brigades de l’Armée libre et certaines unités islamistes, ce n’est certainement pas à son armée qu’il le doit mais au renfort de ces supplétifs accourus à son secours à la demande et grâce aux financements de l’Iran. La coopération militaire entre le régime syrien et le régime des mollahs ne contribue pas seulement à la survie de Bachar al-Assad, mais elle prolonge les souffrances de la population syrienne. Elle justifie donc les conditions de dernière minute mises par la Coalition nationale à sa participation à la Conférence de « Genève 2 » : elle n’acceptera de siéger à Montreux en présence de l’Iran, désormais invité par Ban Ki-Moon à l’inauguration de cette Conférence, qu’à trois conditions… à satisfaire avant lundi 20 janvier à 19h00 GMT. Les Iraniens doivent non seulement reconnaître les principes du communiqué de « Genève 1 » et s’engager à ne pas faire obstacle à ce qui pourrait sortir des éventuelles négociations de « Genève 2 », mais ils doivent aussi commencer immédiatement à rappeler les combattants dont ils sont responsables à la fois de la présence en Syrie et des crimes qu’ils commettent, au nom de Bachar al-Assad et à son profit, contre la population syrienne.
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L’Iran ayant finalement refusé ces conditions et exigé de siéger à Montreux sans accepter les principes de « Genève 1 », le secrétaire général de l’ONU a retiré l’invitation qu’il lui avait adressée. La Coalition nationale a donc confirmé sa présence, mercredi 22 janvier, lors de l’ouverture d’une Conférence, dont elle attend qu’elle « débouche sur une transition politique, à commencer par la formation d’une instance gouvernementale de transition dotée des pleins pouvoirs exécutifs sur toutes les institutions de l’Etat, y compris l’armée, les services de renseignements et les services de sécurité, dont les responsables et les auteurs des crimes commis contre le peuple syrien ne feront pas partie ».