L’ÉCLAIRAGE
C’est un ministre ayant suivi de près cette affaire épique qui le dit : le retour des otages de Aazaz après 530 jours de captivité marque le début d’une nouvelle étape dans l’histoire de la région, qui suit l’accord américano-russe sur la nécessité de mettre un terme à la crise syrienne à travers d’abord la destruction des armes chimiques, puis la tenue de Genève 2 le 23 novembre prochain. Genève 2, qui regroupera les deux parties en conflit, le régime et l’opposition, l’émissaire onusien Lakhdar Brahimi ayant été du reste chargé de déterminer la liste des présents, dont l’Iran fera certainement partie.
La libération des pèlerins de Aazaz s’accompagne aussi du réchauffement du climat dans les relations américano-iraniennes. La dernière réunion entre l’Iran et le G 5+1 à Vienne s’est déroulée dans une atmosphère positive concernant le dossier nucléaire. Par ailleurs, Washington souhaite réussir une certaine avancée dans les négociations israélo-palestiniennes. Le secrétaire d’État John Kerry a ainsi exprimé sa volonté de participer aux négociations pour leur donner un coup de fouet, après une demande dans ce sens formulée par les Palestiniens.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le retour à la lumière des otages de Aazaz ; c’est-à-dire à l’heure où tous les dossiers en suspens commencent à faire l’objet d’un dialogue. La participation de la Turquie, du Qatar et des Palestiniens à la solution est en soi la preuve que c’est une grande décision qui a permis la libération des otages ; quand bien même le régime syrien n’a pas tenu ses promesses et n’a pas libéré les détenues syriennes. Il avait pourtant promis au directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, de faire tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer à la libération des pèlerins, en signe de reconnaissance envers le Hezbollah pour sa participation aux combats à ses côtés sur le territoire syrien. Cependant, des développements de dernière minute semblent avoir entravé la libération des prisonnières syriennes. Des sources du 14 Mars estiment ainsi que le régime syrien souhaiterait procéder à une vaste opération de chantage en direction de l’État libanais par le biais de ce dossier, en vertu de l’équation suivante : la libération des prisonnières en échange d’une série de « preuves de docilité » de la part du Liban vis-à-vis du régime…
De sources des milieux financiers et économiques qui se trouvaient récemment à Washington dans le cadre des réunions annuelles de la Banque mondiale, et qui ont donc rencontré des responsables au sein de l’administration US, confirment que l’ouverture américaine sur l’Iran est sérieuse. Washington attend donc de voir quel sera le degré d’ouverture de Téhéran sur la communauté internationale. Les sanctions économiques US continueront d’être appliquées dans une première phase, dans la mesure où elles s’avèrent donner de bien meilleurs résultats que n’importe quelle pression d’ordre politique ou militaire, selon les responsables américains. Ces mêmes responsables soulignent la possibilité d’une solution à la crise syrienne par le biais d’un accord avec Moscou et affirment apprécier la coopération du régime avec les Russes dans le cadre du processus de destruction des armes chimiques. Ils expriment de même un souci particulier pour le cas libanais et les répercussions de la crise syrienne sur ce pays, notamment aux plans économique, financier et sécuritaire, en souhaitant que le statu quo actuel se maintienne. Mais ils insistent cependant sur la nécessité de former un cabinet pour que le Liban puisse enfin bénéficier d’un gouvernement doté de l’ensemble de ses prérogatives… Un cabinet qui bénéficierait de « leur soutien », sans rentrer dans les détails.
Pour le ministre sortant de l’Intérieur, Marwan Charbel, toutes les parties ont admis qu’il existe des lignes rouges infranchissables pour éviter une détérioration de la situation, déjà extrêmement précaire. Selon lui, la libération des otages permettra d’immuniser davantage la scène locale au plan sécuritaire et d’accélérer le plan pour Tripoli. De même, cet événement pourrait enfin dynamiser le dossier de la formation du cabinet, comme le montrerait la réunion de samedi entre Nabih Berry et Fouad Siniora, preuve flagrante, selon un observateur avisé, de l’avis des deux parties de mettre fin à la rupture et résoudre les dossiers en suspens. Et c’est bien une dynamique qui aurait été initiée loin des projecteurs pour résoudre la question du gouvernement, par le Premier ministre désigné et le président de la République, dont les résultats devraient être révélés dans les jours à venir. Les deux hommes sont en effet plus que jamais convaincus que l’ampleur de la situation nécessite un cabinet responsable capable d’interagir avec la communauté internationale et les instances internationales pour régler différents dossiers, dont celui des déplacés syriens. Ce nouveau cabinet ne vivra pas d’ailleurs plus de six mois, soit jusqu’à la fin du mandat Sleiman, rappellent les observateurs. Il s’agit donc d’un cabinet de transition en attendant que l’élection présidentielle ait lieu dans les délais impartis.
Certaines parties politiques réclament dans ce cadre l’organisation des législatives avant la présidentielle, afin que ce soit la nouvelle Chambre qui élise le nouveau président, compte tenu du fait de la violente polarisation actuelle entre le 14 Mars et le 8 Mars. Des sources politiques affirment ainsi que les capitales étrangères mijoteraient dans ce sens une série d’initiatives pour rapprocher les parties en présence et mettre fin au clivage actuel, en favorisant le courant des modérés et des indépendants, et en les aidant à se manifester davantage. Aussi un responsable européen, dont les propos sont relayés par un responsable local, affirme-t-il qu’il n’y a pas de place sur la scène libanaise pour le radicalisme et que les prochains présidents de la République et du Conseil seront inéluctablement des modérés et des indépendants, loin des camps politiques rivaux…