Lettre ouverte à mes assassins

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Chers assassins,

Je saisis cette opportunité qui m’est offerte par L’Orient Littéraire pour répondre à vos balles par des mots. Je sais que cette initiative ne vous déroutera pas, sachant bien que vous êtes déterminés à en finir avec moi. La violence morale employée par vos complices objectifs pour minimiser la portée de la tentative d’assassinat est une preuve que vous ne reculerez devant rien. En dépit de cela, je suis aussi déterminé à vivre mes convictions et réfuter toute fatalité (la fatalité triomphe dès que l’on croit en elle).

J’ai pris le parti de m’adresser à vous, au risque de vous importuner. L’intimité n’est-elle pas de rigueur entre les assassins et leur victime, après tout ce temps précieux que vous passez à scruter mes moindres déplacements, avec une seule idée en tête : en finir avec moi ? Je me suis dit qu’une lettre ouverte vous ferait peut-être réfléchir sur vos actes. Que voulez-vous, je suis irrémédiablement optimiste ! C’est d’ailleurs probablement en partie grâce à cela – le reste étant certainement à mettre sur le compte de la divine Providence – que vos balles n’ont pas pu m’atteindre. Chacun de nous naît sous une étoile, bonne ou mauvaise, c’est selon, avec un signe distinctif, une sorte d’archétype. Moi, je le sais, je suis un survivant. Onze ans au fond d’un trou n’ont pas pu venir à bout de moi, ni physiquement ni psychologiquement. Ce ne sont donc pas vos balles – et encore moins le sarcasme et la petitesse de vos amis – qui m’intimident.

Mais ne vous méprenez pas sur mon initiative. Mon but n’est pas de vous inspirer une pitié quelconque, loin de là, mais juste d’apprendre à mieux nous connaître. En essayant de me tuer, vous avez initié entre nous un duel. Vous avez voulu me renvoyer sous terre, pour de bon cette fois, mais vous avez oublié un détail, et pas le moindre, que le bien finit toujours par triompher du mal.

Chers assassins,

Je ne pense pas que nous ayons vraiment besoin de nous attarder sur les motifs de votre acte. Ma disparition aurait compensé le pourrissement interne du régime syrien par une distraction inespérée, une compensation momentanée qui lui aurait donné l’illusion qu’il est encore le maître à bord. Il est vrai qu’actuellement, au royaume du Baas et de ses alliés régionaux et locaux, l’heure est plus que jamais à la nostalgie. Vous pensez que quelques balles auraient suffi pour abattre le 14 Mars, et surtout la principale tendance chrétienne qui soutient l’aspiration des peuples arabes, et surtout du peuple syrien, à la démocratie et au pluralisme. Vous pensez que moi réduit au silence, la classe politique et la société civile en tireraient les conséquences qui s’imposent et se mureraient à leur tour, intimidation oblige, dans un mutisme total. Vous misez peut-être aussi sur un chaos sectaire et des débordements dans la rue qui viendraient à point nommé pour légitimer l’usage des armes illégales. Vous vous trompez : vous n’avez rien appris de vos expériences, rien appris du 14 mars et du 26 avril 2005, rien appris du 7 mai 2008. Rien.

Pour Clausewitz – car il faut bien utiliser un langage que vous pourriez comprendre –, c’est toujours la partie agressée qui décide de la guerre, en fonction de la nature de sa réponse. L’avenir de ce duel que vous avez provoqué, et sur mon propre terrain de surcroît, est donc entre mes mains. Je le sais. Ce que vous n’avez pas compris, et ce que vous ne comprendrez sans doute jamais avant qu’il ne soit trop tard, c’est que j’ai tourné définitivement la page de la guerre le jour où j’ai recouvré l’air pur du printemps des Cèdres. Faut-il rappeler que la logique de la guerre ne s’applique pas aux périodes de paix ?

Ce choix est stratégique : il émane d’une conviction profonde que la liberté n’est rien que servitude tant que nous sommes prisonniers de l’arrogance et de la rancune, que l’homme ne s’élève vraiment que lorsqu’il est en paix avec lui-même, la nature et les autres. Mes excuses pour les crimes commis durant la guerre ont dû vous paraître pathétiques, j’en suis certain. Il est vrai que je n’ai jamais brillé dans la démagogie et le populisme ; d’autres ont su développer l’art de charmer les foules bien mieux que moi, et je m’en félicite. En fait, je retire même une certaine fierté de ne pas appartenir, ces jours-ci, au club de plus en plus nombreux des agités de l’index et du langage de la rue… Cependant, j’ai découvert que demander pardon est un acte qui anoblit et ne rabaisse pas, contrairement aux idées reçues. Cela n’enlève d’ailleurs rien à mes convictions que la cause que je défends, et avec moi les Forces libanaises et le 14 Mars, triomphera ultimement de la culture de la mort que vous pratiquez ostensiblement et sans complexes. La logique de la force a ses avantages, mais en définitive, les causes justes finissent toujours par triompher ; qu’elles soient combattues par la force n’y change absolument rien. Cela, le peuple libanais en a fait l’expérience en 2005, et le peuple syrien, qui force l’admiration et le plus grand respect, est en train de nous le rappeler tous les jours.

Chers assassins,

Tant qu’il y a des hommes libres dotés d’une conscience universelle, la justice finit toujours par triompher et la violence par plier. Cela, il faut que vous le sachiez et que vous le compreniez. L’histoire est téléologique, et l’avenir est irrémédiablement fait de justice et de paix. Je sais que mon raisonnement vous paraît sans doute absurde… Après tout, vous êtes des assassins, je ne l’oublie certes pas : je ne m’attends pas, sauf miracle, à ce que vous vous extirpiez de votre monde sans nuances. Mais à défaut de tuer, l’espoir fait vivre, lui. C’est pourquoi j’ai choisi de me ranger sous cette bannière-là. J’espère en tout cas ne pas avoir trop pris, avec mes réflexions méditatives, du temps que vous (me) consacrez à préparer votre prochain coup, qui aura le même sort que le premier. Je vous laisse donc, pour retourner à mes pensées (les fleurs), qui poussent autour de ma maison. C’est elles aussi, il faut dire, qui ont eu raison de vos balles.

À nos retrouvailles !

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