LES CHRETIENS A L ‘EPREUVE DES FRACTURES DU MONDE ARABE

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Les sociétés du monde arabe en général et ses communautés chrétiennes en particulier sont menacées par la montée d’une conception de l’islam passéiste et extrémiste. Plusieurs attentats tragiques l’ont prouvé récemment. Mais le sort de ces communautés est surtout indissociable des conflits et des fractures sociopolitiques qui déchirent la région, souvent en raison de l’aveuglement occidental. L’ignorer revient à nier l’histoire et la réalité.

Le terme « Moyen Orient » est un terme forgé par les Occidentaux pour désigner la région comprenant l’Egypte, les pays arabes d’Asie, la Turquie et l’Iran…

Dans tous ces pays il existe des communautés chrétiennes autochtones, à part dans les pays du Golfe et de la Péninsule Arabiques ou les communautés chrétiennes qui y vivent, sont des émigrés venus d’autres pays du Moyen Orient, d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique.

Le christianisme est né en Palestine et s’est d’abord propagé dans les pays qui sont actuellement : le Liban, la Jordanie, la Syrie, l’Egypte, la Turquie puis l’Irak, l’Iran et l’Arabie. Il est donc anciennement implanté dans ces pays.

L’Islam, dans son expansion six siècles plus tard, élimina le christianisme de la péninsule arabique, mais coexista avec des communautés chrétiennes qui l’accueillent d’abord favorablement, pensant que c’était une nouvelle secte chrétienne.

Les populations chrétiennes restèrent majoritaires dans l’Orient arabe et byzantin jusqu’aux « Croisades », appelées par les musulmans « guerres des Francs ». La reconquista musulmane des Etats croisés eut des conséquences négatives sur ces communautés, dont la part dans la population déclina jusqu’à 20 à 25% à la fin du 19ème siècle, à la veille de la seconde expansion européenne au Moyen Orient.

Un contrat de « protection »

Les communautés chrétiennes comme les communautés juives étaient régies dans leurs relations avec le pouvoir pour un contrat de « protection

– soumission » – la « Zimma » (qui veut dire conscience morale en arabe). En vertu de ce contrat, les chrétiens avaient la liberté de pratique de leur religion, avaient donc leurs églises, leurs écoles, leurs couvents, leurs hiérarchies religieuses, leurs tribunaux ecclésiastiques traitant des questions de statut personnel. Ils devaient payer un impôt particulier : « la jizya » et étaient exemptés du service militaire. Ils étaient souvent, dans les villes surtout, soumis à des traitements discriminatoires : obligations vestimentaires, interdictions de monter à cheval et de porter des armes, obligation de laisser la préséance aux musulmans. Ce statut était variable dans le temps et appliqué surtout dans les villes. Dans les zones rurales et surtout les zones montagneuses, les franges désertiques et autres régions loin du pouvoir central, ou des communautés tendirent à se fixer, leur statut réel était nettement meilleur et elles jouissaient d’une assez large autonomie. L’expansion coloniale européenne des XIX et XXème siècle, les guerres qui la caractériseront et la montée des nationalismes amenèrent au démantèlement de l’Empire multinational ottoman, à l’exode des Grecs d’Anatolie vers la Grèce européenne et les cinq continents, et au massacre des Arméniens et leur exode hors de leurs terres, de même pour les Assyriens. Ceci porta un grand coup au christianisme en Orient, en éliminant presque toute présence chrétienne en Anatolie.

L’islam contre l’Occident

Trente ans plus tard la réaction occidentalo-israélienne au mouvement d’indépendance politique et économique arabe : guerre de Suez en 1956, guerres israéliennes en 1948, 1956, 1967, 1982, 2006 contre les pays arabes du pourtour, invasion de l’Irak en 2003 ; amène une contre réaction antioccidentale animée par une idéologie islamiste passéiste et intolérante (le salafisme jihadiste) qu’incarne la nébuleuse Al-Kaida. Cette nébuleuse se déclare l’initiatrice des attaques contre les églises en Irak depuis quelques années et en Egypte depuis quelques mois.

Réalités actuelles :

Les communautés chrétiennes au Moyen Orient ne dépassent pas les 15 millions d’habitants soit moins de 5% de la population totale de cette zone. Cependant, dans certains pays, elles sont plus présentes : en Egypte elle représentent 7 millions de personne soit 10% de la population, au Liban elle représente 1.8 mille de personne soit 4.5% de la population résidente, en Syrie 2 millions d’habitants soit 10% de la population résidente. En Irak il reste moins d’un million de chrétiens soit 3 à 4 % de la population résidente. Dans la Palestine historique (territoire sous contrôle israélien + la Jordanie + Ghaza) il reste plus que moins de 0.2 millions de chrétiens sur 4 millions d’habitants.

