Les minorités chrétiennes contraintes par la peur à soutenir les dictateurs

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Les récents affrontements, à connotation sectaire, entre les coptes et l’armée égyptienne ont contrarié les attentes élevées nées du printemps arabe. Les chrétiens arabes, en particulier, sont inquiets pour l’avenir, et leur angoisse se fait sentir dans leur appréciation de la répression partout au Moyen Orient.

Pour les chrétiens du Levant et d’Irak, le souci de sécurité de leur communauté au cours des dernières décennies les a conduits à faire une lecture fermée des affaires politiques. En tant que minorité, ils craignaient qu’un changement menace la stabilité, gage pour eux d’un certain répit. C’est pourquoi les chrétiens ont eu tendance à entretenir de bonnes relations avec les autocrates, que ce soit avec le régime d’Assad en Syrie, qui est dirigé par la minorité Alaouite, ou avec l’ancien régime de Saddam Hussein en Irak, dirigé par la minorité sunnite. Cela à entraîné des critiques sévères de la part de leurs frères chrétiens qui y voyaient une illustration de la soumission des dhimmis – les minorités protégées par l’islam.

Les chrétiens du Liban figuraient parmi les plus critiques. Ils constituent la communauté arabe chrétienne la plus puissante et représentent environ un tiers de cette population. La plus grande communauté chrétienne libanaise, les maronites, étaient à la tête de l’Etat et des services de sécurité avant la guerre civile de 1975, préservant habilement un statu quo en leur faveur. Les échecs et luttes internes des années de guerre, et le déclin démographique de la communauté, ont significativement réduit le statut des maronites.

La situation est différente en Egypte. Les Coptes étaient depuis longtemps en conflit avec les régimes d’Anouar el-Sadate et Hosni Moubarak, les accusant d’entretenir une discrimination envers la communauté copte. Pour eux, la « nouvelle » Egypte est porteuse de nouvelles inquiétudes ; la possible consolidation des forces islamistes pourrait entraîner une marginalisation accrue des coptes. Ceux-ci se sentent pris entre deux maux : un état apparemment immuable dans lequel les réalités politiques et administratives jouaient contre eux, et une société post-Moubarak en mouvement, dans laquelle des groupes islamistes et salafistes ouvertement hostiles aux chrétiens semblent gagner du terrain.

Le Liban offre sans doute la meilleure illustration des dilemmes auxquels sont confrontés les chrétiens arabes. Pratiquement toutes les communautés chrétiennes sont représentées dans le pays, et elles se trouvent à un moment crucial en termes de destin et survie démographique. Cela est apparu de manière flagrante, dans les façons contradictoires dont les chrétiens, les maronites en particulier, ont réagi à l’insurrection contre le régime du président Bachar Al Assad en Syrie.

D’un côté, il y a ceux des Maronites qui redoutent les conséquences de la chute de M. Al Assad. Leur argument repose sur l’idée que les minorités ont intérêt à s’allier entre elles contre la majorité sunnite. Ils pensent que s’il s’effondre, le régime alaouite sera remplacé par un régime sunnite islamiste. Les plus fervents défenseurs de cette position sont les hommes politiques Michel Aoun et Sleiman Franjieh qui ont récemment trouvé, en la personne du patriarche maronite Beshara Rai, un partenaire inattendu. Le président Michel Sleiman ne s’est pas opposé à cette position, même s’il ne l’a pas explicitement soutenue.

De l’autre, il y a ceux des maronites qui considèrent que la fin du régime d’Al Assad serait une aubaine pour les chrétiens. Ils font remarquer que personne n’a, mieux que le régime syrien, déstabilisé la communauté, et qu’une « alliance des minorités » conduirait à un suicide. Rien ne permet d’affirmer que les islamistes sunnites domineront la Syrie, et de toutes façons, cela n’a aucun sens pour les chrétiens d’être du côté de ceux qui mènent la répression de Damas contre ceux qui cherchent la liberté; d’autant moins que M. Al-Assad sera vraisemblablement renversé tôt ou tard.

Ceux qui défendent cette approche sont rassemblés, principalement, autour de Samir Geagea, le chef des Forces libanaises, et des politiciens chrétiens proches du Courant du Futur, à majorité sunnite, de l’ancien premier ministre Saad Hariri. Le prédécesseur du Patriarche Rai, le Cardinal Nasrallah Boutros Sfeir (91 ans), qui a pris sa retraite cette année, est apparu comme le parrain spirituel de cette coalition. Bien que soutenant le patriarche Rai en public, le cardinal Sfeir a eu quelques remarques ici et là révélant une philosophie très différente.

Le second point de vue est le plus sensé, bien que beaucoup de chrétiens puissent ne pas y adhérer. Il est insensé pour les chrétiens arabes de cautionner des tyrans qui massacrent leur peuple. Une telle politique consistant à miser sur le triomphe des assassins est un perpétuel jeu de roulette russe pour les chrétiens. C’est politiquement irresponsable et moralement répréhensible, surtout de la part de personnalités comme le Patriarche Rai, qui prétend parler au nom d’une religion de charité et d’amour.

En ce qui concerne leur avenir dans leurs pays respectifs, les arabes chrétiens n’ont d’autre alternative que de plaider en faveur d’un système pluraliste et démocratique protégeant les libertés sociales et politiques. Seul un tel cadre peut assurer aux chrétiens d’être acceptés pour leurs différences et les discordances qu’ils apportent, plutôt que d’être simplement tolérés jusqu’au prochain changement de coalition.

Si la communauté chrétienne du Liban a du mal à accepter cette conclusion, alors que le pays est plus libre et permissif que ses voisins, que peut-on attendre des communautés chrétiennes diminuées dans le reste du Moyen-Orient? Pire, si les chrétiens eux-mêmes sont désorientés, cela ne va-t-il pas encourager les extrémistes qui sont ouvertement hostiles à la présence chrétienne, même si les chrétiens sont peu nombreux?

Il y a une grande confusion dans le monde arabe aujourd’hui au moment où les révoltes défient des systèmes autoritaires délabrés. Les chrétiens s’inquiètent d’être encore plus marginalisés dans les transactions politiques historiques à venir. Leur salut est d’embrasser le changement porteur de liberté. Le chemin risque d’être difficile, car beaucoup définiront la liberté en niant celle des autres.

Traduit de l’anglais

http://michaelyoungscolumns.blogspot

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