Avec une délectation qui en dit long sur l’aversion suscitée par le personnage, un grand nombre de médias et de sites Internet arabes se sont fait l’écho, au cours des dernières semaines, des mésaventures du général Rustom Ghazaleh et des incertitudes concernant son sort. Son affaire est particulièrement embrouillée, ce qui est dans l’ordre des choses s’agissant de l’un des « moukhabarat en chef » les plus importants de l’ère Bachar al-Assad. Mais elle en dit beaucoup sur ce genre de personnages, sur les sentiments qu’ils éprouvent les uns pour les autres, et sur les limites de la tolérance du pouvoir en place vis-à-vis des affaires de toutes natures auxquelles ils trouvent le temps de se livrer, en dépit – ou plutôt en tirant profit – de leurs hautes responsabilités. Surtout, elle laisse entrevoir comment certains perçoivent désormais en Syrie les Iraniens, le Hizbollah et les autres miliciens chiites, dans le camp même de ceux auxquels ils sont censés venir en aide.
Eléments de biographie
On ne s’attardera pas ici sur le parcours professionnel de l’intéressé. Nommé directeur de la Sécurité politique en Syrie après l’attentat contre le siège du Bureau de la Sécurité nationale à Damas, le 18 juillet 2012, Rustom Ghazaleh, dit « Abou Abdo », est surtout connu – et détesté – pour le rôle qu’il a joué au Liban au début des années 2000. Ayant succédé au général Ghazi Kanaan, rappelé à Damas en 2002, il a profité des prérogatives de sa fonction de « chef des services de renseignements syriens » pour se livrer à de multiples activités criminelles et mafieuses. Le pillage et la faillite de la Banque al-Madina, où il disposait de lignes de crédit ouvertes sur des comptes qu’il n’avait jamais approvisionnés et qu’il a spoliée au bas mot de 200 millions de dollars en 3 ans, ne constitue qu’une infime partie de son bilan en la matière. Il est suspecté d’avoir collaboré à la préparation et la réalisation de l’attentat qui a coûté la vie, le 14 février 2005, à l’ancien Premier ministre libanais Rafiq al-Hariri et à une quinzaine de membres de son escorte. Issu, dit-on, d’une famille de nawar (gitans) ayant émigré du Liban en direction du Hauran et installée près de Daraa au début du 20ème siècle, il disposait d’une résidence dans la Beqaa, d’où il pouvait aisément contrôler la bonne marche de ses affaires, et avoir l’œil sur les multiples trafics en direction de la Syrie, dont cette région soumise au Hizbollah est depuis longtemps la plaque tournante.
Rentré dans son pays au printemps 2005, suite au retrait imposé à l’armée syrienne par la Résolution 1559 du Conseil de Sécurité, il s’est vu confier par Bachar al-Assad la gestion sécuritaire de la zone frontalière de la Syrie avec le Liban. Il avait évidemment conservé dans ce pays des informateurs et des réseaux, et il était en mesure d’y intervenir à nouveau à tout moment. Il a été inclus, comme les autres agents du régime en poste au Liban au moment du meurtre, dans la liste des responsables syriens interrogés par la Commission d’enquête internationale chargés d’établir les faits et les responsabilités dans l’attentat contre Rafiq al-Hariri. De ce fait, il a redouté pendant quelque temps d’être sacrifié par ses patrons sur l’autel de la raison d’Etat et de connaître le sort de son prédécesseur, Ghazi Kanaan, suicidé dans son bureau du Ministère de l’Intérieur au mois d’octobre 2005. Mais il n’a pas tardé à être rassuré par les errements de cette Commission, mal protégée contre les manœuvres et les tentatives de corruption, au sein de laquelle des fonctionnaires de diverses nationalités achetés par le régime syrien s’employaient à informer Damas des avancées et des révélations.
