«Il était à la tête de tout le système de renseignement; en Syrie, c’était un quasi-Dieu.»
Adnan Alhwash, ancien général militaire
Par Marie Maurisse, Gotham City*Le juge madrilène Jose de la Mata accuse l’oncle du président syrien Bachar Al-Assad, avec treize de ses proches, d’avoir blanchi plus de 600 millions d’euros en Espagne. Une partie de son patrimoine détourné passait par la Suisse.
Au sein de la population syrienne décimée par la guerre, le nom de Rifaat Al-Assad évoque surtout de mauvais souvenirs. Né en 1937 au Nord du pays, il est le petit frère du président d’alors, Hafez Al-Assad. Au sein de l’Etat, il grimpe avec facilité les échelons, jusqu’à devenir chef des services de sécurité intérieure et des brigades de défense.
Son pouvoir est immense. Adnan Alhwash, ancien général militaire, qui faisait à l’époque partie des troupes de Rifaat Al-Assad, dit aujourd’hui: «Il était à la tête de tout le système de renseignement; en Syrie, c’était un quasi-Dieu». Dans les années 80, Rifaat Al-Assad dirige les Shabiha, une organisation paramilitaire qui excelle dans la contrebande et multiplie les exactions.
La Suisse a ouvert une enquête contre Rifaat Al-Assad pour crimes de guerre en 2013, mais la procédure semble enlisée comme le dénonce l’ONG genevoise TRIALLien externe.
L’Espagne veut réagir
L’Espagne, de son côté, se montre plus expéditive. À Madrid, le magistrat Jose de la Mata vient en effet d’annoncer sa volonté de juger Rifaat Al-Assad, et décrit les faits reprochés dans un acte d’accusation long de 142 pages, consulté par Gotham City.
«Quand il quitta la Syrie en 1984, il manigança avec son frère qui était alors président, pour détourner une partie du trésor national, emportant avec lui quelque 300 millions de dollars», peut-on y lire. Pour réussir son coup, Rifaat Al-Assad fait passer 200 millions pour des frais présidentiels, et obtient le reste en augmentant la dette publique via un prêt obtenu de la part de la Libye.
Cette fortune, Rifaat Al-Assad la place dans plusieurs pays et notamment en Espagne, où il investit dans l’immobilier sur la Costa del Sol. Il possèderait aujourd’hui pas moins de 507 propriétés dans la péninsule ibérique, pour un montant total estimé à près de 700 millions d’euros, selon les informations données par Jose de la Mata. Une partie se trouve dans la station balnéaire de Marbella, une région où il a aussi acheté des hôtels, des cafés, des restaurants, et 244 places de parking.
Rifaat Al-Assad ne gère pas ses investissements tout seul. Il est aidé par sa famille, notamment par ses deux épouses et ses enfants. Il emploie aussi des personnes de confiance pour gérer ses actifs ainsi que des sociétés fiduciaires comme Fideso ou des études d’avocats comme Forum abogados et Montero y Aramburu. À Gibraltar, il fait appel aux frères Marrache, condamnés pour fraudeLien externe en 2014.
Pour le juge, l’origine de l’argent n’est pas transparente. Rifaat Al-Assad a beau affirmer que ses fonds proviennent de donations de l’Arabie Saoudite, il ne parvient jamais à en justifier l’origine. Jose de la Mata décrit ainsi un schéma complexe visant à blanchir les fonds détournés de Syrie.
Argent disséminé, aussi en Suisse
L’argent est ainsi disséminé via une centaine de sociétés écrans, créées dans ce but: ELM investments (Curaçao), Al Jinane, AYM, Somer (Liechtenstein), Sounoune, Buckner Credit and Finance, Kolno International (Panama), Eoma Holdings Ltd, Lanya Ltd (Gibraltar). Et l’ingénieux système mis en place en Espagne se répète au Royaume-Uni et en France.
Au Royaume-Uni, il possèderait la résidence privée la plus grande après le Palais de Buckingham. En France, il est propriétaire d’un immeuble particulier avenue Foch, à Paris. La justice y a depuis saisi des biens pour 90 millions d’euros et il a été renvoyé au printemps devant le tribunal correctionnel.Lien externe
Rifaat Al-Assad dispose également de patrimoine en Suisse, souligne Jose de la Mata. Il verse dès le début de son exil, en 1984, un million de dollars à la Banque de Genève, est-il mentionné dans le document de justice espagnol. En outre, l’un de ses fils a été domicilié en Suisse. Rifaat Al-Assad a aussi géré pendant 16 ans une société à Genève, comme Gotham CityLien externe l’avait révélé en 2017.
En réponse aux questions de Gotham City, le Ministère public de la Confédération (MPC) confirme que la procédure pénale est toujours en cours et précise qu’aucun fonds n’a été séquestré dans ce cadre.
*
Gotham City
*Fondée par les journalistes d’investigation Marie Maurisse et François Pilet, Gotham City est une newsletter de veille judiciaire spécialisée dans la criminalité économique.
Chaque semaine, elle rapporte à ses abonnés les cas de fraude, corruption et blanchiment en lien avec la place financière suisse, sur la base de documents de justice en accès public.
Tous les mois, Gotham City sélectionne l’un de ses articles, l’enrichit et le propose en accès libre aux lecteurs de swissinfo.ch.