Personnalité de gauche née en 1955, Avraham Burg a été un membre actif du mouvement La Paix maintenant. Ancien président de la Knesset (1999-2003), il s’est retiré de la vie politique en 2004, sans cesser de dénoncer la poursuite de l’occupation et la définition d’Israël comme « Etat juif ».
Quel est votre sentiment face à l’escalade du conflit à Gaza ?
Avraham Burg : Il y a à la fois un sentiment de frustration et le début d’une renaissance. Clausewitz disait que la guerre est la continuation de la politique d’une autre manière. Ici, la guerre est juste une continuation de la guerre précédente. Une guerre après l’autre, sans solution. Beaucoup d’Israéliens font confiance à l’armée pour leur apporter la solution. Nous réalisons aujourd’hui que l’armée n’a pas de solution parce que la direction politique n’a pas de vision. La guerre est une perte d’énergie qui ne mène nulle part.
Si nous continuons avec le même modus operandi, la même chose se reproduira dans trois ans. Nous sommes encore l’occupant. Nous sommes encore dans une relation de maître et d’esclave. L’Autorité palestinienne est devenue le sous-traitant de l’occupation israélienne. Par le passé, nous avions au moins un processus politique, qui permettait de contenir les éruptions de violence. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nos dirigeants ont fait échouer les négociations, et cela a créé un vide dans lequel les extrémistes s’engouffrent.
Du fait du sentiment d’impasse, il y a une impulsion vers une nouvelle politique. Laquelle ? D’où viendra-t-elle ? Ce n’est pas encore clair. Avigdor Lieberman, le chef d’Israel Beitenou (« Israël, notre maison »), s’est retiré de l’alliance avec le Likoud (le parti du premier ministre, Benyamin Nétanyahou). La gauche s’éloigne du premier ministre. Le volcan est en ébullition, l’éruption approche. La refondation à droite pourrait pousser la gauche, qui oscille entre pathétique et inutilité, à initier sa renaissance.
Le cadre dans lequel sont placées les négociations de paix est-il encore adapté ?
La solution des deux Etats, israélien et palestinien, est une idée ancienne. Les prédécesseurs de Benyamin Nétanyahou l’ont adoptée il y a trente ans. Lui a pris le train un peu tard. Je ne suis pas certain qu’il veuille un processus politique. Il affirme que oui, mais les actes ne suivent pas. La solution des deux Etats est née dans un Moyen-Orient différent. Mais les frontières ne signifient plus rien. C’est le cas en Syrie, en Irak.
Parler de solution à deux Etats, c’est accepter le vieux concept qui a forgé la région : la partition. Chaque initiative de paix a visé à instaurer une partition, aucune n’a marché. Nous devons développer des principes alternatifs.
Mon idée est qu’il faut une structure politique à trois niveaux : le niveau constitutionnel, où chacun aurait des droits identiques, l’organisation collective, qui prévoirait l’autodétermination dans un Etat israélien ou un Etat palestinien, et la superstructure, une confédération entre les deux Etats. Ce serait un micro-exemple du concept de l’Union européenne.
La route semble longue avant de parvenir à un tel modèle…
Nous devons commencer par les étapes les plus basiques, appliquer les droits de l’homme. L’égalité ne doit pas être otage de la politique. Le concept de démocratie ethnique, d’Etat juif, est un oxymore selon moi. Mais même en supposant que cela soit possible, nous pouvons reconnaître les droits des Palestiniens. Il faut commencer avec les Palestiniens qui vivent en Israël, puis étendre cela aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.
Pour moi, il n’y a pas de différence entre ceux qui ont tué les trois Israéliens près de Gouch Etzion et ceux qui ont tués le Palestinien à Chouafat, à Jérusalem-Est. Ils sont mes ennemis. Nous ne pouvons pas dire que nous ne voyions pas cette haine monter. Maintenant, elle s’exprime ouvertement parce que la vengeance est devenue une force motrice en politique.
La gauche n’a pas offert de sérieuse alternative aux appels à la vengeance émanant de droite. La mort de Mohammed Abou Khdeir a créé un sursaut, mais la société est toujours endormie. J’ignore combien d’années cela prendra pour parvenir à une véritable prise de conscience.
Propos recueillis par Hélène Sallon