IL S’AGIRAIT d’un couac de communication à Moscou. Contrairement à une information donnée par le ministère russe des Affaires étrangères, Emmanuel Macron n’a jamais reçu d’invitation officielle au défilé militaire du 24 juin, organisé pour commémorer les 75 ans de la victoire contre Hitler, et qui avait été annulé le 9 mai à cause du coronavirus.
« Cela aura évité au président de se demander s’il devait la décliner ou prendre le risque de servir de caution au Kremlin sur la scène internationale… », commente une source diplomatique.
Car le pari russe d’Emmanuel Macron, à l’instar du « reset » de Barack Obama, a produit des résultats « très incertains », même en langage diplomatique.
À Versailles, d’abord, juste après son élection, puis au fort de Brégançon, son lieu de villégiature, en août 2019, le président français avait beaucoup investi dans le « réengagement » du dialogue avec Moscou. Les raisons de cette légère inflexion de la politique russe de la France, réaffirmée avec vigueur l’été dernier à la Conférence des ambassadeurs, sont nombreuses. Depuis son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron a toujours défendu l’idée d’une diplomatie pragmatique, ‐ basée sur la réalité et l’analyse des faits plus que sur des convictions idéologiques. Prenant acte du spectaculaire retour de la Russie sur la scène internationale, il sait qu’il est difficile de faire avancer le règlement des crises, notamment au Moyen-Orient (Syrie, Libye, Iran), sans la participation de Moscou. Il sait aussi qu’il est vain d’envisager la sécurité du continent européen sans tenir compte de la Russie. Comme le dit un haut responsable européen : « C’est en construisant des alliances qu’on s’affirme sur le plan international. Si l’on veut se penser comme puissance, il faut parler à tout le monde. Si on ne parle pas à ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, c’est-à-dire les trois quarts de la planète, on aura raison tout seuls. »
Le contexte international depuis l’élection de Donald Trump, sur lequel Emmanuel Macron, malgré tous ses efforts, n’a guère eu d’influence, a aussi joué en faveur de l’ouverture à la Russie. Les États-Unis ne sont plus un partenaire fiable, la Chine se déploie de manière agressive hors de ses frontières, l’allié naturel de la France en Europe, le Royaume-Uni, a fait faux bond : le nouveau contexte stratégique souligne la solitude française.
Pour identifier des « sujets de convergence », retrouver « les intérêts communs et les liens anciens » qui lient la France à la Russie, Emmanuel Macron a fait quelques concessions. Il s’est notamment battu pour le retour de la Russie au sein du Conseil de l’Europe. Mais ce « dialogue de confiance exigeant et ambitieux » doit se construire « sans naïveté ni compromission ». Emmanuel Macron, qui n’a pas oublié que le président russe avait misé sur Marine Le Pen avant les élections, est resté ferme sur les grands principes. À Versailles, il a dénoncé les cyber attaques qui l’ont visé pendant sa campagne et montré du doigt les médias du Kremlin et leurs opérations de désinformation. Il n’a pas cédé sur les règles vis-à-vis de l’Ukraine et de la Crimée, affirmant, contre Donald Trump, que le G8 ne pouvait pas se reformer sans solution préalable sur le sujet. La fermeté militaire à l’est de l’Europe n’a pas été remise en cause, puisque la France a envoyé 300 soldats en Estonie, dans le cadre de l’Otan. Malgré ces précautions, la main tendue d’Emmanuel Macron à la Russie, sa volonté de « réinventer une architecture de sécurité et de confiance entre l’UE et la Russie » ont fait bondir les pays d’Europe centrale et orientale, qui restent très sensibles, pour des raisons historiques et géographiques, à la menace russe.
À l’heure du premier bilan, les résultats du rapprochement avec Moscou paraissent bien maigres. En Syrie, Vladimir Poutine n’a pas voulu ou pu influencer Bachar el-Assad. Le Kremlin n’a pas su contenir l’influence iranienne en Syrie. Il n’a pas davantage aidé à sauver l’accord sur le nucléaire iranien, le JCPOA. Mais c’est avec l’Ukraine que la déception est sans doute la plus grande.
L’arrivée au pouvoir à Kiev de Volodymyr Zelensky, qui voulait reprendre le dialogue avec la Russie, avait suscité des espoirs à Paris et à Berlin, les parrains du processus de paix. Mais le Kremlin n’a pas voulu céder un pouce de ses prises de guerre de 2014. « Le rapprochement avec la Russie n’a pas donné grand-chose. Mais il sera encore plus difficile en 2020 qu’il ne l’a été en 2019, car le contexte est devenu plus compliqué », explique Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie de l’Ifri. La réforme constitutionnelle de Vladimir Poutine, qui lui permet de se représenter jusqu’en 2036, met la diplomatie française dans l’em barras. « Il n’y a même plus d’habillage démocratique. On découvre la vraie nature de la Russie. Il est difficile pour la France de travailler avec un pays qui ne fait même plus semblant d’être démocratique… », poursuit la spécialiste. C’était déjà le cas en Syrie : l’engagement militaire russe en Libye a aussi compliqué la donne pour Paris, qui tentait d’imposer un règlement politique sans s’engager sur le terrain et a fait du dossier libyen une priorité.
Dans une note pour l’Institut Montaigne consacrée à la politique étrangère française, l’ancien ambassadeur Michel Duclos estime que la crise du coronavirus incite à « laisser ouverts les canaux de dialogue avec la Russie ». Mais sans « exagérer l’“optique” du dialogue, pour des raisons de crédibilité (il y a peu de chances que le leadership actuel modifie son approche des affaires internationales, NDLR) et pour éviter d’envenimer un sujet de contentieux avec certains de nos partenaires européens ».
LE FIGARO