On a beaucoup dit, et écrit sur la Révolution du 1er Novembre, sur ceux qui ont été avec nous, ou contre nous, ceux qui nous ont aidés et qui ont oublié, ceux que nous-mêmes avons oubliés. Nous avons su remercier et honorer ceux des Français qui ont préféré la justice à leur mère, et ont bravé l’hostilité familiale pour aider l’étranger que nous étions, dans notre propre patrie.
Nous célébrons encore la mémoire des «Porteurs de valises» qui nous ont quittés, des amis de l’Algérie qui ne viendront plus aux réceptions du 1er Novembre. Nous n’avons pas oublié les gouvernements et les citoyens des pays arabes qui se sont rangés aux côtés de la Révolution. Pour ne pas passer pour des ingrats, nous avons soutenu, en retour, la cause palestinienne, sans calculs et avec détermination, comme en a témoigné le combat de Mohamed Boudia et Mohamed Benmansour, pour ne citer que ces deux-là. Aujourd’hui que nous sommes pleinement arabes, puisque totalement divisés, nous sommes encore pour la Palestine, coupée en deux. Comme on ne peut plus étreindre Ghaza sans embrasser le Hamas, nous gardons nos distances, compatissons aux souffrances des Ghazaouis, tout en maudissant la tyrannie fondamentaliste. Avec la Cisjordanie, ce n’est pas mieux, on voudrait bien être totalement avec Ramallah, dénoncer la colonisation effrénée du territoire, mais comment taire la révolte contre la gabegie, et la corruption, qui ont déroulé le tapis rouge au Hamas ? Ignorer les dirigeants indignes, autoritaires et/ou corrompus, et ne penser qu’au peuple, me dit-on. Ce n’est pas facile lorsqu’on voit les bénéfices substantiels, politiques et matériels, que retirent certains de la solidarité avec Ghaza. Au fait, Messieurs les armateurs de flottilles, avez-vous pensé à des convois de solidarité avec les expulsés de Jérusalem, les expropriés de Hébron, pour faire de la place aux colons israéliens ? Avez-vous imaginé un raid naval sur New York pour dénoncer l’hypocrisie d’Obama qui finance à coups de millions de dollars des chantiers différés, mais jamais démantelés ? Oui, bien sûr, il y a la base de toutes ces armadas en gestation, la question des affinités, et des sympathies idéologiques, et c’est pourquoi ma religion est faite. C’est pour cela qu’il est, parfois, difficile aux survivants de la Révolution de novembre, et à ses enfants, de faire un choix, de sélectionner un souvenir au détriment d’un autre. Il nous arrive parfois de tomber dans un tel embarras, que nous nous abstenons de fouiller plus à fond dans la boîte à Histoire, pour y dénicher un épisode inconnu, ou oublié, de notre passé récent. Un ami que je soupçonne d’avoir agi par calcul m’a envoyé un texte publié, il y a quinze jours sur le site arabe «Shaffaf», ou «Middle East Transparent», et signé par Messaoud Akkou, un écrivain kurde syrien, ou syrien kurde si vous préférez. Je vous en livre les passages qui m’ont paru être les plus essentiels : «Un demi-siècle s’est écoulé depuis le plus grand holocauste subi par les Kurdes en Syrie. Cinquante ans ont passé depuis l’incendie du cinéma «Shéhérazade», le 13 novembre 1960, dans la ville de Amuda. Cette ville qui a donné tant de preuves de bravoure et d’héroïsme, que ce soit en se dressant contre le colonialisme français, ou par ses activités et ses positions lors des multiples coups d’État qui ont abouti à la prise du pouvoir par le «Baath» en mars 1963. Une ville qui a apporté sa contribution à la Révolution algérienne avec le sang de quelque trois cents enfants kurdes. Trois cents enfants kurdes ont péri dans les flammes, parce qu’ils avaient payé pour voir un film dont les maigres recettes devaient