Depuis cet été, les Etats-Unis ont joué un rôle plutôt constructif dans le soutien à l’opposition syrienne. Contrairement à la Russie et la Chine (dont les drapeaux sont régulièrement brûlés par des Syriens depuis que les deux pays ont posé leur veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant le régime d’Assad pour les atrocités commises), Washington est populaire auprès de l’opposition syrienne. Bien qu’il ait fallu attendre sept mois et la mort d’environ 2000 manifestants, le président Obama a, en août, sommé Assad de se retirer. Depuis lors, en plus de l’impressionnant arsenal de sanctions multilatérales mises en œuvre contre Damas en matière d’énergie, l’administration (via son ambassadeur en Syrie, Robert Ford, rappelé le week-end dernier en raison des menaces sérieuses dirigées contre lui) a très clairement marqué le soutien de Washington aux opposants au régime.
Cependant, les mesures prises par l’administration américaine s’accompagnent d’un exercice de rhétorique moins encourageant dont il ressort clairement que le soutien américain à l’opposition syrienne est strictement conditionné. En prônant une opposition non-violente (même face aux violences importantes qu’elle subit), et en excluant explicitement la possibilité d’une intervention militaire, l’administration Obama établit une série d’attentes irréalistes – dont l’une qui établit une équivalence erronée entre violence et auto-défense, et qui limitent inutilement les options possibles pour les Etats-Unis si la situation en Syrie empirait.
En septembre, l’administration Obama a prévenu qu’elle retirerait son soutien à l’opposition si (malgré la mort de 3000 manifestants pacifiques) « elle prenait soudainement un caractère violent ou recourait au terrorisme» contre le régime d’Assad. Cette déclaration, faite par Robert Ford, conditionne le soutien américain au maintien du caractère non violent des manifestations. Mais alors que le conflit s’éternise et que le nombre de mort parmi les manifestants augmente, la militarisation du conflit devient un sujet de débat dans l’opposition. Et plus la répression se prolongera, plus les arguments en faveur de la violence prévaudront. Les récents assassinats en Syrie (du fils de Mufti, un proche du régime, et de plusieurs universitaires proches du régime) laissent penser que l’insurrection en prend déjà la direction.
Ce qui préoccupe Washington c’est que l’augmentation du taux de désertion dans l’armée, associée aux appels à la militarisation de l’insurrection de la part de l’opposition, va entraîner un conflit sectaire ou une véritable guerre civile en Syrie. Alors que les Etats-Unis peuvent légitimement ne pas vouloir entrer dans un nouveau conflit, il est à la fois étrange et inapproprié pour l’administration de donner des leçons aux Syriens sur la façon dont ils devraient ne pas se défendre. Même si l’administration avait raison de considérer que la militarisation de l’insurrection n’est pas la bonne solution, étant donné les atrocités perpétrées par le régime, prôner la non violence n’est ni réaliste, ni raisonnable. En effet, les Etats-Unis risquent de se retrouver dans une situation délicate si l’opposition décide de prendre les armes. En attendant, le fait que le principal soutien international de l’opposition n’approuve pas, et même menace de sanctionner, le recours à la violence contre le régime offre à Assad et ses acolytes une sorte de carte blanche.
En outre, l’administration Obama a éliminé la possibilité d’une future intervention internationale, comme en Libye. Et elle est même allée plus loin, exhortant l’opposition à « ne pas compter sur des tiers pour tenter de résoudre le conflit. » Contrairement à la Libye (qui était en quelque sorte un problème international nécessitant une intervention de l’OTAN) la révolte contre Assad est, selon l’ambassadeur Ford, « Un problème syrien qui a besoin de solutions syriennes ». Alors qu’il est légitime pour Washington de gérer les attentes relatives à l’étendue de l’engagement des Etats-Unis, il est hypocrite de la part de l’administration de déclarer (après avoir demandé à Assad de se retirer et d’avoir établi des sanctions sévères à cet effet) qu’il revient aux seuls Syriens de trouver des solutions au problème. Et quant à la possibilité d’une intervention, on ne voit pas l’intérêt pour Washington de limiter inutilement ses options. Après tout, si la situation continue à se détériorer, il peut arriver un moment où une intervention militaire multilatérale ou militaire deviendra nécessaire au nom du peuple syrien.
Il est clair que la Libye et la Syrie sont deux sujets différents. La principale différence, bien sûr, tient à l’environnement politique. Ni la Chine, ni la Russie, ni la Ligue arabe, ne souhaitaient défendre le régime de Kadhafi; ces états sont plus engagés avec Assad. Par ailleurs, au-delà de l’opposition syrienne (qui sollicite de plus en plus une protection) il y a peu d’appétit international pour une nouvelle intervention militaire. Néanmoins, concernant la Syrie, l’administration devrait tirer une leçon de la Libye. Deux décennies de sanctions n’ont pu mettre fin au règne tyrannique de Mouammar Kadhafi. La Syrie n’a pas les ressources pétrolières de la Libye, mais il faut en faire davantage pour s’assurer qu’Assad, comme Kadhafi, ne perdure pas. Plutôt que de dicter ce que l’opposition devrait faire et de jurer de ne pas intervenir militairement, l’administration ferait mieux de concentrer ses efforts pour mettre rapidement fin au régime. Sinon, pendant des années, les Syriens pourraient brûler des drapeaux américains en se demandant ce que fait Washington pour arrêter le massacre.
David Schenker est le chercheur Aufzien et directeur du Programme sur las politiques arabes à l’Institut de Washington.