Les milieux politiques libanais sont encore sous le choc des déclarations incendiaires du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, contre l’Arabie saoudite, qui a décapité 47 « terroristes » présumés, dont un dignitaire chiite, Nimr el- Nimr, accusés, comme on le sait, par Riyad de suivre les courants takfiristes, d’appartenir à des organisations terroristes, de porter un coup à l’économie saoudienne et de nuire aux intérêts du royaume avec des États frères.
L’une des conséquences immédiates de cette exécution, vue par le Hezbollah comme un acte de guerre, est le gel, sine die, de l’initiative proposée par le chef du courant du Futur, Saad Hariri, pour débloquer le dossier de la présidentielle. L’espoir qu’avait fait naître cette initiative, qui porte principalement sur l’élection du chef des Marada, Sleiman Frangié, à la tête de l’État, s’est éteint avec les premiers mots prononcés par Hassan Nasrallah contre Riyad.
Plus grave encore est le précédent créé par le chef du Hezbollah, dont le discours représente, du point de vue du 14 Mars, un « message véhément iranien adressé par des voix libanaises à l’Arabie saoudite, à des fins régionales ». Cette évolution dans le bras de fer irano-saoudien inquiète au plus haut point les 14-Marsistes qui y ont vu, entre autres, une nouvelle tentative du Hezbollah d’enfoncer le Liban dans le conflit régional. Ce faisant, Hassan Nasrallah n’a pas manqué, encore une fois, de s’immiscer dans les affaires d’un pays tiers avec lequel le Liban entretient les relations les plus étroites. Un tel comportement intervient après que le parti chiite eut impliqué le Liban dans la crise syrienne, sous prétexte tantôt de protéger un lieu de culte chiite près de Damas, celui de Sitt Zeinab, et tantôt de lancer une guerre préventive pour contrer le danger jihadiste. Il n’a pas manqué non plus de fouler aux pieds les conventions et les coutumes internationales, et plus particulièrement les lois libanaises, qui interdisent toute immixtion dans les affaires d’un pays ami et toute atteinte à un État arabe. Il a fait voler en éclats aussi un principe que le Liban suit scrupuleusement depuis toujours, à savoir « se tenir aux côtés des Arabes lorsqu’ils s’entendent entre eux, et rester neutre lorsqu’ils sont en conflit ».
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Pratiquement, comment la déclaration de guerre irano-hezbollahie contre l’Arabie saoudite peut-elle donc affecter le Liban ? De nombreux observateurs redoutent une complication des efforts déployés jusque-là pour débloquer la présidentielle. Ils voient mal le Hezbollah, qui, il n’y a pas très longtemps, avait exprimé des réserves au sujet de la candidature de Sleiman Frangié, en avançant l’argument de l’engagement « moral et éthique » en faveur de celle du chef du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, Michel Aoun, souscrire à la proposition haririenne, appuyée par l’Arabie saoudite, la France et le Vatican, et qui prévoit, outre l’accession de M. Frangié, une figure éminente du 8 Mars, à la magistrature suprême, la nomination d’un 14-Marsiste, en l’occurrence Saad Hariri, à la tête du gouvernement ainsi que l’élaboration d’une loi électorale fondée sur un mode de scrutin mixte.
Or, dans les circonstances actuelles, il est peu probable que l’Iran et le Hezbollah acceptent l’accession du très saoudien Saad Hariri à la tête du gouvernement.
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Dans le meilleur des cas, le bras de fer irano-saoudien pourrait déboucher sur l’élection d’une personnalité autre que les « quatre candidats forts », à savoir Amine Gemayel, Michel Aoun, Samir Geagea et Sleiman Frangié, si jamais les leaders chrétiens parviennent à s’entendre pour mettre fin à la vacance à la tête de l’État. Très peu croient cependant à ce cas de figure et pensent qu’au contraire, l’Iran va accentuer la pression politique, en se servant de la carte libanaise, pour améliorer ses conditions de négociations dans la perspective des compromis dont les prémices commencent à apparaître au niveau régional.
Selon des sources du 8 Mars, le Hezbollah n’est pas près de faciliter l’accès de Saad Hariri à la tête du gouvernement au moment où il sent l’étau se resserrer autour de lui à l’heure où pointe l’espoir d’un règlement régional. Pour lui, ce n’est pas un hasard si les restrictions américaines qui l’affectent ont coïncidé avec le début de pourparlers autour d’un règlement dans la région, et ce n’est pas un hasard non plus si l’initiative Hariri a été lancée en même temps. Est-elle dirigée contre lui ? Le parti de Dieu semble en être persuadé.
Toujours est-il qu’au stade actuel, et plus que jamais, l’Iran est peu enclin à débloquer la présidentielle libanaise avant de connaître la nature du compromis prévu pour la Syrie et avant d’être fixé sur le profil du régime qui pourrait succéder à celui d’Assad, ainsi que sur le sort de l’actuel chef de l’État syrien.