Sylviane ZEHIL
Des spécialistes internationaux devraient être déployés au Liban pour aider à lutter contre le trafic d’armes en provenance de Syrie, recommande l’équipe d’évaluation de l’ONU dans un rapport publié hier. « La sécurité à la frontière » entre le Liban et la Syrie « est actuellement insuffisante pour prévenir le trafic, en particulier des armes, d’une façon significative », a indiqué cette équipe, au retour d’une mission sur place, organisée à la demande du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. Le rapport appelle ainsi au déploiement « de spécialistes internationaux dans la surveillance des frontières » afin de soutenir les efforts d’une nouvelle force mobile libanaise créée pour lutter plus efficacement contre le trafic d’armes. Le président du Conseil de sécurité, le Belge Johann Vendeke, a indiqué que le rapport ne sera discuté qu’en juillet, sous la présidence de la Chine.
Le dispositif de surveillance mis en place par les autorités libanaises à la frontière entre la Syrie et le Liban « est insuffisant pour prévenir la contrebande, en particulier celle des armes », estime le rapport de la mission d’évaluation de la surveillance de la frontière entre la Syrie et le Liban. Il convient de noter que cette mission est composée de cinq experts internationaux et qu’elle est dirigée par le Danois Lasse Christensen.
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui vient de rentrer de Paris, a remis le rapport d’évaluation hier après-midi au Conseil de sécurité de l’ONU.
Il convient de rappeler que, par une déclaration présidentielle passant en revue, de façon approfondie, tous les points de la résolution 1701, le Conseil de sécurité de l’ONU avait demandé au secrétaire général, avant son voyage à Damas, de dépêcher une mission indépendante sur le transfert illicite d’armes vers le Liban. Il s’était alors déclaré « gravement préoccupé par les informations de plus en plus nombreuses faisant état de mouvements illégaux d’armes à travers la frontière libano-syrienne en violation avec la résolution 1701 ».
À la demande de Ban Ki-moon, ces experts, qui ont travaillé « en liaison étroite avec le gouvernement libanais », devaient présenter au Conseil les résultats de leur mission d’évaluation de toute la frontière entre la Syrie et le Liban.
Déploiement d’experts internationaux à la frontière
De retour d’une mission d’évaluation qui a eu lieu entre le 27 mai et le 15 juin, le groupe d’experts dirigé par l’auteur du rapport, Lasse Christensen, a évalué les conditions frontalières entre la Syrie et le Liban. Ces experts ont ainsi « travaillé en étroite collaboration avec les autorités libanaises et les services de douanes » et visité « quatre points de passage terrestres », ainsi qu’un cinquième qui était opérationnel en juillet 2007. Ils ont également visité l’Aéroport international Rafic Hariri, le port de Beyrouth, la « ligne verte » avec la Syrie », ainsi qu’un « nombre de points », y compris les différents chemins et passages, où des « conditions extraordinaires sont créées par les bastions militaires des Palestiniens », et des régions dont la délimitation frontalière demeure encore floue. Tous ces secteurs, ajoute le rapport, « rendent possible pour des trafiquants ou agents étrangers de traverser la frontière et de s’infiltrer à l’intérieur du pays ». Même aux postes-frontières, le manque d’organisation « a pour résultat un flux de cargaisons de véhicules et de passagers », estime le document de 46 pages, qui est en outre illustré d’une carte de la frontière entre les deux pays.
Le groupe d’experts observe que lors des discussions et des visites effectuées sur le terrain, le niveau de coopération et de coordination entre les agences d’informations était « plutôt lent ». La mission d’évaluation trouve toutefois qu’il existe une « volonté professionnelle » de sécuriser les frontières du Liban. Les services de douane ont à cet égard introduit quelques améliorations qui rendent plus efficaces l’organisation des postes-frontières. Ce progrès est le résultat des recommandations des équipes d’évaluation de l’ONU, de l’assistance bilatérale fournie par le gouvernement allemand et de l’équipement offert par les autres nations, estime le rapport.
D’autre part, le rapport juge que l’état actuel de la sécurité de la frontière demeure « insuffisant pour prévenir la contrebande, en particulier celle des armes ». Il est « troublant qu’aucune saisie d’armes de contrebande à la frontière » ou près de la frontière « ne leur a été signalée ». Les experts mettent ainsi en doute « l’intégrité des agences et du personnel attachés à la sécurité de la frontière ». Le texte souligne aussi très clairement que « des décisions illégales sur la gestion de la frontière sont prises, motivées par des sympathies politiques, des connexions familiales ou de clans ou encore par la corruption traditionnelle ».
Les points de passage présentant le plus de risques
– Les points de passage
terrestres :
1. Les points de passage de Abboudieh, Bqaiaa et Kaa ne sont pas considérés comme des points frontaliers où le trafic d’armes peut avoir lieu facilement. Seul le trafic de cigarettes, d’essence, de vêtements, de médicaments et de téléphones cellulaires a été détecté dans ces endroits.
