Le piège de la Mosquée rouge s’est refermé sur le général Pervez Musharraf. Parvenu au pouvoir en 1999 à la suite d’un coup d’ةtat, le premier des militaires pakistanais se trouve aujourd’hui emporté par une logique qu’il ne contrôle pas mais qu’il a contribué à initier depuis le début des années 1980.
Après une semaine de siège, une trentaine de morts et de nombreux échanges violents, le pouvoir ne semble plus avoir d’autre possibilité que de lancer l’assaut contre la Mosquée rouge. Cet assaut marquera un double échec.
D’abord, parce que s’il est une chose probante dans la crise ouverte par la Mosquée rouge, c’est bien l’aveuglement des services de sécurité pakistanais. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard, c’est-à-dire jusqu’à ce que commence la confrontation ouverte, ceux-ci ont tout fait pour minimiser la menace sans jamais chercher à la réduire. Tandis que les meneurs de la Mosquée rouge et leurs activistes multipliaient les provocations dans une capitale pakistanaise érigée de longue date en vitrine du pays, les autorités n’ont cessé de détourner le regard et d’afficher leur impuissance tout en fournissant des excuses implicites à ceux-là mêmes qui les défiaient ouvertement.
Il faudra attendre le paroxysme de la crise pour que, brutalement, le discours officiel bascule. Peu après la mort d’un colonel de l’armée pakistanaise, tué par les irréductibles de la Mosquée, les fuites se multiplient. D’un coup, des « sources pakistanaises proches des services de sécurité » expliquent que des membres d’un groupe extrémiste lié à al-Qaida ont pris le contrôle des lieux, d’autres assurent qu’une quinzaine d’islamistes auraient été équipés de ceintures d’explosifs, d’autres précisent que des femmes et des enfants à l’intérieur de la Mosquée seraient utilisés comme bouclier humain par un proche de Khalid Cheikh Mohammed, l’homme qui décapita à Karachi le journaliste américain Daniel Pearl. Il n’est jusqu’au ministre pakistanais des Affaires religieuses qui ne rentre dans la danse : jusqu’alors interlocuteur des responsables de la Mosquée rouge, Ejaz Ul-Haq, fils de l’ancien président Zia Ul-Haq qui islamisa le pays, se met brutalement à dénoncer le fait que « des terroristes recherchés au Pakistan et à l’étranger » aient pris le contrôle de la Mosquée.
Soudaines et brutales, ces annonces officielles en forme de révélations sont déconcertantes. Pour une raison bien simple : les liens d’un coup mis en exergue et dénoncés par les autorités sont de notoriété publique et, même, revendiqués. Rencontrant à la fin mai Mollah Ghazi, le responsable de la Mosquée qui aujourd’hui menace d’aller au « martyre » avec ses fidèles, Le Figaro avait fait état de son désir de mener « une révolution religieuse et sociale » qui, si elle était contrée, pouvait « devenir violente ». Mollah Ghazi affichait ses liens sans complexe ni état d’âme : « Je me suis rendu pour la première fois en Afghanistan en 1986. Deux ans plus tard, j’ai suivi un entraînement militaire. Et je me suis encore battu en 1989. En 1998, j’ai passé une journée entière à Kandahar avec Ben Laden. » Le responsable de la Mosquée rouge n’hésitait pas alors à rire des déclarations et de l’attitude des autorités pakistanaises : « Vous y croyez ! » lançait-il, visant les propos officiels. ہ vrai dire, nul à Islamabad ne croyait alors aux propos officiels.
Là est, justement, le deuxième échec des autorités pakistanaises. D’évidence, la crise de la Mosquée rouge discrédite le pouvoir du général Musharraf, qui se trouve confronté à une rébellion ouverte d’inspiration talibane en plein coeur de la capitale de son pays, alors que, voilà encore peu, il ne cessait de mettre en exergue les efforts et relatifs succès enregistrés dans la lutte contre l’irrédentisme en zone tribale. ہ l’usure, les propos du chef de l’ةtat semblent devoir être pris avec précaution. Les attaches de la Mosquée rouge avec les territoires tribaux pakistanais sont, en effet, bien plus fortes que celles entretenues par l’armée et le pouvoir politique. Dans une fatwa lancée en 2004, alors que l’armée pakistanaise était engagée dans la reconquête des territoires tribaux, les deux responsables de la Mosquée rouge proclamaient leur soutien aux talibans. « Aucun soldat mort durant les opérations contre les talibans ne pourra être enterré selon le rite musulman », décrétaient-ils tout en considérant que « les militants tués en combattant l’armée sont des martyrs ». Ils avaient alors été soutenus par plus de 500 dignitaires religieux tandis que l’armée pakistanaise constatait une augmentation des désertions.
Cette même prééminence du religieux – au détriment du politique et du militaire, qui se trouvent comme marginalisés – peut être relevée dans les actuels développements autour de la crise de la Mosquée rouge. Outre d’anciens responsables d’organisations décrétées hors la loi par les autorités, les ultimes négociateurs appelés à la rescousse par un pouvoir dans le désarroi se trouvent être des oulémas (docteurs de la loi islamique) et des proches du réseau pakistanais des madrasas (écoles coraniques). Le Conseil des oulémas pakistanais, un organisme indépendant, a décerné, le mois dernier, un trophée à Oussama Ben Laden. Quand aux madrasas, le général Musharraf a toujours assuré vouloir les placer sous le contrôle de l’ةtat.
Quand un général à la tête d’un pays se voit contraint de placer ses espoirs dans la main de ceux dont il affirme vouloir réduire l’influence, le problème est évident. Il l’est d’autant plus que ce général a bridé son opposition civile et ne peut guère en espérer de renfort.
Figaro
Mosquée rouge: l’issue logique du double jeu de Musharraf
Une fois de plus l’hypocrisie est à la base du malaise…