Ces chrétiens appartiennent à toutes les branches du christianisme : l’Eglise Catholique : (Maronites au Liban surtout ; Chaldéens surtout en Irak ; Syriaques Catholiques en Irak, Syrie, Liban et Turquie ; Grecs Catholiques de Syrie, du Liban, de Palestine, de Jordanie ; de même pour les Arméniens Catholiques, Coptes catholiques d’Egypte, enfin Latins (catholiques romains) surtout en Palestine et Jordanie.

Les Eglises orthodoxes orientales (monophysites) : qui comptent les Coptes Orthodoxes d’Egypte surtout qui sont de loin la plus grande communauté chrétienne du Moyen Orient avec près de 7 millions de fidèles.

– Les Syriaques orthodoxes en Turquie, Syrie, Irak et Liban et Iran.

– Les Arméniens Orthodoxes en Turquie, Iran, Syrie, Palestine, Jordanie et Liban, surtout.

L’Eglise d’Orient (Assyrienne) : Il lui reste des fidèles en Irak, en Syrie et au Liban, elle qui a pratiquement disparu de Turquie.

Les diverses Eglises issues de la Réforme, un peu dans tous les pays de la région.

Finalement l’Eglise Grecque Orthodoxe (Chalcédonienne) ayant des fidèles en Syrie, au Liban, Palestine, Jordanie, Egypte.

Ces communautés chrétiennes situées aussi bien dans les zones rurales que dans les villes, ont joué historiquement un rôle important au niveau culturel et économique.

Dans les premiers siècles de l’Islam, les Syriaques ont transmis les éléments de la culture grecque aux empires arabes Omeyyade et Abbasside à Damas et Baghdad respectivement. Les élites chrétiennes eurent un rôle important dans l’administration, la vie intellectuelle, la médecine, et les autres sciences dans ces empires.

De même et dès les dix septième et dix huitième siècles, l’expansion des ordres religieux européens en Orient dans le sillage de la Contre Réforme Catholique se traduisit par des écoles que ces ordres y fondent. Les communautés chrétiennes orientales connurent une renaissance culturelle importante, fondèrent leurs écoles, leurs imprimeries, modernisent la langue arabe. Cette renaissance fut aussi favorisée par l’expansion des églises issues de la Réforme et venues de Grande Bretagne et des Etats-Unis. Les imprimeries, les maisons d’éditions, les revues, les livres, les dictionnaires fleurissent.

Ils constituent une base importante de la renaissance culturelle arabe (la Nahda) de la fin du dix neuvième siècle. Cette renaissance fut accompagnée d’une renaissance politique : éclosion du nationalisme arabe, et de divers patriotismes égyptien, libanais, palestinien, syrien, et des mouvements d’émancipation de l’Empire Ottoman avant 1918, et de lutte contre la domination britannique et française entre les deux guerres mondiales, et enfin lutte contre la colonisation de la Palestine par le mouvement sioniste. Dans toutes ces luttes, des élites chrétiennes jouent un rôle de premier plan : en Syrie, en Palestine, au Liban, en Egypte au cours du XXème siècle. Des chrétiens co-fondèrent le Parti Wafd en Egypte (Makram Ebeid et Salama Moussa), le Parti de la Renaissance Arabe socialiste (Baath du Syrien de Michel Aflak), le Mouvement des Nationalistes arabe (le Palestinien Georges Habache), le Parti Nationaliste Syrien (le Libanais Antoun Saadé), les divers mouvements communistes (les Libanais Fouad Chemaly et Youssef Yazbeck, Antoun Maroun en Egypte, Fahd en Irak). Les paysans chrétiens furent l’avant garde des mouvements de révolte contre les notables et les exactions du fisc ottoman, au Liban et en Syrie. Nombre de chrétiens palestiniens fondèrent et dirigèrent des mouvements palestiniens de résistance armée à l’expansion israélienne (Georges Habache et le FPLP, Nayef Hawatmeh de FPDLP, Kamal Nasser et d’autres dans le Fateh…)

Ces élites intellectuelles et politiques chrétiennes adoptèrent des idéologies libérales, nationalistes, socialistes et laïques venues d’Europe. Cela aussi parce que ces idéologies modernes leurs permettent de sortir de leur statut inférieur de « dhimmi » et de contribuer à bâtir une société égalitaire basée sur la citoyenneté ou l’appartenance à la patrie prime sur les autres appartenances.

Au niveau économique, les élites chrétiennes jouent un grand rôle dans tous les secteurs modernes de l’économie, favorisées par leur niveau d’instruction du à la densité des écoles fondées par les religieux occidentaux et leurs émules arabes, et à partir de la par leurs contacts plus faciles avec les entreprises occidentales en expansion dans notre région. Des chrétiens jouèrent au XIXème et XXème siècle un rôle novateur dans l’agriculture en modernisation, dans l’industrie manufacturière qui se créa, dans le commerce extérieur et intérieur, dans les secteurs bancaire, des assurances, du transport, du tourisme….

