Il subsiste en effet des craintes d’un incident sécuritaire qui viendrait saboter définitivement l’option Aoun.
De l’avis d’un ministre du bloc du Changement et de la Réforme, devenu l’avis de plus en plus répandu, l’élection du général Michel Aoun à la présidence de la République est acquise depuis la déclaration dimanche du secrétaire général du Hezbollah, lequel a coupé court à toutes les spéculations et autres faux paris autour de la prochaine séance électorale. Le leader du parti chiite a en effet formulé un appui clair à Michel Aoun, allant jusqu’à dire que son bloc parlementaire aurait été disposé à révéler le contenu de ses bulletins de vote si le règlement interne du Parlement le permettait. Joint à l’appui des Forces libanaises et du courant du Futur à Michel Aoun, le soutien formel du Hezbollah a été décisif. Le fondateur du Courant patriotique libre sera donc président le 31 octobre, à moins d’un incident impromptu. Il subsiste en effet des craintes d’un incident sécuritaire qui viendrait saboter définitivement l’option Aoun.
Mais ces craintes ne font que renforcer la détermination du général Michel Aoun à prendre part à la séance électorale à la date fixée, déclinant toute option de report, fût-il un report technique susceptible de gonfler la majorité favorable à son élection.
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Entre-temps, les concertations en cours, notamment entre le Hezbollah et ses alliés, se focalisent sur l’objectif d’assurer une large majorité au chef du bloc du Changement et de la Réforme, de manière à se rapprocher autant que possible d’une unanimité en sa faveur, rapportent des milieux du bloc du Changement et de la Réforme. Il existe, certes, des divergences autour du nombre de votes requis pour élire le président : la séance du 31 s’ouvrira-t-elle sur un second tour, lequel ne nécessite qu’une élection à la majorité absolue, ou bien sera-t-elle le prolongement du premier tour de mai 2014, auquel cas un candidat devra d’abord recueillir les deux tiers des votes pour être élu, faute de quoi s’ouvrirait le second tour? Selon un ancien ministre de la Justice, l’on se trouverait, depuis 2014, au second tour, ce qui veut dire qu’il suffirait à l’un ou l’autre candidat de recueillir la majorité absolue à l’ouverture de la séance prochaine. Cet avis ne fait pas l’unanimité des juristes. Mais rien n’indique pour l’instant que cette question porte les germes d’une mise en échec du scrutin.
Il reste que le bloc aouniste s’affaire à accumuler le plus grand nombre de voix pour l’élection de son leader, laquelle bénéficierait de l’appui de diplomates occidentaux, dont la coordinatrice spéciale de l’Onu, Sigrid Kaag, soucieuse de mettre un terme au plus vite à la vacance présidentielle, selon les milieux aounistes, qui reconnaissent toutefois les réserves de certaines parties étrangères à l’égard de Michel Aoun, perçu comme relevant de l’axe iranien. Le fait essentiel à retenir est que, aux yeux des acteurs étrangers, toutes les parties libanaises sont responsables de l’élection de Michel Aoun, et de ses retombées possibles.
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Les préoccupations actuelles porteraient désormais sur l’étape postérieure à la présidentielle, à savoir la formation du gouvernement. Certes, Hassan Nasrallah avait fait le distinguo dimanche entre l’élection de Michel Aoun et la désignation du chef du courant du Futur, Saad Hariri, à la présidence du Conseil, la seconde étant pour lui « un sacrifice » qu’il serait toutefois prêt à concéder pour faciliter la relance institutionnelle. Ce que des milieux du 14 Mars interprètent comme un cautionnement préalable du Hezbollah à Saad Hariri. Ces milieux n’écartent pas toutefois certaines difficultés liées à la formation du gouvernement, d’autant que le président de la Chambre n’est pas solidaire du choix de Saad Hariri à la présidence du Conseil. La « désignation » préalable de ce dernier par Hassan Nasrallah serait-elle un cadeau piégé, un moyen de paralyser d’entrée la formation du gouvernement en y incorporant les divergences entre le Hezbollah et Amal? C’est ce que tendent à croire certains milieux du 14 Mars, lesquels n’écartent pas la possibilité que des mois s’écoulent entre la présidentielle et la formation du cabinet Hariri.
Selon un député, le double appui du courant du Futur et des Forces libanaises à Michel Aoun aurait compromis le projet du Hezbollah d’amender Taëf et d’institutionnaliser ce que le tandem chiite considère comme acquis : le tiers de blocage, le triptyque armée-peuple-résistance, le partenariat dans les nominations administratives et sécuritaires, le portefeuille des Finances à la communauté chiite, la protection des armes de la résistance… autant de clauses contenues dans le package deal berryste, que le compromis Aoun aurait fait voler en éclats.
La période postélectorale sera donc investie par le Hezbollah pour renflouer son projet, mais aussi pour en éliminer toutes les entraves éventuelles, comme le seraient à ses yeux l’accord de Meerab et l’accord non déclaré entre Nader Hariri et Gebran Bassil qui a préludé à l’adhésion du courant du Futur à l’option Michel Aoun.
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Et la présence temporaire de Nabih Berry dans les rangs de l’opposition serait d’un précieux soutien au Hezbollah dans la récupération de ce qui lui a été confisqué.
Ainsi, pour les milieux cités du 14 Mars, les choses s’annoncent décourageantes pour le camp du courant du Futur. L’appui inédit de Hassan Nasrallah à Saad Hariri, loin d’être anodin, pourrait servir à entraver la tâche de Saad Hariri, lequel risquerait d’atterrir aux prochaines législatives sans gouvernement et, par conséquent, très affaibli. Les législatives réduiraient le bloc du Futur comme une peau de chagrin, donnant alors au 8 Mars, précisément au tandem Hezbollah-Amal, le prétexte de désigner à la tête du gouvernement une personne autre que Saad Hariri, lequel serait exclus du pouvoir, et avec lui, l’accord bilatéral entre Hariri et Bassil.
Il est néanmoins un autre scénario évoqué par un député membre du bureau de la Chambre : l’on proposerait d’ores et déjà un nouveau report d’un an des prochaines législatives, le temps de finaliser la nouvelle loi électorale, probablement sur la base du scrutin mixte soutenu par la plupart des blocs parlementaires. Ce qui n’empêche que le camp haririen soit vivement combattu sur le dossier de la loi électorale, par un tandem chiite mû par la volonté de lui porter un coup décisif.
Si toutefois l’accord Hariri-Bassil avait été élargi à Aïn el-Tiné et Haret Hreik, le mandat Aoun aurait sans doute été promis à des débuts plus encourageants…