Par Delphine Minoui
VIDÉO – Depuis 10 jours, aucun quartier de la ville syrienne n’a été épargné par les raids aériens et les bombardements, coûtant la vie à plus de 250 civils. La trêve porteuse d’espoirs qui avait été instaurée le 27 février n’a finalement apporté aux habitants qu’un bref répit.
Correspondante à Istanbul
Malgré la fatigue et l’usure de la guerre, l’espoir s’était de nouveau installé dans les yeux des rêveurs. À la faveur du relatif cessez-le-feu, instauré le 27 février dernier, et l’arrêt partiel des frappes syriennes et russes sur les zones rebelles, des foules éparses étaient timidement redescendues dans la rue à Alep, Damas ou encore Idlib en renouant avec les chants révolutionnaires de 2011. «La trêve a prouvé que l’esprit de la révolution n’est pas mort. Avec l’arrêt des frappes, les manifestants ont aussitôt retrouvé leurs slogans anti-Assad, rappelant qu’il est le principal responsable des atrocités du pays», observe Kenan Rahmani. Âgé de 28 ans, ce jeune Syrien qui vit à Washington, était même revenu passer dix jours, en mars, dans son pays pour témoigner de cette renaissance.
Mais le rideau noir est vite retombé. Plus de deux mois après l’accord de «cessation des hostilités», le déluge de feu qui s’est abattu la semaine passée sur la partie Est d’Alep (tenue par la rébellion) est l’un des pires qu’ait connus la ville: plus de 250 morts en 7 jours, 2 centres médicaux entièrement détruits, et des dizaines de milliers d’habitants cloîtrés chez eux en guettant la mort. «Durant ces dernières 48 heures, un Syrien est décédé toutes les 25 minutes», a reconnu, jeudi, l’envoyé spécial de l’ONU, Staffan de Mistura.
Les rebelles de l’Armée syrienne libre ont eux aussi leur part de responsabilité: ces derniers jours, ils ont intensifié leur offensive contre la zone Ouest d’Alep, sous contrôle du régime, où de nombreuses victimes sont à déplorer. Ils invoquent la légitime défense, et disent n’avoir aucune confiance envers les nouvelles tractations qui se déroulent entre Washington et Moscou. «Qu’attend l’Occident pour faire cesser le massacre? Que nous soyons tous morts? La confiance est rompue», s’emporte un médecin d’Alep, de passage à Istanbul. Pour lui, comme pour nombre de Syriens, le régime de Damas n’a fait qu’entretenir l’illusion d’une trêve pour mieux servir son objectif final: reprendre le contrôle de cette ville stratégique du nord-ouest du pays.
Dès son instauration, le cessez-le-feu – qui n’incluait ni Daech, ni les islamistes du Front al-Nosra – n’a été que partiellement respecté dans le pays. Si les armes se sont momentanément tues, les sièges ont été maintenus sur de nombreuses localités, comme celle de Daraya. «Les gens ne meurent plus à cause de la guerre, mais à cause de la faim», s’inquiète Ahmad Helmi, un des représentants du comité local. Dans cette banlieue rebelle de Damas, assiégée depuis 2012 par les forces du régime, les 8300 derniers habitants sont condamnés, faute de nourriture, à un repas par jour: une soupe à base de feuilles bouillies. «Une mise à mort aussi lente que vicieuse», dit-il. Dans la campagne de Homs, ex-berceau symbolique de la révolution, où survivent des poches de résistance anti-Assad, les vivres font aussi cruellement défaut. «Nous subissons un siège intégral. Nous manquons de médicaments et de lait en poudre pour les nourrissons», confie par téléphone l’activiste Hassan Shehab. «À l’exception de deux zones précises, qui ont pu recevoir il y a un mois de la nourriture et des produits de première nécessité des Nations unies, la province de Homs n’a obtenu aucune aide depuis un an», dit-il. «En parallèle, même si les raids aériens ont diminué, nous avons été bombardés au moins 200 fois», ajoute-t-il.
Et puis, au nord-ouest du pays, il y a ces frappes particulièrement précises qui ont touché, le mardi 19 avril, la ville de Marat an-Noman, dans la province d’Idlib. Ce jour-là, au moins 44 personnes ont perdu la vie quand des appareils, vraisemblablement du régime ou de ses alliés russes, ont déversé leurs barils d’explosifs sur un marché. Ironie du sort: en visant des civils, et non les islamistes en question, ces bombardements ont une fois de plus fragilisé un des cœurs de la résistance populaire. Les habitants de Marat an-Noman s’étaient récemment distingués en tenant tête au Front al-Nosra, la branche d’al-Qaida en Syrie, concurrente de Daech, qui cherche à s’imposer en ville. «Le régime dit qu’il veut en finir avec les terroristes. En fait, il ne fait que les renforcer en visant les civils et les rebelles modérés qui combattent ces mêmes terroristes», peste un membre du comité local d’Alep.
De passage en Turquie, l’opposant anti-Assad dresse un bilan dramatique de la situation, 5 ans après le début de l’insurrection: «Dans la région d’Alep, nous sommes aujourd’hui attaqués sur trois fronts: l’armée gouvernementale, les djihadistes de l’État islamique et les combattants kurdes des milices YPG.» Pis, dans cette guerre aux multiples protagonistes, les combats entre différentes factions ne font que renforcer le chaos. La semaine passée, une vidéo macabre a fait surface sur la Toile: celle de miliciens YPG exhibant dans la ville d’Afrin, au nord d’Alep, des cadavres de combattants d’Ahrar al-Cham, un groupe rebelle soutenu par la Turquie. «Cela ne présage rien de bon pour l’avenir du pays», s’inquiète-t-il.