C’est demain, lundi 26 janvier, que les « opposants » syriens désignés par les Russes avec l’aide de leurs amis au sein du régime de Bachar al-Assad, entameront à Moscou une rencontre sans précondition et sans ordre du jour. Tenue sous les auspices d’un parrain à la partialité avérée, elle suscite beaucoup d’interrogations et davantage encore de critiques. Une telle réunion peut s’apparenter en effet à une séance de dynamique de groupe ou de thérapie collective, mais ne peut nullement prétendre à la recherche d’un consensus sur une question d’une particulière difficulté : les voies et moyens d’une solution politique à une confrontation sanglante, qui, opposant depuis près de quatre ans un régime d’une violence extrême à des populations en quête de liberté et de dignité, a fourni prétextes et occasions à l’intervention en Syrie d’un grand nombre d’acteurs régionaux et internationaux.
Une partie des « sélectionnés » – les récalcitrants – a décidé de ne pas répondre à cette convocation, redoutant que le verre de thé russe qui les attend ait le même gout amer que la traditionnelle « finjan ‘ahweh » (tasse des café) des services de renseignements de leur pays. Une autre partie – les opportunistes – serait prête à se rendre au bout du monde pour exposer ses idées consensuelles à la moindre tribune et pour se convaincre ainsi qu’elle existe. Une dernière partie – les incertains – regroupe les invités qui, pour des raisons différentes, n’ont pas encore publiquement levé le doute sur leur participation. Reste la délégation du régime : elle sera identique à celle qui avait siégé à « Genève 2 », puisqu’il s’agira une nouvelle fois pour le pouvoir en place de discutailler sans rien concéder.
Les absents :
– Les anciens membres de la Coalition nationale des Forces de la révolution et de l’Opposition syrienne (CN), le cheykh Ahmed Moazz al-Khatib et le Dr Walid al-Bounni, laisseront leur chaise vide. Le premier, élu président de la CN lors de sa création, avait montré sa bonne volonté en se rendant à Moscou en novembre 2014. Mais, depuis le 1er janvier 2015, il a multiplié les déclarations et refroidi l’ardeur des organisateurs en rappelant à quelles conditions ce qu’on qualifie à tort d’ « opposition de l’extérieur », seule à même de parler sans crainte de représailles, serait disposée à répondre à ce genre d’invitation. Le second a exposé à plusieurs occasions dans ses articles les doutes que lui inspirait un exercice tenu dans de telles conditions.
– Les membres actuels de cette même Coalition – son président sortant Hadi al-Bahra, l’ancien secrétaire général Badr Jamous, l’Assyrien Abdel-Ahad Stifo, le Kurde Abdel-Baset Sida et le Dr Salah Darwich – seront également absents. Ils ne voient aucun utilité à une rencontre entre opposants qui fera double emploi avec celle qui vient de se tenir au Caire les 22 et 23 janvier. Ils considèrent que les invitations auraient dû concerner des partis politiques et non de simples individus, qui plus est choisis par les organisateurs selon des critères inavoués mais évidents. Ils réfusent de siéger face à une délégation du régime de bas niveau qui, en tout état de cause, n’aura comme d’habitude aucune autre stratégie que le blocage et aucun pouvoir de décision. Ils réclament avant toute chose des « mesures de confiance » : arrêt des bombardements, approvisionnement des localités assiégées, libération des prisonnières et des prisonniers… Ils n’ont évidemment pas été convaincus par une manœuvre russe de dernière heure consistant à adresser des invitations supplémentaires à quelques figures de leur Coalition : son nouveau président Khaled Khoja, son ancien président Ahmed al-Jarba, l’animateur du Bloc des démocrates Michel Kilo, et Farouq Tayfour, principal représentant des Frères Musulmans au Conseil national syrien et à la Coalition.
– Vice-présidente du Courant de la Construction de l’Etat syrien, Mouna Ghanem ne fera pas non plus le déplacement. Elle a rappelé que son mouvement était prêt à s’impliquer dans un processus politique, mais à condition qu’il soit « sérieux et susceptible de dégager les voies d’une solution politique à la crise en Syrie ». Or tout cela ne peut se faire au cours d’une aimable conversation, tenue uniquement entre ceux qui auront répondu à l’invitation. Elle ne s’est pas non plus laissée convaincre par la présence, dans la liste des invités de la dernière heure, du président de son Courant, Louaï Huseïn, dont tout le monde sait pertinemment qu’il ne pourra se rendre à Moscou puisqu’il est détenu de manière arbitraire, dans des conditions qui n’ont rien à voir, il est vrai, avec celle des victimes photographiées par César…
Les présents :
– Après avoir menacé de ne pas autoriser ses membres – son coordinateur général Hasan Abdel-Azim, son adjoint pour l’extérieur Haytham Manna et l’économiste Aref Dalileh – à répondre à des invitations qui auraient dû être collectives et non pas individuelles, le Comité de Coordination nationale des Forces de Changement démocratique (CCNCD), principale composante de « l’opposition tolérée », a changé d’avis. Il a finalement indiqué qu’il « laissait à chacun le choix d’aller à la réunion de Moscou ». Il voyait là l’occasion de « présenter le point de vue du Comité, pour qui aucune négociation ne doit se substituer à Genève 1 ». Ce rétropédalage est intervenu après l’acceptation des Russes d’augmenter le quota de sièges réservés autour de la table au CCNCD, dont sont désormais également conviés Safwan Akkach, Ahmed al-Asrawi, Abdel-Majid Manjouneh et Majed Habo. La majorité d’entre eux ne laissera pas passer l’occasion qui leur est offerte, en l’absence de la Coalition nationale, de réclamer pour leur Comité le leadership de l’opposition syrienne. Même s’il leur faudra pour cela oublier, au moment de faire face à la délégation du pouvoir, que celui-ci détient sans raison dans ses geôles plusieurs de leurs camarades – le Dr Abdel-Aziz al-Khayyer et l’ancien juge Raja al-Naser en particulier – qui ne sont ni des terroristes, ni des criminels. Seul leur chef, l’avocat Hasan Abdel-Azim, a laissé planer le doute sur sa présence, liant sa participation au niveau de représentativité de la délégation du pouvoir…
– En dépit des réserves exprimées par des cadres de leur parti, deux personnalités kurdes – Mohammed Salah Mouslim, président du Parti de l’Union démocratique (PYD), aile syrienne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) d’Abdollah Öcalan, et Khaled Aissa, son représentant en France – seront présentes à Moscou. On ignore en réalité si elles ont été invitées en tant que Kurdes, ou en tant que membres dirigeants du même CCNCD. Le premier en est en effet l’un de ses vice-coordinateurs à l’intérieur. Le second est son vice-coordinateur à l’extérieur.
