Soixante ans après l’indépendance, la réconciliation franco-algérienne s’apparente au mythe de Sisyphe : la quête vaine d’une espérance. Emmanuel Macron, lui, veut toujours y croire.
Candidat en 2017, il avait fait bonne impression à Alger en taxant la colonisation de « crime contre l’humanité ». Se coupant illico de la communauté pied-noir. Une fois à l’Élysée, il multipliait des gestes mémoriels et de repentance. Le rapport Stora, l’ouverture anticipée des archives de la guerre d’Algérie. Sans doute lassé qu’Alger réponde à sa bonne volonté par des critiques ou des insultes, en octobre 2021, il tançait dans Le Monde « le système politico-militaire algérien fatigué qui entretient une rente mémorielle avec une histoire officielle construite sur la haine de la France ». Bien vu !
En représailles, Alger interdisait le survol de son territoire aux militaires français de l’opération Barkhane. L’anglais devenait la deuxième langue du pays. Exit le français. Une humiliation, presque une fessée !
Quelques jours après sa réélection, surprise ! Emmanuel Macron recevait de chaleureuses félicitations de son homologue Tebboune, assorties d’une invitation. Il aurait dû se méfier. Toujours plein d’espoir, il s’envolait pour Alger fin août (se brouillant ainsi définitivement avec le roi du Maroc). Un séjour de trois jours à l’issue duquel les deux hommes – qui se tutoient – mimaient au pied de l’avion une quasi-lune de miel. Caresses dans le dos, embrassades. En haut de la passerelle, Emmanuel Macron, la main posée sur le cœur, se retournait vers son hôte qui lui rendait la pareille. Ils nous jouaient Mariés au premier regard. Le communiqué final promettait des lendemains ensoleillés : des projets en commun par dizaines et une « mobilité positive » – le mot visa n’était pas écrit mais c’était transparent – qui serait « respectueuse des lois et des contraintes du pays d’accueil ». Côté français, on voulait comprendre que les délinquants algériens pourraient être renvoyés chez eux, enfin ! Bernique !
En octobre, Élisabeth Borne, flanquée de 15 ministres, se rendait à Alger. Pour signer les premiers contrats ? Mais point de conférence de presse commune pour conclure cette visite si plurielle.
En décembre, Gérald Darmanin venait, en revanche, y confirmer que le niveau annuel de délivrance des visas reviendrait à celui de 2019 (250 000), mais il repartait sans avoir obtenu en retour d’assurances précises sur les laissez-passer consulaires. Le pouvoir algérien avait obtenu ce qu’il voulait. Bien joué.
Le 30 décembre, dans une interview au Figaro, le président Tebboune se réjouissait des nouvelles relations franco-algériennes, protestait de son amitié et de sa complicité avec le Président. Peut-être était-il sincère ? Qu’importe, puisque les militaires qui gouvernent veillent au grain. En préambule, il se félicitait de l’essentiel : le rétablissement des visas aux ressortissants algériens. Sa visite d’État à Paris était programmée pour le mois de mai.
Las, six semaines plus tard, rien n’allait plus. Alger a rappelé son ambassadeur qui, à ce jour, n’est pas encore revenu à Paris mais ce serait pour bientôt. Les autorités algériennes s’offusquant de l’exfiltration illégale, via la Tunisie, de la militante franco-algérienne Amira Bouraoui (médecin de 46 ans condamnée à deux ans de prison ferme pour offense à l’islam) grâce, selon elles, à la complicité des services secrets français, « une barbouzerie ». Suite et fin de la romance ? « Notre relation est fluctuante », vient de dire le président algérien sur la chaîne Al Jazeera. Rien ne change, donc.
Il faut lire le livre de Xavier Driencourt L’Énigme algérienne (Éditions de l’Observatoire) pour se persuader que la réconciliation franco-algérienne est un projet chimérique.
Sa lucidité, il la tient de son expérience unique : avoir été nommé deux fois ambassadeur de France en Algérie. Entre 2008 et 2012 (présidence Sarkozy), de 2017 à juillet 2020 (présidence Macron). « J’y ai passé un septennat », dit-il.
On rencontre un homme d’une grande affabilité, au regard rieur, qui assène de cette voix à la fois très douce et pincée qui sied aux diplomates des vérités cruelles, parce que sans fard, sur le pouvoir algérien. Mais il prévient : « Je m’exprime à titre personnel », pour ajouter « J’ai aimé l’Algérie. J’aime les Algériens ; j’ai gardé beaucoup d’amis fidèles. J’admire leur courage, leur gentillesse. Petit bémol sur leur ténacité, leur façon de faire plier leurs interlocuteurs. “Nous vous connaissons bien mieux que vous ne nous connaissez”, m’avait dit un ministre algérien. Ils sont capables de nous mener où ils veulent. La relation avec eux est une épreuve permanente. »
Qu’a-t-il retenu de ces sept années ?
« Que la France n’est qu’un partenaire banal, plutôt plus maltraité que les autres. Avec des alternances de fâcheries longues et de retours de flammes qui ne durent pas. »
Qu’il n’y a qu’une chose qui intéresse les Algériens, « une véritable obsession chez tous mes interlocuteurs », dit-il : les visas. Leur grand souci. Privilège pour les uns, source de frustration pour les autres. Régulateur des maux de la société. « Quarante-cinq millions d’Algériens n’ont qu’un rêve : partir en France, où chaque Algérien a de la famille ».