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Il apparaît établi que, autour du 15 février 2015, Rustom Ghazaleh a été admis dans un état grave à l’Hôpital Chami de Damas, une clinique privée située non loin du palais présidentiel sur les hauteurs de Damas, qui est l’établissement préféré des riches Damascènes, de la nomenclature civile et militaire et des membres de la famille al-Assad. En revanche, le motif de son admission en urgence dans le service de soins intensifs de cet hôpital reste peu clair. Les partisans du régime, parmi lesquels ses propres affidés, ont en effet colporté sur l’enchaînement des faits qui l’ont conduit là et sur la gravité réelle de son état, des versions largement contradictoires.
Selon les uns, « Abou Abdo » serait décédé
Mais ceux qui le croient mort divergent sur les circonstances de sa disparition qui restent toutes au conditionnel. « Il aurait été victime » d’une défaillance cardiaque qu’aucun signe avant-coureur ne laissait présager… « Il aurait été mortellement blessé » en dirigeant les combats contre des groupes de l’Armée syrienne libre dans la région de Daraa… « Il aurait été assassiné » par des Iraniens de la Brigade al-Quds, sur ordre du général Qasem Sleimani, mais avec l’accord des plus hauts responsables syriens, après la découverte d’un complot qu’il aurait ourdi contre Bachar al-Assad avec la complicité d’officiers alaouites… « Il aurait été liquidé » sur ordre de ce même Bachar ou d’un membre de son proche entourage, non pas pour avoir exhorté les combattants de son village à défendre les lieux par tous les moyens et quoi qu’il en coûte, mais pour avoir utilisé pour ce faire une formule malencontreuse : « Qardaha pourrait tomber que Qarfa ne tombera jamais« . Elle aurait été entendue en haut lieu, où certains se sont fait un malin plaisir de la rapporter, comme une expression de mépris pour la famille au pouvoir dont Qardaha est le berceau, et donc comme un blasphème. « Il aurait déjà un successeur », enfin, en la personne du général Zouheïr Hamed, qui exerçait précédemment ses talents aux Renseignements généraux / Sécurité d’Etat.
En dépit des incertitudes, des contradictions et de l’absence de véritables éléments de preuve, la liquidation du directeur de la Sécurité politique n’a pas eu de peine à trouver des propagandistes. La mort à Deïr al-Zor, en octobre 2013, du général Jameh Jameh, était en effet apparue à certains comme la reprise du cycle des « disparitions programmées » des anciens responsables sécuritaires syriens au Liban. Début 2015, le régime était en effet placé sur la sellette, à la fois par le recueil de témoignages récents et convergents sur son implication directe dans l’affaire al-Hariri, et par sa possible mise en accusation devant une Cour pénale internationale pour les crimes commis sur ses ordres depuis le début du soulèvement populaire, dont les photographies de César avaient révélé la barbarie, l’ampleur et le caractère organisé. La fâcheuse habitude du pouvoir en place de faire disparaître définitivement les témoins gênants de ses méfaits venait d’ailleurs d’être confirmée par les autorités libanaises. Sur la base de renseignements alarmants, elles s’étaient opposées, le 16 février 2015, au transfert de l’ancien ministre libanais de l’Information Michel Samaha, de sa prison vers un centre de soin. Elles redoutaient qu’un malencontreux accident ou une attaque « terroriste » en bonne et due forme ne vienne les priver de ce témoin de premier plan sur les us et coutumes des services de renseignements du pays voisin.