– Trop heureux d’avoir été remarqués et sélectionnés par les Russes, la majorité des dirigeants et dirigeantes des formations créées en Syrie dans les conditions qu’on sait, depuis l’adoption de la loi sur le pluralisme politique, répondront à la convocation. Il est difficile d’en dresser la liste exacte, les Russes n’ayant pas pris le risque de faire connaître eux-mêmes les noms de leurs « invités »… Il s’agit de Mahmoud Mereï et Maïs Kridi (Organisation d’Action nationale), de Qadri Jamil (Parti de la Volonté populaire), de Mazen Maghrabiyeh (Troisième Courant), de Majd Niyazi (Parti Souriya al-Watan), de Barwin Ibrahim et Souheïr Sarmini (Patri de la Jeunesse patriotique), de Nawwaf al-Moulhem (Parti du Peuple), du cheykh Faysal Abdel-Rahman et de Abbas Habib (Conseil des Tribus de Syrie), de Haytham Hamoudeh (Parti de la Solidarité) et de Fateh Jamous (ancien dirigeant du Parti d’Action communiste rejeté par ses camarades, aujourd’hui rallié au Front de Changement et de Libération codirigé par l’ancien communiste Qadri Jamil, ex-vice-Premier ministre dans le gouvernement de Wa’el al-Halqi, et le ministre de la Réconciliation Ali Haydar, chef d’une aile du Parti syrien national social).
Les incertains :
– Les activistes Salim Kheir-Bek et Maya al-Rahabi, qui bénéficient du respect général pour l’ancienneté et la sincérité de leur engagement, n’ont pas fait connaître leur décision.
– Il en va de même de Samir Aïta, président d’une Tribune démocratique aujourd’hui désertée par la plupart de ses membres fondateurs.
– Il en va encore de même du général Mohammed Fares, premier et unique astronaute syrien, et du richissime homme d’affaires Ayman al-Asfari, installé à Londres.
– Ancien porte-parole du ministère syrien des Affaires étrangères, Jihad Maqdisi pourrait être incité à se rendre à Moscou par le veto mis à sa présence par son ancien patron, Walid al-Moallem.
– Un flou qui n’a rien d’artistique, contrairement à ses peintures, entoure la présence de la présidente du Mouvement de la Société pluraliste, Randa Qassis. Mise en examen à Paris dans une affaire de trafics de visas au profit de ses concitoyens, et victime d’un accident de la circulation dont la réalité comme la gravité sont source d’interrogations, elle n’en annonce pas moins, ce jour, sur sa page Facebook, qu’elle est d’ores et déjà à pied d’oeuvre à Moscou. Pour l’anecdote, on rappellera seulement que, au terme d’un entretien avec l’invitée favorite de certaines chaines de télévision françaises, tenu à Genève alors qu’elle pouvait encore voyager, la conseillère politique de Bachar al-Assad, Bouthayna Chaaban, s’était demandé à haute voix ce qui lui interdisait finalement de revendiquer, elle aussi, le qualificatif « d’opposante »…
Les délégués du régime :
– Comme à Genève, au début de l’année écoulée, la délégation du régime sera présidée par l’ambassadeur Bachar al-Jaafari, représentant permanent de la Syrie à l’ONU. Il a été maintenu parce qu’il avait alors totalement répondu à ce que le pouvoir attendait de lui. Il s’était systématiquement opposé à la mise en place concertée de l’autorité de transition dotée des pleins pouvoirs, une proposition pourtant inscrite dans le texte de « l’Accord de Genève 1 » de juillet 2011 validé par Moscou et les autres grandes capitales, et il avait sans cesse ramené le débat sur la question de la lutte contre le terrorisme islamique pour tenter de dissimuler le terrorisme aussi radical et encore plus meurtrier du régime en place.
– Il sera assisté des mêmes individus qui l’avaient alors aidé à détourner la rencontre de ses objectifs : Ahmed Arnous, conseiller du ministre des Affaires étrangères et des Expatriés, les avocats Ahmed Kozbari et Mohammed Kheïr Akkam, Ousama Ali, membre du cabinet du ministre, un certain Amjad Aissa, apparenté à plusieurs officiers des services syriens dont le général Dib Zitoun, et, finalement Riyad Haddad, ambassadeur de Syrie à Moscou.
– La principale absente de cette délégation à cette heure est Louna Chebel, responsable du bureau de presse de la présidence, dont le sourire béat avait surpris nombre de délégations officielles lors de l’ouverture des vrais-fausses « négociations de Genève », à Montreux.