En 2018, afin d’appliquer les critères de Schengen, la France a réduit le nombre de visas. On est passé de 420 000 à 250 000 ! L’ambassadeur avoue avoir commis une imprudence. Pour l’expliquer lors d’une conférence de presse, il avait lâché qu’il y avait des abus. « Des hauts fonctionnaires algériens ou même des politiques qui font venir leurs familles en France sur la base d’un seul visa de tourisme ou laissent des ardoises dans nos hôpitaux. » Qu’avait-il dit ? Le lendemain, il était convoqué au ministère des Affaires étrangères algérien, un communiqué vengeur était publié sur-le-champ : « L’ambassadeur a étalé publiquement devant les médias des appréciations inopportunes peu amènes et donc inacceptables. » Il ne disait pas que c’étaient des mensonges !
Dernier constat : depuis des lustres, le discours anti-français est le levain de toutes les campagnes présidentielles. La prochaine est en 2024. La crainte et l’intuition de Xavier Driencourt : « Que le président Tebboune choisisse de venir à Paris le 8 mai prochain, histoire de rappeler le massacre de Sétif du 8 mai 1945 pour pouvoir encore accabler les Français… »
« Vous ne pouvez pas faire porter à votre jeunesse les haines de ses parents »Emmanuel Macron
Je l’interroge : dans ses rapports avec l’Algérie, jugez-vous Emmanuel Macron trop naïf ?
« Il croit qu’il peut réussir là où François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac ont échoué pour la simple raison que lui est né bien après la fin des événements d’Algérie. Il croit aussi en son pouvoir de séduction. »
Xavier Driencourt se souvient de sa première visite en décembre 2017, de sa déambulation dans les rues, comme il aime tant faire. Il y avait foule. Des applaudissements. Les jeunes lui criaient : des visas, des visas ! Il leur répondait avec le sourire : « Mais qu’est-ce que vous avez à m’embêter avec les visas ? Un visa, ce n’est pas un projet de vie. » (Pour eux, hélas, si.) D’où son retard chez le président Abdelaziz Bouteflika, âgé de 82 ans, visiblement fatigué et qui parlait bas.
Note de l’ambassadeur : « Il n’était plus le Bouteflika majestueux, tout-puissant, qui avait toute sa tête et que j’avais connu durant mon premier séjour, quand il recevait tous les politiques français : ceux de droite, de gauche. Il ne supportait pas que les Français aient tant d’amitié pour le roi du Maroc. Ça le rendait fou. »
Parenthèse personnelle : je me souviens d’une visite à Alger avec Jean-Pierre Elkabbach où Bouteflika s’est entretenu avec nous pendant plus d’une demi-heure, en grand courroux envers Jacques Chirac en raison de ses séjours si fréquents au Maroc et de ses liens si étroits avec le roi. On sentait une jalousie terrible.
Retour à Emmanuel Macron. L’ambassadeur raconte : « Il s’était assis à côté de Bouteflika et répétait ses paroles pour que tout le monde en profite. Je regardais le spectacle. C’était la rencontre de deux histoires personnelles, de deux itinéraires politiques, de deux mondes aux antipodes. Le Président connaissait ses dossiers, il s’exprimait sans langue de bois, sans craindre d’aborder les sujets les plus sensibles et qui fâchent, comme les difficultés de la jeunesse algérienne [quinze mois plus tard, le mouvement Hirak commençait avec des manifestations dans toutes les villes. La jeunesse disait son ras-le-bol. Elle ne voulait pas d’un cinquième mandat de Bouteflika]. »
« Il faut que votre jeunesse soit heureuse. Vous ne pouvez pas lui faire porter les haines de ses parents », disait-il.
Ou encore : l’immigration. « Ce n’est pas bon pour vous, ce n’est pas bon pour moi. Vous devez faire des gestes pour les harkis. »
Il disait aussi : « Je ne veux pas me faire piéger au Mali. »
L’ambassadeur raconte : « Tous ces gens âgés autour du Président regardaient avec condescendance ce gamin venu leur faire la leçon. Macron était plein d’enthousiasme, il croyait les convaincre. Il leur a même proposé de faire partir le Tour de France depuis l’Algérie [Xavier Driencourt avoue que c’était son idée]. Cela leur aurait fait une bonne publicité. Les autorités avaient semblé acquiescer au projet et, comme toujours, elles n’ont pas donné suite. »
Il poursuit : « Le système politique algérien est imperméable à la séduction. Il ne connaît que le rapport de force. Tous ces gens de la nomenklatura ont été formés dans les pays de l’Est et les militaires en Russie. Le pouvoir algérien soutient Poutine. Lavrov est venu récemment à Alger pour entretenir la flamme. Le président Tebboune se rendra en visite officielle à Moscou au printemps. Mais quand il s’agit de notre pays, rien ne change. Le discours anti-français demeure la matrice du système. Notre aveuglement est une erreur historique. » Le pays va mal : 70 % de la population a moins de 30 ans, ses dirigeants sont septuagénaires, voire au-delà, la presse est muselée.