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Assassinats et prises d’otages d’un côté, enlèvements et opérations commandos de l’autre. Dans le bras de fer qui oppose les services de renseignements de Téhéran et de Washington, tous les coups sont permis.
Un jour de janvier dernier, un convoi de véhicules tout-terrain s’approche du poste de contrôle de la police irakienne, aux abords de la ville sainte de Kerbala [lieu saint des chiites, situé dans le Sud irakien]. Les gardes n’y regardent pas à deux fois : la dizaine de passagers s’exprime en anglais avec un accent américain et porte des tenues réglementaires. A la tombée du jour, le convoi se présente devant le quartier général du gouvernement local.
A peine entrés dans l’enceinte du camp retranché, les occupants des véhicules lancent une attaque éclair méticuleusement préparée. C’est l’affaire de vingt minutes : après avoir arrosé les lieux de grenades, les assaillants se saisissent de quatre soldats américains, les ligotent, les embarquent et prennent la fuite. Les forces de sécurité sont en état d’alerte maximale, mais les kidnappeurs sortent en force.
Peu après, craignant certainement de ne pouvoir échapper à la poursuite, ils s’arrêtent et le massacre commence. Les quatre prisonniers sont exécutés d’une balle dans la nuque. Les meurtriers auront le temps de s’enfuir avant l’arrivée de la police.
Pendant plusieurs jours, la version officielle des événements a affirmé que les soldats avaient trouvé la mort en repoussant une attaque menée par des rebelles irakiens. Mais, en coulisses, les responsables américains et irakiens étaient convaincus que cette opération portait la marque des troupes d’élite du corps des gardiens de la révolution islamique en Iran [pasdarans].
La “guerre secrète” se déroule au grand jour
Six semaines plus tard, le 23 mars, les gardiens de la révolution déploient une patrouille de vedettes rapides et interceptent quinze soldats de la Royal Navy à bord de deux bateaux pneumatiques dans le golfe Arabo-Persique [Téhéran et Londres affirment que la libération, le 4 avril, des marins britanniques a eu lieu sans contrepartie].
Pourtant [vingt-quatre heures plus tôt], un diplomate iranien, Jalal Sharafi, mystérieusement disparu le 4 février en plein centre de la capitale irakienne, avait refait surface à Téhéran [affirmant à la télévision iranienne avoir été torturé par ses ravisseurs, parmi lesquels se trouvaient, selon lui, des agents de renseignements des Etats-Unis]. Des fuites dans les médias américains avaient établi à l’époque son rôle d’officier de liaison de la brigade Al-Qods [cellule des pasdarans opérant à l’étranger]avec les chefs des milices chiites [irakiennes].
A Bagdad, la “guerre secrète du renseignement” se déroule au grand jour. Au cours de la même période, en janvier-février 2007, quelques jours avant l’enlèvement de Sharafi, deux hauts responsables d’Al-Qods, dont on est toujours sans nouvelles, ont également disparu. L’un d’eux est le général Shirazi, considéré par les militaires [américains] comme le numéro trois d’Al-Qods, l’autre un colonel spécialisé dans le renseignement.
Le 11 janvier, les forces spéciales américaines ont pris d’assaut le “bureau de liaison” iranien dans la ville d’Erbil, dans le nord de l’Irak. Cinq hommes ont été emmenés de force, ainsi que des piles de documents et des ordinateurs. Les autorités iraniennes ont affirmé que tous les prisonniers étaient des diplomates. Mais, selon un responsable américain, il s’agit de “la capture de membres des forces d’Al-Qods, essentielle pour comprendre les activités iraniennes en Irak”.
Et, en décembre 2006, c’est l’ancien vice-ministre de la Défense iranien, Ali Reza Asghari, qui a disparu lors d’une visite à Istanbul. Il a fallu des semaines avant que les autorités iraniennes reconnaissent [en février 2007]qu’elles étaient sans nouvelles d’Asghari. Défection ou enlèvement ? Dans les deux cas, Téhéran a de bonnes raisons de s’inquiéter de la disparition d’Asghari, dont la connaissance du corps des gardiens de la révolution serait précieuse pour les agences de renseignements occidentales.
Et, de leur côté, les Etats-Unis ont aussi de bonnes raisons de chercher à lui mettre la main dessus : Asghari est soupçonné d’avoir participé à la préparation de deux attaques suicides commises à Beyrouth en 1983, qui ont causé la mort de 241 marines américains et de 63 civils. Malgré les revendications de plusieurs groupes chiites libanais, Robert Baer, ancien agent de la CIA présent à Beyrouth à l’époque, est persuadé depuis longtemps que Téhéran est le véritable cerveau de ces attaques.
The Sunday Times
Courrier International