aider à soutenir la lutte des révolutionnaires algériens. Ils étaient venus voir un film d’épouvante, Le Fantôme de minuit, et ils sont devenus les acteurs d’un vrai cauchemar, puisque le film et le cinéma ont brûlé, ainsi que les enfants. Un demi-siècle depuis l’incendie du cinéma, et ses trois cents enfants martyrs, une génération entière, dont on se demande ce qu’ils seraient devenus s’ils avaient survécu. Peut-on imaginer ce que serait Amuda aujourd’hui si une de ses générations n’avait pas disparu, combien de médecins, d’ingénieurs, d’écrivains, de poètes, elle possèderait en plus ? (Suit une liste nominative des personnalités de la ville qui ont survécu à l’incendie et qui ont acquis une notoriété dans leurs métiers respectifs). Un demi-siècle après l’incendie du cinéma, et l’Etat syrien ne se souvient pas de cette tragédie, et n’exprime aucune reconnaissance à ces enfants. Ce sont eux pourtant qui ont versé leur sang pour que le nom de leur pays soit plus beau. Ce sont eux qui ont proclamé à la face de l’humanité entière que la Syrie a soutenu le combat de ses frères dans les pays arabes afin qu’ils se libèrent de l’oppression coloniale. Un demi-siècle après, l’Etat syrien ne se souvient plus de ses enfants qui se sont sacrifiés, comme des héros, pour que la Syrie soit une patrie pour eux, mais cette patrie ne rend pas justice aux enfants. Un demi-siècle s’est écoulé depuis l’incendie du cinéma, et l’Etat algérien ne se souvient pas de la contribution des enfants martyrs kurdes au combat de l’Algérie contre le colonialisme. Pourquoi se souviendrait-il, cet État qui a pris une grande part aux malheurs des Kurdes, puisque c’est en Algérie que fut signé le funeste accord, dont l’artisan est l’actuel président algérien, Abdelaziz Bouteflika ? C’était en 1975, du temps de Boumediène, de Saddam, et du shah d’Iran, et un accord qui a mis fin aux espoirs du peuple kurde de vivre dans la paix et la concorde. Un demi-siècle après l’incendie du cinéma, le mystère demeure quant aux circonstances du sinistre. Sans s’arrêter sur la question de savoir si l’Etat syrien est impliqué ou non dans cet incendie, cet Etat porte l’entière responsabilité de la mort des enfants dans un petit cinéma. Une salle qui ne pouvait contenir tout ce monde ramené pour voir un film d’épouvante, projeté à de jeunes enfants qui ne comprenaient, ni ne parlaient l’arabe. Le film égyptien intitulé Le Fantôme de minuit était interprété par Mahmoud Al- Meligui et Zahrat Al-Oula. C’était un film d’épouvante, et l’épouvante s’est transposée du cinéma à la réalité pour des enfants dont le seul crime était d’être nés kurdes.» Voilà : tout comme la plupart d’entre vous, je découvre cet épisode inconnu, enterré, ou oublié, de l’histoire de notre guerre de Libération. Avec le recul, on mesure mieux les dégâts irréparables qu’on peut commettre au nom de certains slogans, aussi clinquants et séduisants qu’ils soient. Personnellement, je sais que chaque retour du mois de novembre me ramènera le souvenir de ces enfants qui ont péri dans l’incendie oublié du «Shéhérazade», l’équivalent pour l’époque, de notre «Dounyazad» algérois. Outre la stèle que j’ai érigée dans ma tête à la mémoire de ces enfants, pourquoi le ministère de la Culture, ou une instance quelconque, ne prendrait- il pas l’initiative d’une plaque commémorative, lors de la prochaine célébration du 1er Novembre ? Elle pourrait être apposée à l’entrée du cinéma «Dounyazad», justement, à condition qu’il soit encore debout et qu’il ait résisté aux ravages conjugués du temps et de la bureaucratie.
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