2. En revanche, le poste-frontière de Masnaa a retenu l’attention de la commission d’évaluation puisqu’elle indique que les douaniers et les policiers en poste « ne sont pas au fait des méthodes classiques de camouflage et de caches lorsqu’il s’agit de trafic d’armes et de substances chimiques pouvant servir de base à la fabrication d’engins explosifs ».
– L’aéroport de Beyrouth :
1. Le terminal cargo utilise deux scanners, et les opérations de fouilles sont complétées par des fouilles manuelles, notent les experts onusiens. En outre, il n’y a pas de séparation physique entre le cargo rentrant et le cargo qui sort du territoire libanais.
2. Le terminal passager présente un nombre insuffisant de personnel féminin pour les fouilles des passagères. De plus, l’aéroport ne dispose pas d’un système assez perfectionné pour l’examen des passeports. Les systèmes de détection d’explosifs et de substances interdites (chiens renifleurs etc.) sont aussi en nombre insuffisant.
– Le port de Beyrouth :
1. Le port de Beyrouth dispose de plusieurs procédures et pratiques dans des endroits-clés pour la sécurité et la prévention contre le trafic.
2. De manière générale, la commission s’est dite satisfaite de la surveillance exercée dans le port de Beyrouth.
La commission conseille aux douanes de travailler en se basant sur des renseignements et sur une étude d’évaluation du risque.
La ligne verte
La ligne verte est la portion de terre entre le Liban et la Syrie qui s’étend du point de passage côtier de Arida au Nord-Ouest jusqu’au mont Hermon au Sud-Est, où elle touche la zone de responsabilité de la Finul. La ligne verte est longue de 320 km ; le terrain est extrêmement diversifié et offre de nombreuses possibilités pour des activités transfrontalières illégales.
La gestion de la sécurité le long de la ligne verte entre les différents points de passage incombe à l’armée libanaise (aidée par les douanes), qui y a déployé près de 8 600 soldats à la suite de la résolution 1701. Ces soldats ont la double mission de sécuriser la ligne verte et de défendre le territoire libanais. Il est à signaler que durant le séjour de l’équipe d’évaluation onusienne, quelque mille soldats ont été redéployés au Liban-Nord, autour de Nahr el-Bared, ou à Beyrouth à cause des explosions.
L’armée et les douaniers remplissent leur mission de sécurisation de la ligne verte avec des équipements inadéquats en nombre ou en nature, notamment en ce qui concerne les véhicules tout-terrain, les jumelles, les appareils de vision nocturne ; sans compter l’impossibilité totale de surveillance au-delà de 400 mètres, notamment sur des terrains escarpés ou dans des conditions climatiques particulièrement difficiles.
La coopération et la coordination le long de la ligne verte est infime, notamment entre l’armée, la douane et les FSI, et surtout en ce qui concerne les opérations de terrain et les activités conjointes. Chacun fait son travail en se basant uniquement sur ses propres informations ; le flux d’informations et d’intelligence est uniquement vertical, et très centralisé, et il n’existe aucune synergie.
Les résultats de la gestion de la sécurité le long de la frontière montrent qu’il est tout à fait possible pour des personnes de la traverser illégalement. Les saisies le long de cette frontière que l’équipe d’évaluation a pu noter se résument à différentes marchandises (essence, vêtements, ciment, nourriture), mais pas à des armes ou des explosifs. Même si quelques cas de transferts d’armes ont été signalés, ils n’avaient pas de lien direct avec des activités transfrontalières ; ils étaient présentés comme étant des transports internes entre différentes localités libanaises.
Dans tous les cas, les problèmes auxquels les chargés de la sécurité frontalière ont dû faire face sont nombreux : manque de ressources, équipements inadéquats en quantité et en qualité, très peu d’expérience à long terme. Il n’en reste pas moins que la performance des agences de sécurité (armée, douaniers, FSI), leur capacité à mettre un terme aux trafics d’armes n’est pas à la hauteur de ce qui était attendu. Ce manque de performance est inquiétant ; cela peut poser des questions autour de l’intégrité des membres des agences de sécurité, l’équipe d’évaluation ayant pu constater des décisions illégales motivées par des sympathies politiques, des connections familiales ou claniques ou par la corruption traditionnelle.
Le rapport onusien évoque ensuite les zones visitées par l’équipe : elles sont au nombre de onze. La zone frontalière adjacente au Nahr el-Kébir à partir de Arida jusqu’à 4,5 km à l’Est ; la zone entre le point de passage de Abboudieh et la frontière naturelle du Nahr el-Kébir ; la zone frontalière adjacente à la rivière, de la partie est de la poche de Sahlet el-Bqaiaa jusqu’à 5 km au sud-est de la rivière Wadi Khaled ; la zone se situant à 1 km à l’est du village de Qasr ; la zone près du village de Hoch Beit-Ismaïl ; la zone appelée Ard el-Qamar entre le point de passage de Kaa et la frontière naturelle ; le Jabal Lubnan al-Charqi ; la zone où est installé le camp palestinien de Kossaya ; la zone conflictuelle autour du village de Deir el-Achayer ; la zone où est installé le camp palestinien de Helwé ; la zone frontalière entre le point de passage de Arida et Rayak.
