LE MONDE
es experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), bras de l’ONU chargé de vérifier le respect des normes de non-prolifération, détiennent des documents indiquant que l’Iran a mené des travaux sur l’élaboration d’une ogive nucléaire et que ces efforts se sont poursuivis au-delà de l’année 2003, contrairement à ce qu’ont affirmé les agences de renseignement américaines en décembre 2007.
Ces éléments ont été exposés pour la première fois dans le détail, le 25 février, par le directeur général adjoint de l’AIEA, le Finlandais Olli Heinonen, lors d’une présentation à huis clos devant des représentants des missions étrangères auprès du siège de l’Agence, à Vienne. Depuis 2005, M. Heinonen pilote les équipes d’inspecteurs internationaux qui enquêtent sur le programme nucléaire de l’Iran. Son exposé est allé plus loin que le contenu du rapport transmis le 22 février par le directeur de l’AIEA, Mohamed ElBaradei, qui évoquait à la fois une meilleure coopération de l’Iran avec l’Agence et une « possible dimension militaire » du programme nucléaire iranien, sans se prononcer sur la nature de ce programme. L’exposé de M. Heinonen va aussi à l’encontre de la conclusion du rapport du renseignement américain de décembre 2007, selon lequel les travaux iraniens sur la mise au point d’une ogive nucléaire ont marqué un « arrêt » à l’automne 2003, sans reprendre depuis. Le rapport de M. ElBaradei ne se prononçait pas sur un tel « arrêt ».
La présentation de M. Heinonen a suscité une vive colère du représentant iranien, Ali Asghar Soltanieh, présent lors de la réunion. Ce dernier a parlé d’une falsification des documents et d’une tentative américaine de saborder la coopération entre l’Iran et l’AIEA. L’exposé portait sur trois projets iraniens : la conversion de dioxyde d’uranium (Green Salt Project), des études sur des explosifs de haute intensité et la mise au point d’un corps de rentrée de missile. Des documents ont été montrés sur des travaux portant sur des systèmes de mise à feu à haute tension et des détonateurs multiples pouvant se déclencher simultanément.
M. Heinonen a montré une description d’un système de détonateurs relié à une distance de 10 km à un puits de 400 m de profondeur. Selon les officiels iraniens, ce dispositif est destiné à tester des armes conventionnelles. Mais M. Heinonen a commenté que, d’après les renseignements en sa possession, la seule application possible était le développement d’une arme nucléaire. Il a en outre dévoilé des documents (schémas, photographies, planches, films) que l’AIEA n’avait jusque-là jamais soumis aux officiels iraniens. Ils concernent la fabrication d’une ogive nucléaire. L’un d’eux est un compte rendu établi par une équipe iranienne sur l’état d’avancement d’un projet de corps de rentrée de missile (projet « P111″). Il porte sur l’une des multiples étapes du projet, celle allant du 9 juillet 2003 au 14 janvier 2004, c’est-à-dire au-delà de l' »arrêt » dont parlait le rapport du renseignement américain.
Le compte rendu iranien s’ouvre sur une phrase en farsi : « Le destin ne change quiconque que s’il change le destin. » Le document détaille le développement d’une enceinte capable d’accueillir une arme pour tête de missile. Des croquis montrent la tête de missile intégrant l’arme, de forme sphérique, ainsi que des éléments électroniques. Des simulations mathématiques ont été faites. Les paramètres correspondent à ceux d’une tête de missile Shahab-3. M. Heinonen a présenté des animations montrant le fonctionnement du missile, et une séquence pouvant mener à une explosion à une altitude d’environ 600 m. Il a affirmé qu’une telle altitude n’était compatible qu’avec l’emploi d’une charge nucléaire, et que l’utilisation d’explosifs de type conventionnel, ou bien de charges chimiques ou biologiques, était exclue. M. Heinonen a projeté un film montrant sous différents angles les éléments de la tête de missile, ainsi que leur montage et des préparatifs pour des tests en laboratoire. Il a dit fonder sa présentation sur trois types de renseignements : des éléments fournis par les services secrets de plusieurs pays, des informations propres à l’Agence et des documents issus des réseaux d’acquisition auxquels l’Iran a eu recours.
A la sortie de cette réunion, l’ambassadeur britannique auprès de l’AIEA, Simon Smith, s’est dit frappé par le fait que « certaines des dates évoquées se situent au-delà de 2003 ». L’ambassadeur iranien, Ali Asghar Soltanieh, a de son côté accusé l’AIEA d’avoir outrepassé son mandat. Il a contesté l’authenticité des documents, affirmant que « n’importe quel étudiant » pourrait en être l’auteur.
Les affirmations de M. Heinonen signalent une différence de ton par rapport à M. ElBaradei, dont le rapport était plus ambigu. Cela semble confirmer l’existence de tiraillements au sein de l’AIEA entre, d’un côté, les experts vérificateurs techniques et, de l’autre, le directeur, qui revendique un rôle de « politique » et voue une farouche hostilité à l’administration Bush depuis les manipulations du renseignement qui ont précédé la guerre d’Irak en 2003. Le briefing de M. Heinonen est intervenu à l’approche de la réunion du Conseil des gouverneurs de l’Agence, qui s’ouvre lundi 3 mars à Vienne. Il précède aussi un vote prochain, à l’ONU, sur un nouveau train de sanctions contre la République islamique.
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article/2008/03/01/
l-aiea-detient-des-preuves-que-l-iran-a-mene-
un-programme-nucleaire-militaire-apres-2003_1017661_3218.html#ens_id=677013