Par Laure Mandeville
INTERVIEW – Le sénateur américain dénonce le rôle de Moscou et prédit un « printemps russe ».
Avant la première visite de François Hollande à Washington, le sommet du G8 à Camp David et celui de l’Otan à Chicago, le sénateur républicain de l’Arizona, ancien candidat à la Maison-Blanche, répond aux questions du Figaro.
LE FIGARO. – Budgets militaires en voie de réduction, lassitude de la guerre, eurozone dans la tempête: craignez-vous une Alliance atlantique qui se replie sur elle-même au sommet de Chicago?
Sénateur John McCAIN. – Je crains l’influence de la crise économique et de nouvelles coupes dans des budgets de défense, déjà beaucoup trop bas. L’année dernière, on a fixé un objectif de 2 % du budget des États membres de l’Otan pour les dépenses militaires, et pratiquement aucun d’eux n’y parvient. C’est compréhensible, vu les énormes difficultés que les alliés traversent. Mais l’opération en Libye a montré que, si l’Otan a des capacités militaires intéressantes, nous avons de graves lacunes sur le matériel de soutien.
Les coupes dans le budget militaire américain ne vont pas aider!
Certaines de ces coupes sont compréhensibles, vu notre retrait d’Irak et d’Afghanistan. Mais des réductions forcées seraient dévastatrices pour notre potentiel. Certains d’entre nous travaillent dur aujourd’hui pour limiter ce risque.
Êtes-vous choqué que la Syrie ne soit pas sur l’agenda de Chicago?
Ce n’est pas seulement décevant et triste. Quelque 10.000 civils syriens ont été massacrés au cours d’un combat injuste par le régime d’el-Assad avec l’aide d’armes russes et de combattants iraniens sur le terrain. Et les États-Unis refusent d’aider! Certains pays du Golfe, menés par l’Arabie saoudite, vont fournir des armes aux insurgés. Mais le besoin de leadership américain reste criant. On pourrait organiser une zone «sanctuaire» pour la résistance et lui fournir des armes, mais l’Amérique refuse. C’est un épisode honteux de notre histoire. Le «leadership en coulisses» du président Obama montre qu’il ne croit pas à l’exceptionnalisme américain.
Vous avez donné des armes aux Afghans dans le passé, et on a eu les talibans. N’y a-t-il pas un risque de déstabilisation en Syrie?
En Afghanistan, l’erreur n’a pas été de donner des armes à la résistance pour repousser les Soviétiques. L’erreur a été d’abandonner les Afghans pendant une décennie après le départ russe.
Que se passera-t-il en Afghanistan avec le retrait prévu en 2014?
Cela m’inquiète. Regardez l’Irak. Nous n’avons pas laissé un contingent résiduel, contrairement à ce qui avait été envisagé. Et maintenant la situation se détériore: nous avons gagné la guerre, mais nous sommes en train de perdre la paix. Les pays de la région en tiennent compte. Je peux vous citer aussi cette phrase d’un prisonnier taliban à l’Américain qui l’interrogeait: «Vous avez vos montres, nous avons tout notre temps.»
François Hollande devrait confirmer à Chicago le retrait anticipé des troupes françaises à la fin 2012. Est-ce un mauvais coup pour l’Alliance?
Encore une fois, le président américain ne cesse de dire que nous partons. Les Français ne veulent pas être les derniers à quitter l’Afghanistan! Ceci dit, le partenariat stratégique avec l’Afghanistan qui a été signé par le président Obama, et qui sera présenté à Chicago, est un pas positif, important pour changer de perception dans la région s’il est mis en œuvre.
Sous Sarkozy, la France a été un partenaire actif, notamment en Libye. Craignez-vous une France moins engagée?
Il ne serait pas convenable pour moi de prononcer un jugement sur le choix des Français, qui ont voté pour de nouvelles orientations. C’est à nous, États-Unis, de faire en sorte que nous nous coordonnions mieux dans ce monde dangereux. Mais je fais crédit au président Sarkozy d’avoir œuvré pour renforcer l’alliance entre les États-Unis et la France.
Beaucoup d’experts notent qu’Obama a largement prolongé la politique extérieure de George W. Bush, éliminant Ben Laden et continuant la guerre des drones contre les terroristes. Pour vous, il a été vraiment mauvais?
Je sais gré au président d’avoir donné l’ordre d’élimination d’Oussama Ben Laden. Mais je pense aussi que n’importe quel autre président aurait pris la même décision. Pourquoi s’en vanter autant? Les héros que j’ai rencontrés ne se vantaient pas. Quand je voyage à travers le monde, j’entends les responsables étrangers dire que l’Amérique est faible et qu’elle se replie. Bien sûr que les Américains veulent un retrait d’Afghanistan, les Français aussi! Mais nous ne devrions pas oublier que l’Afghanistan a été le lieu d’où est partie l’attaque du 11 Septembre.
Le fait que Poutine ne vienne pas au G8 est-il un camouflet pour le président?
C’est un manque de respect. Les États-Unis ne veulent pas d’une confrontation avec la Russie. Notre président a tout fait pour relancer la relation avec Moscou, beaucoup plus que je n’aurais fait à sa place, appuyant sans fin sur le bouton du «redémarrage». Mais M. Poutine continue de se comporter de manière très bizarre. Il continue à être obsédé par le projet de défense antimissiles, il s’acharne à poser son veto, avec les Chinois, aux résolutions du Conseil de sécurité sur la Syrie, ce qui dégrade son image dans le monde arabe. Je pense que le mécontentement en Russie va augmenter et qu’un «printemps russe» viendra à Moscou. Une vague énorme de changement est en cours à travers le monde, et nous, Américains, devons être du bon côté de l’histoire, même si nous avons des inquiétudes sur ce qui vient après. Bien sûr que le risque de radicalisation existe. Mais il est d’autant plus grand que les droits des peuples sont trop longtemps réprimés. Cela ne veut pas dire que l’Amérique doit déclencher des actions militaires partout. Cela veut dire que nous devons créer des coalitions et jouer notre rôle de leader. Encore une fois, la situation syrienne exige un leadership américain.
Êtes-vous préoccupé par la tendance isolationniste de votre parti? Romney aura-t-il les moyens d’une diplomatie plus engagée s’il est élu?
L’isolationnisme grandit dans mon propre parti. Mais c’est une question de leadership. Pendant la crise bosniaque, le président Clinton s’est adressé à l’Amérique pour expliquer qu’on ne pouvait pas laisser massacrer un peuple au milieu de l’Europe. Nous y sommes allés. C’était notre obligation morale.
Êtes-vous inquiet de la crise européenne et d’une possible disparition de l’euro?
Je pense tout le temps à la situation de l’Europe. Mais je suis encore plus inquiet du fait que nous puissions être rattrapés par un scénario similaire en Amérique si nous ne réformons pas notre système de protection sociale. L’État ne peut se permettre de subventionner les gens s’il n’en a plus les moyens. J’espère que nous tirerons les leçons de la crise européenne, et que l’Europe le fera aussi.
Qui gagnera la présidentielle américaine?
Un récent sondage place Romney en tête de 3 points. Mais cela va être très serré et se jouera dans sept ou huit États, comme l’Ohio, la Pennsylvanie ou le Nevada. Ce seront les indépendants qui décideront, et beaucoup n’ont pas encore fait leur choix.