La baisse des cours du baril menace l’industrie de l’or noir aux Etats-Unis
Comment sortir de la spirale de la guerre des prix ? En plus de la crise sanitaire et de sa gestion erratique par Donald Trump, les Américains doivent faire face à un choc pétrolier majeur. Celui-ci intervient à un moment inédit de l’histoire : depuis 2018, les Etats-Unis étaient devenus le premier producteur mondial, et ils s’attendaient à devenir, dans les prochains mois, exportateurs nets – une véritable révolution géopolitique. Donald Trump avait même fait de l’indépendance énergétique l’un de ses objectifs.
Mais la guerre des prix lancée par les Saoudiens, alors que la demande mondiale était en baisse pour cause de crise sanitaire, a bousculé ces plans. Depuis l’explosion, début mars, de l’alliance entre l’Arabie saoudite et la Russie, le marché est sens dessus dessous. Le royaume saoudien, allié historique de Washington, s’est lancé dans une augmentation spectaculaire de sa production.
Résultat : les cours du baril s’établissaient à 22,80 dollars (20,80 euros), vendredi 27 mars, contre 68 dollars début janvier. « Ce qui se passe est l’équivalent nucléaire de la guerre des prix », analysait, il y a quelques jours, le consultant Roger Diwan. « Ce n’est pas une exagération de dire que l’industrie pétrolière fait face à sa crise la plus grave des cent dernières années », a écrit le Financial Times.
Les Américains ont annoncé qu’ils n’avaient pas l’intention d’être des observateurs impassibles de ce jeu de massacre. La baisse des cours a déjà mis au chômage des dizaines de milliers de travailleurs au Texas, et risque de conduire des dizaines de sociétés à la faillite – 70 % des acteurs du pétrole de schiste pourraient être concernés.
L’administration Trump multiplie les pressions sur Riyad et sur le prince Mohammed Ben Salman, dit « MBS », pour qu’il cesse d’augmenter sa production. Mercredi 25 mars, lors d’une conversation téléphonique avec le prince héritier, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a pressé Riyad « de s’élever à la hauteur de la situation ».
Mais, pour les Saoudiens, ce chaos est l’occasion rêvée de se débarrasser des concurrents américains. Le développement fulgurant du pétrole de schiste, au Texas notamment, a remis les Etats-Unis au centre du jeu et créé une situation inextricable pour le royaume. Depuis 2014, l’augmentation de la production américaine est telle qu’elle menace toujours de faire baisser les cours.
Pour éviter cette situation, Riyad et Moscou ont dû s’imposer, depuis 2016, des quotas stricts, et perdre des parts de marché. Un « piège du schiste » pour les Saoudiens, contraints de se placer eux-mêmes en variable d’ajustement du marché, au risque de laisser une place à ces rivaux américains – qui, eux, n’ont jamais envisagé de réduire la voilure. Or la guerre des prix peut être sanglante pour le schiste américain, parce que ses coûts sont bien supérieurs, surtout si le prix du baril s’installait durablement sous les 30 dollars.
Urgence
La chercheuse de la Brookings Institution Suzanne Maloney a rappelé, sur Twitter, que les Etats-Unis s’étaient déjà retrouvés dans une situation similaire : « En 1986, le président Reagan avait envoyé le vice-président Bush à Riyad pour plaider pour une fin de la guerre des prix. Cela n’avait pas fonctionné à l’époque, il y a encore moins de chances que cela fonctionne aujourd’hui. » L’Arabie saoudite a pourtant intérêt à ne pas abîmer sa relation avec Washington, modère la spécialiste du pétrole saoudien Ellen Wald, soulignant « les intérêts économiques personnels de “MBS” aux Etats-Unis ».
Pour l’instant, Riyad n’a aucune intention de se pénaliser pour faire remonter les cours. D’autant que Donald Trump s’est félicité de la baisse des prix dans les stations-service et n’a pas mis en place de plan important de soutien à l’industrie du schiste en péril. Au point que, pour la première fois, des contacts directs ont eu lieu entre le secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le Nigérian Mohammed Barkindo, et le régulateur texan du pétrole, la Railroad Commission of Texas. Avec pour objectif de convaincre les Américains de participer à une réduction de production.
Cette perspective semble peu réaliste : la loi américaine interdit ce type de cartel, et le plus important lobby pétrolier aux Etats-Unis, l’American Petroleum Institute, s’est opposé à cette option. Mais l’existence même de ces échanges montre l’urgence de la situation pour les industriels américains. D’autant que, selon les analyses de la compagnie de trading Vitol, l’ampleur de la surproduction est telle qu’il faudrait que la Russie et l’Arabie saoudite cessent totalement de produire pour rétablir l’équilibre du marché. Et que de nombreux pays ont profité des prix bas pour remplir leurs stocks.
Une situation alarmante pour le directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol, qui s’en est inquiété, jeudi, dans un entretien aux Echos : « Les citoyens du monde se souviendront que des grandes puissances qui avaient le pouvoir de stabiliser l’économie de nombreux pays dans une période de pandémie sans précédent ont décidé de ne pas l’exercer. L’histoire les jugera. »