L’Arabie Saoudite cherche à imposer l’ex-apparatchik syrien, qui a récemment rompu avec le régime baasiste, comme successeur de Bachar El-Assad.
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Manaf Tlass ressemble plus à un acteur d’Hollywood qu’à un général de l’armée. Je ne crois pas avoir jamais vu de général arborant des mèches rebelles sur le front et laissant ses cheveux en broussaille dans la nuque. Ce ne sont que des détails, certes, mais parlons donc de l’essentiel. L’essentiel, c’est qu’il est le fils de l’élite militaire et baasiste qui a mis la Syrie en coupe réglée depuis 1963 [date du premier coup d’Etat baasiste], qui a aidé Hafez El-Assad à se maintenir au pouvoir jusqu’à sa mort et qui a contribué à renforcer le régime alaouite en permettant à Hafez d’installer son fils sur le trône, réduisant le pays, le peuple, l’armée, les institutions et le destin du pays à un simple héritage familial.
Ces membres de l’élite étaient encore dans les jupes de leur mère ou pas même encore nés quand leurs pères, d’origine pauvre et paysanne, ont pris le pouvoir dans la capitale des Omeyyades [Damas garde le prestige d’avoir été la capitale du premier empire musulman, aux VIIe et VIIIe siècles]. Quand ils sont arrivés à l’âge adulte, dans les années 1980, ils ont rapidement grimpé les échelons au sein de l’armée, dans le monde des affaires, au sein de l’appareil sécuritaire et dans l’administration. Leur carrière politique, sociale et financière a été si fulgurante qu’ils sont devenus la nouvelle élite du pays dès la décennie suivante.
Depuis sa défection, Manaf Tlass est devenu du jour au lendemain une créature du petit écran. Tout cela parce que l’Arabie Saoudite veut l’installer comme possible recours pour diriger le pays à la place de Bachar El-Assad. Les médias arabes financés par l’Arabie Saoudite reprennent ses déclarations et diffusent largement ses entretiens, sans oublier bien sûr de le montrer en gros plan en train de faire son pèlerinage à La Mecque. En d’autres termes, les Saoudiens font de l’accomplissement du pèlerinage une condition sine qua non pour tout candidat qui souhaite postuler à la présidence en Syrie, sans s’arrêter de trop près sur ses autres qualifications, telles que son sérieux, son patriotisme et ses compétences politiques.
Quoi qu’il en soit, les mêmes gènes qui ont permis à Manaf Tlass de se hisser au sein des élites sous Bachar El-Assad lui permettent aujourd’hui de doubler tout le monde pour s’installer comme possible successeur de celui-ci. Tout cela se déroule sur un fond couleur de sang. Le sang coule partout. Mais il en va des mèches de cheveux comme du reste. Ce sont les petites outrances qui sont révélatrices d’un degré de déchéance que le monde arabe n’avait jamais atteint au cours de son histoire. Cela va des chaînes satellitaires pétromonarchiques qui se découvrent chantres de la démocratie jusqu’aux généraux en pèlerinage à La Mecque.
Traduit de l’arabe par Courrier Intrernational