On trouve plusieurs variantes d’une citation attribuée à Voltaire qui aurait écrit : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Si Voltaire n’a pas réellement formulé cette pensée, cette dernière n’en reflète pas moins un certain état d’esprit fait de tolérance et d’acceptation de la contradiction. Lors du récent meeting organisé par les Forces Libanaises dans l’enceinte du Biel, plusieurs discours prononcés ont retenu l’attention des observateurs et du grand public. Deus d’entre eux ont été probablement la cause d’un quiproquo où cette même ouverture d’esprit a semblé mise à mal.
L’allocution de Samir Geagea a, encore une fois, permis de mesurer la métamorphose de la pensée de l’ancien chef des milices chrétiennes. Le nouveau Samir Geagea s’est situé dans la fidélité au fameux serment que Gebran Tueni prononça un certain 14 Mars 2005. Il se démarque ainsi d’un passé milicien qu’il ne cherche même pas à enterrer dans un impossible oubli mais qu’il assume. Seul l’avenir nous dira si un tel changement est structurel ou simplement circonstanciel.
Du haut de la même tribune, certains discours évoquèrent les relations libano-syriennes. Suite à quoi, les représentants du chef de l’Etat et du président de la Chambre, se virent retirer leur mandat officiel de représentation. Les media se firent l’écho du souci que les deux premiers personnages de l’Etat libanais avaient à ne pas nuire aux bonnes relations avec l’Etat syrien voisin, malgré le fait que les propos tenus n’étaient ni calomnieux, ni injurieux, ni diffamatoires à l’égard des dirigeants syriens mais reflétaient une opinion personnelle. La prudence frileuse des autorités libanaises pourrait être comprise tant qu’elle ne remet pas en cause la protection des libertés fondamentales qui est du ressort exclusif du pouvoir politique.
Le Liban est non seulement signataire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 mais il est, en outre, un des auteurs. Ce document a primauté sur toutes les constitutions et toutes les lois nationales des états signataires. A l’article 19, il proclame : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». La constitution libanaise garantit ces droits et le chef de l’Etat, comme gardien de la constitution, est en principe le protecteur des libertés fondamentales de tout un chacun. Les propos de l’un ou l’autre orateur ont pu déplaire à telle ou telle instance officielle mais, en vertu même de l’article 19 en question, ces mêmes instances auraient dû éviter de donner la désagréable impression de porter indirectement atteinte aux libertés publiques sous prétexte de ne pas nuire aux relations avec un pays voisin dirigé par un régime de type stalinien.
Le voisin syrien aurait pu se montrer mécontent de certains propos ? Tant pis pour lui. Pourquoi l’exécutif libanais demeure-t-il muet quand les bonnes relations libano-libyennes sont mises à mal à cause du soupçon qui plane sur l’implication de l’Etat libyen dans la disparition de l’Imam Moussa Sadr ? Pourquoi les plus hautes autorités de l’Etat ou le parquet ne font rien lorsqu’un pays frère comme l’Egypte, se voit admonester par les discours incendiaires des membres libanais du Parti de Dieu ? Pourquoi les autorités libanaises ne font rien quand un simple citoyen, comme Monsieur Wiam Wahab, se permet de donner des leçons en public au chef de l’Etat sur un ton désobligeant, à la limite de l’incorrection ? Pourquoi l’exécutif libanais fait la sourde oreille et joue les aveugles lorsque des citoyens libanais, non mandatés à cet effet, ne se gênent pas d’aller discuter à Damas avec les autorités syriennes des affaires intérieures libanaises ? En principe, de tels comportements relèvent d’une catégorie clairement exprimée par le droit public et peuvent être pénalement poursuivies. Pourquoi des pays amis, occidentaux notamment, peuvent être publiquement mis en cause, voire carrément insultés parfois devant des représentants officiels, sans que les autorités libanaises ne désavouent qui que ce soit ? Et pourquoi l’exécutif libanais ne fronce même pas les sourcils lorsque le chef de l’Etat syrien se permet, avec une rare outrecuidance, de proclamer qu’il a des alliés au Liban, et non la république libanaise comme telle ; ou de donner des leçons sur notre manière de gérer nos propres affaires chez nous ? Au nom de quoi l’exécutif libanais justifie-t-il une telle passivité vis-à-vis d’une puissance étrangère ?
La frilosité préventive dont a fait preuve l’exécutif libanais durant le meeting FL annonce un climat malsain qui pourrait mettre en grave danger les libertés publiques. Il y aurait donc, au Liban, des sujets réputés tabous dont on ne peut pas parler. Les orateurs qui ont évoqué au Biel certains aspects des relations libano-syriennes, n’ont fait que répéter ce qu’on ne cesse de dire et d’écrire depuis 2005, depuis que la volonté du peuple a fait sortir les armées syriennes hors du territoire national. Ce qui a été dit au Biel, exprime le fond de la pensée de la majorité du peuple libanais qui s’est prononcé dans le même sens que les orateurs en question, lors du scrutin législatif du 7 juin 2009.
« La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics » dit l’article 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. L’incident du Biel constitue un déni d’une telle disposition. Il est du droit de tout citoyen d’interpeller les pouvoirs publics du Liban pour leur demander : Avez-vous l’intention, au nom de la raison d’Etat, de piétiner la volonté de la majorité du peuple ? Et par quels moyens ?
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Rédigé en ce vendredi 9 Avril 2010