(Une capture d’écran de la chaîne Al-Jazeera datant du 16 août 2021 et montrant des talibans dans le palais présidentiel à Kaboul)
INTERVIEW- Dans un ouvrage à paraitre, « Déjeuners avec les talibans » le diplomate Jean-Yves Berthault livre un témoignage saisissant sur ceux qui ont défait les Américains. Selon lui, il est indispensable de maintenir le dialogue avec les maitres de Kaboul.
Un diplomate français, Jean-Yves Berthault, auteur de « Déjeuners avec les talibans » estime qu’il ne faut pas couper les pont avec les nouveaux maitres de l’Afghanistan.
Ce diplomate, qui fut à trois reprises en poste à Kaboul, partage des témoignages saisissants dans « Déjeuners avec les talibans » (éditions Saint-Simon, en librairie le 2 septembre) sur ces fameux « étudiants en théologie » qui ont pris le contrôle du pays en quelques semaines. Secrétaire d’ambassade de 1979 à 1981 (départ des soviétiques), il fut ensuite chargé de mission et conseiller politique pour l’ONU puis chef de poste à l’ambassade de France à la fin des années 1990.
Challenges: Les talibans maitres de Kaboul avec qui vous déjeuniez sont-ils les mêmes que ceux d’aujourd’hui?
Jean-Yves Berthault: Ce ne sont pas les mêmes que ceux que j’ai connus après la prise de Kaboul à la fin des années 1990. Beaucoup sont morts ou ont disparu. Les maitres actuels de l’Afghanistan ont la même idéologie, mais ils ne descendent pas de leur montagne comme leurs prédécesseurs. Ils ont connu le monde. Beaucoup de leurs leaders ont été accueillis magnifiquement à Doha et connaissent les codes d’un Islam plus qu’aisé. Ils ont mené des négociations internationales, sont en contact avec le monde extérieur. Il est certain que l’avidité va jouer un rôle dans l’avenir, comme il en a joué un dans l’histoire récente de ce pays.
Les Américains vont ils continuer à financer la « transition » suite à leur départ, après une telle humiliation?
Je le crois. Washington n’a pas intérêt à laisser la place à d’autres. Russes et Chinois sont sur les rangs, sans doute aussi la Turquie, sans parler du Pakistan. Mais les subsides américains n’auront rien à voir avec ce qu’ils ont dépensé ces dernières années.
Où sont passés les 1000 milliards de dollars dépensés par Washington ces deux dernières décennies?
Plusieurs centaines de millions sont partis dans les poches des commandants moudjahidines à qui les Américains ont voulu faire confiance. C’est l’une de leurs grandes erreurs: en 2001, il fallait les désarmer plutôt que les imposer à Hamid Karzai dans un gouvernement de réconciliation.
Vous avez, vous aussi, fait confiance à Hamid Karzai…
Oui, dans la cadre de ma mission pour l’ONU, nous l’avions repéré comme une personnalité pouvant faire consensus dans le pays. Le 22 septembre 2001, lors d’une réunion avec les autorités américaines son nom est sorti assez naturellement. En ce qui me concerne, je préconisai un scénario de rétablissement de la monarchie constitutionnelle, conciliable avec un gouvernement Karzai. Mais pour Washington, il n’était pas question de mettre un roi à Kaboul, il fallait une république et un président. Notez que Karzai est aujourd’hui en Afghanistan alors que son successeur a pris la fuite. Il pourrait bien avoir un rôle à l’avenir.
La France a-t-elle un rôle spécifique à jouer en Afghanistan?
La réponse est oui, la relation est historique. Le lycée français de Kaboul est une institution, ainsi que les liens culturels établis de très longue date. Seule l’Allemagne a le même type de lien avec ce pays.
L’Afghanistan peut-il devenir un foyer du terrorisme international?
Je ne crois pas. Les talibans que j’ai connus, avaient certes accueillis Ben Laden. Mais le fait qu’ils aient refusé de le livrer, ne signifie pas qu’ils aient collaboré aux attentats du 11 septembre 2001. Le mouvement taliban est nationaliste, pas internationaliste. Ce qui signifie pas que leur régime est défendable.
Faut-il continuer le dialogue avec les talibans?
Le dialogue vaut souvent mieux que la guerre. A la fin des années 1990, seul diplomate occidental en poste à Kaboul, j’ai maintenu le lien et ils ont toujours respecté mon immunité ainsi que l’intégrité de la centaine de Français qui étaient restés. J’ai même obtenu quelques aménagements à la rigueur de leur lecture absurde du Coran, comme l’accès des femmes aux soins hospitaliers. Dans la situation actuelle, les occidentaux, et les européens en particulier, doivent maintenir le lien. Si le maintien d’une ambassade n’est pas évident, le fait qu’il y ait sur place un « chargé d’affaires » peut s’avérer fort utile.
Propos recueillis par Pierre-Henri de Menthon