Rappelons à toutes fins utiles que, recruté par la Présidence syrienne pour donner un peu plus de subtilité à sa propagande et pour la faire profiter de son réseau de relations avec les milieux politiques et sécuritaires de divers pays européens, dont la France, Michel Samaha avait été arrêté, le 9 août 2012, pour avoir transporté dans sa voiture, de Damas à Beyrouth, une somme de 170 000 dollars et 24 charges explosives. Certaines, aimantées, étaient prêtes à servir pour des attentats à la voiture piégée semblables à ceux précédemment commis contre des personnalités libanaises de premier plan, toutes hostiles à la présence de la Syrie dans leur pays. Ces explosifs lui avaient été remis par le général Ali Mamlouk, ancien directeur général de la Sécurité d’Etat / Renseignements généraux et chef en exercice du Bureau de la sécurité nationale. Parmi les cibles qui lui avaient été désignées par son commanditaire figurait en particulier le patriarche maronite Bichara Raï, dont la proximité avec la Syrie aurait prévenu toute mise en cause des Syriens et dont l’appartenance confessionnelle aurait naturellement orienté les regards vers les milieux islamistes radicaux…
Pour d’autres, Rustom Ghazaleh ne serait que blessé
Selon Assem Qanso, chef du Parti Baath libanais, qui lui a rendu visite à l’hôpital, il aurait été grièvement blessé à la jambe et à l’œil par des éclats d’obus sur un champ de bataille au sud de la Syrie. On a peine à le croire, le directeur de la Sécurité politique ayant certainement des choses plus importantes à faire, dans cette période troublée, que d’aller participer directement aux combats et de faire lui-même le coup de feu, y compris dans une localité d’importance stratégique comme Daraa.
Pour d’autres sources tout aussi « informées », « Abou Abdo » aurait reçu des coups d’une extrême violence, qui ont rendu son hospitalisation inévitable. Si les récits divergent sur le ou les commanditaires de son agression, ils s’accordent à considérer que les donneurs d’ordre sont, dans tous les cas, des homologues du général Rustom Ghazaleh, dont il apparaît à cette occasion qu’il ne comptait pas que des amis dans les rangs de ses collègues.
Une leçon donnée par Jamil Hasan ?
Il s’agirait, selon les uns, du général Jamil Hasan, le chef sanguinaire des très redoutés moukhabarat de l’armée de l’air. L’affaire trouverait son origine dans l’ordre que celui-ci aurait donné à l’aviation de bombarder les environs de la « villa » de son alter ego, sous prétexte d’empêcher les combattants de l’Armée syrienne libre et leurs alliés de progresser à couvert vers le village de Qarfa. Mais, interprétant cette décision comme une menace implicite à son endroit, Rustom Ghazaleh aurait donné ordre aux « Brigades Ghazaleh », qu’il avait créées et qu’il finançait de sa poche, de détruire la maison et tout son contenu. C’est dans ces conditions qu’il aurait prononcé la phrase plus haut rapportée dissociant le sort de Qarfa de celui de Qardaha… Cette saillie étant parvenue aux oreilles des plus hauts dirigeants, elle aurait fortement irrité les responsables alaouites des services de sécurité qui auraient pris la décision d’infliger une leçon à leur « camarade ».
Sommé de s’expliquer, « Abou Abdo » aurait involontairement aggravé son cas. Mis en cause devant le Tribunal spécial pour le Liban par un témoin, qui avait révélé que l’intéressé avait pour habitude d’imposer à Rafiq al-Hariri le paiement de fortes sommes d’argent, l’ancien proconsul syrien au Liban avait tenté de se disculper. Il avait déclaré que ce n’était pas lui qui avait mis en place le système d’extorsion de fonds au détriment des leaders politiques et des hommes d’affaires libanais. Ce système remontait à l’époque de son prédécesseur Ghazi Kanaan, et d’autres hauts responsables syriens du dossier libanais y avaient eu recours, à commencer par l’ancien chef d’état-major le général Hikmet Chihabi et l’ancien vice-président Abdel-Halim Khaddam. Il avait ainsi suggéré sans le vouloir que la corruption et le vol existaient déjà du temps de Hafez al-Assad, qui en était parfaitement informé et n’y trouvait rien à redire. Sur le fond, il n’avait pas tort, le fondateur de la dynastie al-Assad ayant encouragé les plus hauts officiers de son armée et de ses services à s’intéresser à leur fortune plutôt qu’à lui disputer la gestion du pouvoir. Mais toute vérité n’est pas bonne à dire, et, arrêté suite à ses différents propos, Rustom Ghazaleh avait été si violemment frappé et torturé qu’il avait dû être hospitalisé pour une hémorragie cérébrale.
