Le tocsin a été sonné pour la première fois par le monarque jordanien. En évoquant l’existence virtuelle d’un « Croissant Chiite », il déclencha une peur panique dont les échos continuent encore aujourd’hui à se propager dans les coins les plus reculés de la sphère arabe et sunnite.
Avec l’émergence potentielle de l’Iran comme puissance nucléaire régionale, le « danger » chiite a été immédiatement perçu par les Etats arabes comme une déferlante menaçant de balayer quatorze siècles de domination sunnite sans partage. Subitement réveillés de leur léthargie, ces Etats se sont retrouvés littéralement désarmés face à une menace qu’ils voient s’accroître au rythme du déploiement et de la rotation des centrifugeuses iraniennes.
Leur drame s’est accentué encore davantage en découvrant que l’Iran a réussi à « siphonner » leur « cause sacrée » et à s’en approprier avec une facilité déconcertante. La « victoire divine » du Hezbollah, loin de susciter leur enthousiasme, a paradoxalement augmenté considérablement leurs inquiétudes. Car, non seulement le parti de Dieu a réussi à « gagner » là où ils ont échoué depuis des décennies, mais il a définitivement contribué à ancrer l’Iran comme joueur majeur au cœur de la « nation arabe ».
Devenus chouchous de leurs coreligionnaires arabes qui, par transfert, voyaient se réaliser à travers eux une « modernité » qu’ils n’ont jamais été capables de mener en propre, les sunnites libanais vivent le « réveil » chiite et sa montée en puissance comme un véritable cauchemar. Non seulement, ils voient s’effilocher sous leurs yeux effarés un « Hariristan » laborieusement construit, mais le « miracle » d’une défaite secrètement et ardemment espérée du Hezbollah par Israël n’a pas eu lieu.
L’éternelle défiance contre l’adversaire en religion s’est vite transformée en phobie collective qui a atteint son paroxysme au lendemain d’une « équipée sauvage » du Hezbollah dans les « quartiers sunnites ». Cette phobie s’est métamorphosée au fil des jours en une haine farouche et viscérale qui n’a pas plus peur de s’exprimer ouvertement, une haine aux relents racistes qui ouvre la différence, qui maintient la distance et ne l’efface plus.
Que faire pour juguler une menace dont ils ne parviennent plus à estimer l’ampleur et la portée ?
Face à un activisme chiite servi par un Etat théocratique lointain, une dictature criminelle toute proche et un Parti omnipotent domestique, les sunnites libanais se retrouvent complètement désemparés et sans recours. Est-ce la raison pour laquelle, ils ont fini par succomber à des tentations sourdes et criminelles ?
Sans nécessairement donner crédit aux allégations savamment distillées par Seymour Hersh et relayées par l’opposition, il n’est pas inconcevable que Saad Hariri au summum de sa niaiserie se soit laissé tenter par l’idée d’une « domestication » de l’hydre intégriste d’abord à des fins électorales, ensuite et surtout pour contrer le jour venu la milice chiite.
Les Syriens, passés maîtres dans la manipulation de la faune terroriste, ne pouvaient espérer meilleure aubaine que cette brèche stupidement entrouverte par leurs ennemis jurés pour entamer une nouvelle phase de terreur dont tribunal international a fourni le prétexte et le coup d’envoi.
Au Liban, la politique n’a plus cours. Elle a cédé la place à un jeu de miroirs où se reflètent exclusivement désormais des passions chauffées à blanc et difficilement contrôlables.
Après le terrorisme d’Etat, voici le terrorisme intégriste qui entre en scène. Dans un pays déjà en lambeaux, de nouvelles pages d’une barbarie encore inédite peuvent désormais s’écrire sous nos yeux fatigués par l’enchaînement continu des malheurs.
http://heuristiques.blogspot.com/