Une quinzaine de personnalités politiques syriennes, indépendantes ou représentant de partis, organisations et mouvements, ont diffusé un texte en 10 points dont elles espèrent que, comme il l’a fait parmi elles, il obtiendra un large consensus dans les rangs de l’opposition.
1 / Révolution de la liberté, de la dignité et de la justice entamée au mois de mars 2011, la révolution syrienne doit l’emporter quels que soient les sacrifices à consentir. Elle doit renverser le régime en place, autoritaire, criminel et corrompu, qui n’a pas sa place dans la Syrie de l’avenir.
2 / Née de la résistance armée imposée à notre révolution populaire pacifique par les crimes du régime, l’Armée Syrienne Libre est un pilier essentiel de la révolution. Il ne faut ménager aucun effort pour unir ses rangs et l’organiser sous un commandement militaire légitime. Celui-ci doit être soumis à l’autorité politique, de manière à garantir de sa part le respect des objectifs de la Révolution : le renversement du régime et l’édification d’un Etat civil démocratique. Nous exprimons ici notre refus de toute idéologie radicale adventice, dont les buts ne peuvent qu’être en contradiction avec ceux de la révolution syrienne : la liberté, la dignité, la justice, l’égalité entre tous les Syriens et la mise en place d’un Etat démocratique civil moderne.
3 / Mus par leur attachement à la patrie et la solidarité humaine, les Syriens aimant leur pays ne doivent lésiner sur aucun moyen susceptible de mettre un terme aux souffrances du peuple, interrompre l’effusion de sang, protéger l’unité du territoire et du peuple syrien, préserver le pays des destructions supplémentaires que cherche à lui imposer le régime, et empêcher les agressions extérieures. Cela nous impose à tous d’envisager avec le plus grand sérieux les possibilités de solution politique, en accord avec le contenu des deux documents adoptés par le Congrès de l’opposition syrienne tenu au Caire en juillet 2012 : le document d’Entente nationale et les Caractéristiques de la période intérimaire.
4 / Nous nous considérons nous-mêmes engagés par ces deux documents. Ils ambitionnent de faire de la Syrie de l’avenir un Etat civil démocratique pluraliste moderne, fondé sur la citoyenneté et les libertés. Tous les citoyens de cet Etat, les femmes comme les hommes, participent à sa réalisation et y disposent des mêmes droits et des mêmes devoirs, sans nulle distinction religieuse, confessionnelle, ethnique ou politique. Nous demandons avec insistance à tous les signataires de ces deux documents de réaffirmer leur engagement à respecter ce qui y figure.
5 / Nous considérons comme une obligation nationale d’une extrême importance, dans la période que traverse actuellement la lutte du peuple syrien, de préserver la Coalition Nationale des Forces de la Révolution et de l’Opposition syrienne et de remédier à ses défauts de fonctionnement. Il est nécessaire de l’élargir pour la rendre plus équilibrée et préserver l’entente nationale plus que jamais indispensable. La Coalition se doit d’institutionnaliser son action et de faire tout ce qui est en son pouvoir pour assumer les missions fondamentales qu’elle s’est fixées. Elles visent à soutenir la résistance du peuple syrien à l’intérieur du pays et à l’extérieur.
6 / Nous estimons que l’ensemble des forces ayant opté pour la révolution, qu’elles soient politiques, sociales ou engagées sur le terrain, doivent serrer les rangs. Elles doivent unifier leurs discours. Elles doivent veiller avec le plus grand soin à établir un consensus national sur l’ensemble des questions figurant sur l’agenda de la révolution syrienne, de l’étape intérimaire à l’instauration des règles du nouvel Etat que nous appelons de nos voeux. Nous demandons donc à tous de renoncer aux compétitions partisanes ou catégorielles, de se défaire de la logique de suprématie, de l’égoïsme et de la volonté de revanche, jusqu’au moment où la nation en aura fini avec le drame actuel. Ayant contribué à la victoire de la révolution et à la construction du nouveau pacte national, il sera possible à tous d’insérer la légitime concurrence politique dans le cadre de l’Etat civil démocratique pluraliste moderne.
7 / Nous croyons à la nécessité de faire revivre, de développer et d’unifier le courant démocratique civil au sein et hors de la Coalition, sans autre réserve préalable que sur la base de l’engagement envers les objectifs de la révolution.
8 / Le projet national incarné dans la victoire de révolution de la liberté et de la dignité et dans la réalisation de l’avenir souhaité appartient à tous les Syriens, y compris ceux qui travaillent dans l’appareil de l’Etat, les membres du Parti Baath et les autres forces politiques, civiles et sociales n’ayant pas trempé dans les crimes commis contre les fils du peuple syrien. Ils sont tous invités à participer à ce projet, mais ni Bachar al-Assad, ni les piliers de son régime ne peuvent les représenter.
9 / Nous pensons que toute prise de distance avec ce régime est un acte noble, un sacrifice qui mérite estime et considération. Tous doivent contribuer à faciliter les défections et à accueillir les déserteurs dans les rangs de la révolution, en leur offrant le soutien et les aides dont ils ont besoin.