Une sanction infligée par Rafiq Chehadeh ?
Le principal responsable du triste état d' »Abou Abdo » reste toutefois, dans la plupart des récits, un autre de ses collègues, le général Rafiq Chehadeh, directeur des Services de renseignements militaires. Mais ceux qui s’accordent pour le désigner divergent sur les raisons qui auraient motivé son accès de colère à l’égard de son homologue.
Rustom Ghazaleh, chef de gang mafieux ?
Un premier récit fait état de l’arrestation, par des hommes de Rafiq Chehadeh, d’un groupe de trafiquants qui livraient du mazout au prix fort à des unités rebelles dans le sud de la Syrie. Il était apparu, durant leur interrogatoire, qu’ils étaient liés à Rustom Ghazaleh. Ayant appris la chose, et estimant sans doute que l’affaire ne surpassait pas en importance les échanges de bons procédés entre le régime et l’Etat islamique pour la vente de pétrole, puis, plus récemment, pour la fourniture d’électricité aux secteurs tenus par le pouvoir à Alep et dans ses environs, il était monté au créneau pour exiger la libération de ses affidés. Mais, au cours d’un entretien téléphonique entre les deux hommes, le ton avait monté et ils en étaient venus à échanger des insultes. Finalement, le chef de la Sécurité politique s’était rendu au siège des Renseignements militaires pour parler d’homme à homme avec son homologue. A son arrivée sur les lieux, des agents de Rafiq Chehadeh s’étaient aperçus que le visiteur était équipé… d’une ceinture d’explosifs ! Ils l’avaient arrêté et ils avaient procédé à la neutralisation de son équipement. Puis, conformément aux ordres de leur chef, ils l’avaient roué de coups. De là, il avait été envoyé à l’Hôpital Chami.
Rustom Ghazaleh, des ambitions inavouées ?
Un second récit fait remonter l’antagonisme entre les deux hommes à deux épisodes plus anciens. Au début du mois de juillet 2014, Rafiq Chehadeh avait appris par un informateur au Liban que Rustom Ghazaleh avait contacté un site internet du pays voisin pour lui proposer, sans avoir sollicité l’aval de la tête du régime, de publier ses mémoires. Elles devaient couvrir, sous la forme d’une série d’articles ou de chapitres, la période allant de 1977 à 2005, soit de sa sortie de l’Académie militaire de Homs à son retour en Syrie, au terme d’une mission de 32 ans au Liban où il était arrivé pour la première fois en 1982. La perspective d’une telle publication avait de quoi surprendre, et plus encore inquiéter les plus hauts responsables syriens, qui n’avaient aucun intérêt à voir exposer, même présentés au mieux des ambitions d’Abou Abdo, un certain nombre d’évènements sur lesquels le silence constituait évidemment leur meilleure garantie. En tout cas, cette affaire avait confirmé aux yeux de Rafiq Chehadeh que Rustom Ghazaleh était soucieux de jouer un jeu personnel et d’améliorer son image au détriment de celle du pouvoir. Il l’avait déjà laissé entrevoir lorsqu’il avait tenté de faire inclure, dans l’amnistie présidentielle décrétée à l’occasion de la réélection de Bachar al-Assad en mai 2014, la totalité des prisonniers originaires de « son » gouvernorat de Daraa.
Rustom Ghazaleh, hostile à la suprématie iranienne en Syrie ?
