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Depuis plusieurs jours, les tunnels du Hezbollah font la une des médias libanais. Difficile de comprendre l’emballement. Certains évoquent des documents découverts à Gaza, qui prouveraient qu’un projet d’infiltration depuis les constructions souterraines frontalières a servi de modèle à l’opération du Hamas Déluge d’al-Aqsa le 7 octobre contre Israël.
D’autres relaient la traduction d’un article de Libération, qui s’appuie sur des sources israéliennes, pour supputer l’existence d’un réseau souterrain « plus sophistiqué que celui de Gaza, long de plusieurs centaines de kilomètres avec des ramifications jusqu’en Israël et probablement jusqu’en Syrie ».
L’existence de ces souterrains dans les zones frontalières qui bordent Israël et la Syrie est en réalité un secret de Polichinelle. Certains tronçons sont depuis longtemps connus des spécialistes : creusés par les factions palestiniennes, qui ont sévi au Liban dans les années 1960-1970, l’un est ainsi signalé dans le Chouf au centre du pays ; un autre à la frontière syrienne.
En 2006, lors de la guerre de trente-quatre jours, leur importance a malgré tout pris de court l’armée israélienne, permettant au Hezbollah de contrer avec efficacité la supériorité aérienne et la toute-puissance technologique de son ennemi. « Dans une guerre asymétrique, comme celle-ci, les tunnels rééquilibrent un rapport de force autrement défavorable », justifie un haut gradé de l’armée libanaise, sous couvert d’anonymat. Impossible d’en connaître en revanche l’étendue ou la complexité. « Nos renseignements nous portent à croire que, depuis 2006, ils ont été renforcés, offrant davantage de protection aux combattants comme aux armements abrités », ajoute-t-il. En 2018, les Israéliens avaient dévoilé l’existence de deux tunnels d’attaque qui se prolongeaient en Israël depuis le sud du Liban.
Si cette affaire fait autant bruit, c’est qu’elle coïncide avec un élargissement des combats entre le Hezbollah, ses alliés palestiniens, et l’armée israélienne. Le Hezbollah a répété qu’il ne souhaitait pas une guerre totale, mais un dérapage reste possible. « 2006 a débuté alors que les belligérants n’avaient pas d’appétit pour un nouveau conflit », rappelle le général à la retraite Khalil Helou. De fait, depuis le début de février, les attaques dépassent régulièrement la bande des 5 à 15 kilomètres de part et d’autre de la ligne de démarcation, dans laquelle ils se cantonnaient peu ou prou jusqu’alors. « Le Sud n’est plus la seule région concernée. Israël vise l’ensemble de la communauté chiite dans toutes les régions du Liban pour mettre davantage de pression sur le Hezbollah dont la base populaire est visée », analyse le député Jamil al-Sayyed, un général ancien chef des services de renseignements libanais. En tout, le conflit a fait près de 260 victimes côté libanais (une vingtaine côté israélien), la majorité parmi les combattants chiites.
En quelques jours, l’armée israélienne a ainsi mené des frappes contre ce que Tel-Aviv suspecte d’être des bases du Hezbollah, aussi bien à Qseir en Syrie, où un convoi de transport a été ciblé, qu’à la périphérie de Saïda, à seulement une quarantaine de kilomètres de la capitale libanaise : le 19 février, des usines, présentées par l’armée israélienne comme des caches d’armes, y ont été détruites en même temps qu’une dizaine d’employés ont été blessés.
Mais l’opération la plus inédite est intervenue lundi 26 février à proximité de Baalbek, dans l’est du pays : deux missiles ont anéanti les centres de reconditionnement alimentaire d’une chaîne de supermarchés, propriété de la milice chiite, tuant deux de ces membres. Dans un communiqué, l’armée israélienne, qui assure que ces entrepôts faisaient partie du « réseau de défense aérien » de la milice chiite, a présenté cette première offensive dans la Bekaa depuis le début des hostilités, le 8 octobre dernier, comme « une riposte » à la destruction quelques heures plus tôt d’un de ses drones en survol au-dessus du Liban par un missile sol-air du Hezbollah. « L’armée israélienne vise maintenant des lieux où pourraient être entreposés les missiles longue portée Fateh 110, vraisemblablement conservés entre la Bekaa et la Syrie », décrypte Khalil Helou.
Même les régions chrétiennes semblent menacées : sur les réseaux sociaux, une ancienne vidéo de l’organisation israélienne Alma, qui collecte des informations sur les visées du Hezbollah et de l’Iran, est récemment ressortie pour accuser la milice chiite de se servir de voies d’alimentation d’un barrage hydraulique jamais achevé dans l’arrière-pays de Byblos, cœur de la communauté chrétienne, afin de mieux diriger ses missiles vers Haïfa et TelAviv. Les autorités libanaises ont nié, mais la vidéo affole une communauté, dont les critiques contre la guerre étaient jusque-là contenues par solidarité avec Gaza. « Il s’agit très clairement d’un message d’avertissement, qui joue sur l’habituelle dissension communautaire, et dit aux politiques chrétiens : “Vous n’êtes pas à l’abri, faites pression sur le Hezbollah si vous voulez que vos entreprises, votre population s’en sortent” », relève le militaire anonymement.
Au Liban, l’intensification des combats se comprend en relation avec le cessezle-feu en cours de négociation entre le Hamas et Israël. Si la trêve de novembre a concerné le front libanais, la prochaine pourrait ne pas entamer « l’objectif » d’Israël de repousser le Parti de Dieu loin de sa frontière nord, a récemment déclaré le ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant. L’armée israélienne a d’ailleurs déployé des troupes supplémentaires le long de la ligne de démarcation et évacué les derniers civils des localités frontalières. « Les Israéliens pourraient accentuer encore leurs frappes sur tout le Liban afin de pousser le Hezbollah à se retirer de la bordure israélienne », conclut le général Khalil Helou.