10 / Le comportement criminel du régime confronté à la révolution pacifique de notre peuple a abouti à rendre la situation en Syrie de plus en plus complexe et l’ont soumise à la contradiction des intérêts et des projets régionaux et internationaux. Nous croyons qu’il est du devoir de tous les Syriens de préserver l’indépendance de la décision nationale, et d’édifier les relations de la révolution syrienne et de l’Etat syrien aux plans régional et international sur une base solide de principes moraux et humains et d’intérêts partagés.
Signataires :
– Riyad Seif (Coalition Nationale),
– Tawfiq Dounya (Coalition Nationale),
– Nada al-Khach,
– Walid al-Bounni (Coalition Nationale),
– Al-Hareth al-Nabhan (Coalition Nationale),
– Jaber Zou’ayyen (Comités Locaux de Coordination),
– Bassam Yousef (Mouvement Ma’an / Ensemble),
– Oqab Yhaya (Bloc National Démocratique),
– Mouwaffaq Nayrabiyyeh (Courant Mouwatana / Citoyenneté),
– Qasem al-Khatib (Union Socialiste Arabe),
– Tha’er Mousa (Congrès Koullou-na Souriyyoun / Nous sommes tous Syriens),
– Chadi al-Khach (Courant de l’Union Nationale),
– Al-Mou’tasem al-Sioufi (Organisation Générale de la Révolution),
– Rima Fleihan (Comités Locaux de Coordination).
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Ce texte est bienvenu.
Il répond à distance aux manifestants qui, lors de rassemblements le vendredi 10 mai, ont à nouveau réclamé à l’opposition syrienne de « s’unir et travailler ensemble ».
Il confirme que, si la répression a suscité une violence en retour, exacerbé des haines confessionnelles et provoqué des crimes injustifiables, ceux-ci ne résument pas, comme le régime et ses épigones n’ont de cesse de le faire accroire, les objectifs et les modes de fonctionnement de la révolution à laquelle ils sont d’ailleurs assimilés à tort et qui les condamne.
Il montre que les forces de l’opposition et de la révolution sont porteuses d’un projet politique clair et précis, qu’elles sont conscientes de leurs faiblesses et de leurs erreurs et qu’elles entendent y remerdier.
Il affirme que ces forces sont ouvertes à un solution politique, pour abréger les souffrances imposées à la population par le choix de la violence fait dès la première heure par le pouvoir en place.
Il rappelle que les documents du Caire sont la seule référence agréée en commun par l’opposition de l’intérieur et de l’extérieur, ce qui suggère que l’Accord de Genève, muet sur le sort de Bachar Al Assad qui porte la responsabilité directe du drame actuel et ne peut donc faire partie d’une solution, ne peut constituer en l’état une base de négociation.
Il encourage ceux qui le peuvent à déserter et tend la main aux fonctionnaires de l’Etat, aux membres du Parti Baath, aux militants des autres composantes du Front National Progressiste et à l’ensemble de leurs compatriotes n’ayant pas apporté leur concours à la répression et aux crimes du régime.
Il considère dangereuse la politique de la table rase prônée par certains opposants et invite plutôt à remédier aux insuffisances de la Coalition Nationale, qui doit s’élargir pour inclure l’ensemble des tendances politiques sans exclusive et qui doit améliorer ses modes de fonctionnement.
Il refuse d’opposer les courants les uns aux autres, mais estime nécessaire de renforcer le courant démocratique civil face au courant démocratique islamique, qui est invité à ne pas faire de sa popularité un moyen de suprématie et d’hégémonie au sein de la Coalition, le temps de la révolution n’étant pas celui de la compétition politique.
Il évite, ce faisant, les formulations polémiques et les accusations calomnieuses qui ont contribué, au cours des dernières semaines, à offrir une piètre image de l’opposition et qui ont fourni à certains « Amis du Peuple Syrien » un prétexte supplémentaire pour ne pas traduire en actes leurs engagements envers la révolution.
Il souligne que l’Armée Syrienne Libre, qui doit elle aussi s’unifier et se restructurer, est et ne peut être que le bras armé du projet politique porté par l’ensemble des révolutionnaires : le renversement de l’Etat de barbarie et son remplacement par un Etat démocratique moderne, civil, égalitaire et pluraliste.
Il conclut sur un appel à la vigilance face aux tentatives de certains Etats de conditionner leur soutien politique et leurs aides matérielles, pour peser sur le déroulement des combats et pour infléchir le cours des évènements dans un sens ne correspondant aux intérêts ni de la révolution, ni de la Syrie future.
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Tout cela ne constitue pas une nouveauté. Mais un tel rappel était nécessaire au moment où l’enlisement militaire impose plus que jamais la recherche d’une solution politique. La présence parmi les signataires de personnalités aussi modérées et respectées que Riyad Seif, Mouwaffaq Nayrabiyeh ou Rima Fleihan, pour ne citer qu’elles, doivent permettre de réaliser autour de ce texte un large consensus, dans les rangs des révolutionnaires et des opposants, en Syrie et hors de Syrie.
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