Rustom Ghazaleh aurait fini de provoquer la fureur de son alter égo en refusant, comme celui-ci le lui avait demandé, de laisser les Iraniens et le Hizbollah prendre position dans sa « villa » de Qarfa, située sur une hauteur. Ils voulaient en faire leur QG et y installer de l’artillerie et des blindés, afin de s’opposer dans de meilleures conditions à la progression des forces rebelles sur l’axe Daraa-Damas. C’est précisément pour leur interdire les lieux qu’il avait fait procéder au dynamitage et à l’incendie de sa propriété. Et, dans un geste de défi destiné à montrer qu’il ne laisserait entrer chez lui « aucune force étrangère », il avait fait poster par ses fidèles sur YouTube une vidéo de l’opération. Certes, il avait justifié son acte en expliquant qu’il voulait empêcher les groupes armés de s’emparer de son mobilier et de la garde-robe de sa femme, de dérober les œuvres d’art et les trésors archéologiques accumulés au fil des temps, et de l’humilier en exposant leur butin. Mais il n’avait pas convaincu Rafiq Chehadeh, qui, informé de sa visite, lui avait réservé un accueil conforme aux us et coutumes des clans mafieux. Postés à la porte de son bureau, huit malabars ne lui en avaient autorisé l’accès qu’après lui avoir fait subir une bastonnade en règle pour « refus de coopérer avec le Hizbollah ». Il avait été envoyé à l’Hôpital Chami avec une hémorragie cérébrale.
S’agissant de Rustom Ghazaleh, cette accusation aujourd’hui d’une extrême gravité – « refus de coopérer avec le Hizbollah » – n’est peut-être pas sans fondement. Il y a plusieurs mois, des responsables du « Parti de Dieu » avaient déjà eu l’opportunité de le constater par eux-mêmes. Au cours d’une réunion à laquelle participaient les états-majors des forces syriennes et du Hizbollah, un représentant de ce dernier avait protesté contre le comportement de l’armée syrienne. Selon lui, « une fois que nos hommes se sont battus et se sont fait tuer, vous arrivez avec vos médias pour prendre la pose, tout en interdisant à nos télévisions d’approcher ». Constatant que personne n’osait répondre à cette mise en cause, d’autant plus infamante qu’elle correspondait à une réalité bien établie, « Abou Abdo » avait demandé la parole. Retrouvant le ton que lui autorisaient jadis ses fonctions au Liban, il avait rappelé que, « sans la Syrie, le Hizbollah n’existerait tout simplement pas », que « ce qui se déroulait actuellement en Syrie conditionnait aussi la survie du Hizbollah, qui se battait donc également pour lui« , et il avait accusé à son tour la principale milice chiite engagée au côté des forces régulières syriennes de ne « pas se battre », mais « d’acheter ses victoires en soudoyant les groupes rebelles pour qu’ils se retirent sans échange de coups de feu« .
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Trois enseignements
De la mésaventure du général Rustom Ghazaleh, qui expérimente aujourd’hui par un juste retour des choses ce qu’il a fait subir à ses administrés, hier au Liban et aujourd’hui en Syrie, on retiendra à ce stade trois enseignements :
Pour empêcher quiconque de savoir exactement de quoi il retourne dans cette affaire, qui met en présence quelques-unes des principales personnalités sécuritaires du pays et concerne son mode de fonctionnement interne, le régime syrien a encore une fois favorisé la diffusion par ses partisans et ses agents, syriens ou libanais, de récits divergents et parfois totalement contradictoires.
Il est peu probable que, comme certains l’ont affirmé, le régime ait cherché à se débarrasser de Rustom Ghazaleh. Si tel avait été le cas, il s’y serait pris autrement. Il aurait fait montre d’une plus grande discrétion. Surtout, il n’aurait certainement pas raté son coup. Et « Abou Abdo » serait allé rejoindre dans l’au-delà, quatre autres généraux comme lui entendus par la Commission d’enquête : le général Asef Chawkat, le général Ghazi Kanaan, le général Jameh Jameh, et le général Abdel-Karim Abbas, tué à la fin du mois de septembre 2008 dans un attentat à la voiture piégée devant le siège de la Branche Palestine, dont il était devenu le sous-directeur à son retour à Damas.