En outre, dans ses conclusions, le rapport onusien estime qu’à cause du manque de ressources, l’armée privilégie la défense de la frontière plutôt que sa sécurisation : la majorité des éléments armés est utilisée dans des positions de défense statiques, pas dans le cadre de patrouilles mobiles et flexibles chargées de surveiller les activités transfrontalières illégales. En fait, l’armée fait face à des problèmes civils en faisant primer des doctrines militaires ; elle fait comprendre à tout le monde que le but est de défendre le territoire libanais, pas de prévenir les trafics d’armes.
La solution serait, selon le rapport, d’établir une force mobile polyvalente qui travaillerait parallèlement aux agences déjà en charge de la sécurité de la frontière, mais qui axerait sa mission sur les trafics d’armes. La mission serait limitée dans le temps et les opérations seraient ciblées, basées sur l’analyse et l’identification, et combinerait les meilleures capacités des quatre agences existantes aux conseils d’une petite équipe de conseillers en sécurité transfrontalière. Il est à noter que cette force polyvalente doit être particulièrement talentueuse et convenablement équipée pour des opérations spéciales ; elle doit être très mobile et pouvoir s’appuyer sur des moyens aériens et terrestres (véhicules tout-terrain). Sans oublier d’assurer un haut degré d’indépendance et d’intégrité en ce qui concerne ses membres…
Conclusion
La commission estime que la surveillance des frontières, côté syrien, est un « nouvel exercice pour toutes les agences de sécurité ». Ces agences ont toutes adopté « des mesures substantielles pour sécuriser cette section de la frontière, contre le trafic d’armes. Ces mesures sont pour la plupart basées sur le déploiement de l’armée dans la région ».
Toutefois, « il serait raisonnable de s’attendre à plus d’efficacité dans la traque du trafic d’armes ». À cet égard, « l’aéroport de Beyrouth ainsi que le port bénéficient d’un degré plus important de surveillance » que les passages terrestres.
La commission indique aussi qu’il faudrait qu’il y ait une plus ample coopération entre les différentes agences de sécurité, coopération qui pour le moment « se limite à un échange indirect d’informations et à la séparation des domaines de responsabilité ».
Les 9 recommandations de la commission d’évaluation
Pour remédier aux lacunes observées, la mission propose neuf recommandations, basées sur les observations effectuées sur le terrain.
• Établir une force mobile ayant pour but d’intercepter la contrebande d’armes et s’en saisir rapidement. Cette force devrait aussi servir d’exemple aux autres organismes chargés de la sécurité des frontières, dont notamment des gardes-frontières qui devraient être déployés dans l’avenir ;
• créer un organe d’information et d’analyse faisant corps avec cette force et pouvant avoir accès à toutes les informations relatives à la sécurité des frontières à partir des quatre agences ;
• déployer des experts internationaux de la sécurité aux frontières, à tous les niveaux, particulièrement au niveau pratique afin de donner des conseils relatifs à la sécurité non militaire de la frontière ;
• établir une agence de gardes-frontières, en tant que projet à long terme, afin de regrouper la surveillance, l’expertise, les informations et les renseignements dans une même agence ;
• mettre en place des points de contrôle absolu au niveau des postes-frontières, en adoptant des procédures standard pour surveiller le passage de personnes, de véhicules et de produits. Ceci se traduit par des mesures identiques pour le contrôle et les mécanismes de lutte contre la corruption ;
• adopter des mesures pour séparer les frontières légales et illégales. Cela est possible en interdisant l’accès à certaines zones, en effectuant un marquage de la frontière, en ajoutant des passages interfrontaliers et en mettant en place des programmes de développement pour que les habitants arrêtent le trafic illégal ;
• créer des programmes de formation pour les quatre agences à tous les niveaux, afin de transformer les doctrines et les concepts de sécurité frontalière en une activité hautement professionnelle, en se basant sur le projet pilote de la frontière nord ;
• continuer à améliorer l’équipement spécifique de toutes les agences afin d’accroître l’efficacité du travail. Ceci devrait notamment inclure des équipements de surveillance terrestre et aérienne, des équipements de communication, des véhicules, des scanners ainsi que des ordinateurs et des logiciels spécifiques ;
• établir une coopération avec les douanes syriennes, particulièrement sur le plan pratique. C’est une condition pré-requise pour la gestion de la sécurité de la frontière.
L’Orient Le Jour