Il est tout à fait possible en revanche que les responsables syriens aient souhaité donner une leçon à ceux qui, au sein des services de renseignements et des forces armées, commencent à s’offusquer, voire à protester, contre le poids pris par l’Iran et son principal instrument dans la région, le Hizbollah, dans la prise de décision et dans la conduite des opérations militaires en Syrie.
Aussi longtemps que les Pasdaran, les Hizbollahis et les autres mercenaires recrutés par Téhéran dans l’ensemble du monde chiite « pour défendre les lieux saints de Syrie menacés par les sunnites », se sont contentés d’apporter leur soutien aux forces régulières et de les faire bénéficier de leur expérience militaire, ils ont été les bienvenus. Mais, depuis que Bachar al-Assad, faute de confiance dans son entourage, les a autorisés à se comporter « chez lui » comme une véritable force d’occupation et à imposer leur autorité à sa propre armée, des voix ont commencé à se faire entendre pour dénoncer leurs agissements et, parfois, la recherche d’objectifs ne servant pas les intérêts de la Syrie. Des expressions d’insatisfaction se sont élevées dans les rangs des officiers syriens qui, depuis le début du soulèvement populaire, n’avaient éprouvé aucune réticence à ouvrir le feu sur leurs propres compatriotes de tous âges, assimilés tour à tour à des infiltrés, des comploteurs, des agents stipendiés de l’étranger, des islamistes, des djihadistes et des terroristes…
A quelques occasions, des affrontements ont mis aux prises des unités de l’armée régulière ou des forces paramilitaires et des combattants du Hizbollah. Ils ne concernaient pas uniquement le contrôle de certains secteurs et l’appropriation du butin récupéré dans les maisons désertées par leurs habitants. Ils laissaient entrevoir des divergences profondes sur la manière de « faire la guerre » aux forces de l’opposition, et, plus encore, ils montraient que les militaires syriens n’approuvaient pas la liberté laissée aux forces venues au secours de leur pays d’agir chez eux comme en territoire conquis.
De ce point de vue, certains épisodes ont laissé des traces, comme l’exécution de 12 officiers de l’armée syrienne originaires de Tartous, condamnés à mort à la mi-février pour « connivence avec l’ennemi » et « haute trahison », après l’arrivée dans le gouvernorat de Daraa du général Qasem Sleimani. En réalité, ils avaient uniquement protesté contre l’abandon de la direction des combats à des officiers iraniens du corps des Gardiens de la Révolution. Quelques jours plus tôt, l’interception de communications entre responsables militaires dans la région de Lattaquié a permis de constater le haut degré d’amertume d’autres officiers, qui n’étaient « pas disposés à accepter que la situation actuelle perdure », car ils n’étaient « pas de simples recrues de l’armée iranienne ou des éléments de Hasan Nasrallah » !
Le mécontentement est particulièrement perceptible parmi les officiers alaouites, qui n’ont pas été habitués à être traités de la sorte et qui désapprouvent un abandon de souveraineté et de décision qu’ils n’avaient jamais connu du temps de Hafez al-Assad. Ils s’étaient exprimés durant l’intervention du Hizbollah à Qseïr, et ils avaient critiqué la conduite des batailles du Qalamoun et de la Ghouta de Damas. Mais leur réprobation a atteint son apogée avec la décision du « proconsul » iranien en Syrie, auquel Bachar al-Assad a désormais abandonné ses prérogatives de commandant en chef des armées et des forces armées syriennes, de maintenir en poste certains officiers désapprouvés par leur hiérarchie ou d’écarter des officiers et des soldats syriens, auxquels il ne faisait pas confiance, des combats pour la reprise d’Alep et d’autres localités de ce gouvernorat.
C’est peut-être pour imposer le silence à ces voix discordantes, en plus de sanctionner ses errements et lui faire oublier ses ambitions personnelles, que le général Rustom Ghazaleh vient de subir une de ces corrections que l’on dit mémorables.