De même ils eurent un rôle non négligeable dans les mouvements syndicaux au Liban, en Syrie, en Palestine, en Egypte et en Irak.

Finalement des Arabes Chrétiens brillèrent dans les domaines de la littérature arabe, de la musique, de la chanson, de la danse, des arts scéniques, de l’édition, et de la presse arabe, dont ils fondèrent les premiers grands titres en Egypte, au Liban, en Syrie et en Palestine. Ils jouent actuellement un rôle remarquable dans l’audio visuel, surtout au Liban et dans le Golfe…

Cette période favorable se poursuivit avec les indépendances arabes à partir des années 1940 et jusqu’à la fin des années 1950, avec la montée du nationalisme arabe visant à l’indépendance politique et économique des Arabes. Les mouvements islamistes considérés comme rétrogrades étaient réprimés par les régimes en place en Egypte en Syrie et en Irak. Ces mouvements étaient aidés en sous main par des pays occidentaux et leurs alliés arabes (Arabie Saoudite et Jordanie surtout), dans le cadre de la guerre froide. La défaite arabe (Egypte, Syrie, Jordanie) devant Israël, porta un coup décisif au mouvement arabe d’indépendance politique et économique. Elle favorise la montée des mouvements islamistes, qui s’inspirent d’une conception rigide et passéiste, de l’Islam comme credo politique. Ces mouvements furent favorisés par les pays occidentaux (USA et Grande Bretagne surtout), des pays arabes conservateurs (Arabie Saoudite surtout, Jordanie et autres pays du Golfe) et la régime de Sadate en Egypte après 1970. Ces politiques occidentales visaient à affaiblir les régimes et mouvements politiques arabes nationalistes et socialisants alliés de l’URSS. En Egypte et en Syrie surtout à la misère des populations et leur désespoir politique après la défaite de 1967 favorisèrent aussi ces mouvements.

L’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques en 1979, amène les USA, l’Arabie Saoudite et le Pakistan à armer, financer et aider des mouvements islamistes armés pour lutter contre les Soviétiques. C’est dans ce sillage qu’Oussama Ben Laden fut recruté et aidé. On en connaît les conséquences. Cette invasion avait été précédée par la révolution islamique en Iran en 1978 et 1979, qui fut à ces débuts favorablement accueillie en Occident (Neufle le Château en France fut le refuge et le foyer de rayonnement de Khoumeini expulsé de l’Irak bassiste et laïc).

En Palestine, les Israéliens favorisent le mouvement islamiste Hamas pour mieux lutter contre le Fatah et les mouvements laïcs de résistance.

La fin de la guerre froide en 1990, la guerre de Koweit et l’implantation militaire des USA au Golfe et dans la péninsule arabique, de même que l’affaiblissement de régimes nationalistes socialisants après 1967, firent que ces mouvements changèrent d’ennemis. L’ennemi soviétique et ses alliés locaux furent remplacés par le nouvel occupant américain et ses alliés locaux et occidentaux, malgré l’aide que tous ceux-ci prodiguaient aux « moudjahiddines » puis aux Talibans en Afghanistan au cours des années 1990.

Les attaques contre des cibles américaines en Afrique de l’Est et les bombardements des bases des talibans en Afghanistan par les USA et les attentats de New York du 11 septembre 2001 illustrent ce retournement de situation.

Cette situation facilite à l’Administration néo -conservatrice de Georges W Bush, l’invasion de l’Irak en 2003, sous prétexte d’armes de destruction massive qui se révélèrent inexistantes par ailleurs.

Les mouvements « salafistes » « jihadistes » formant le réseau Al- Kaida prennent de l’ampleur et proclament la guerre sainte contre les régimes « mécréants » des pays musulmans et les « infidèles ». Deux abcès de fixation sont particulièrement visés :

– La Palestine ou se développent les Mouvements Hamas et Jihad Islamique, qui gagnent les élections vu la corruption de l’Autorité Palestinienne. Les Arabes chrétiens de Palestine pris entre le marteau de l’occupation israélienne depuis 1967 et l’enclume des mouvements islamistes, tendent à prendre le chemin de l’exil, réduisant la présence chrétienne sur terre ou naquit et vécut Jesus Christ, à une peau de chagrin.

– En Irak, les chrétiens qui n’étaient pas persécutés, par le régime de Saddam Houssein, furent la cible d’attentats terroristes revendiqués par des organisations de la nébuleuse Al-Kaida, subissent massacres et exactions. Beaucoup prennent le chemin de l’exil. Il faut aussi souligner qu’autant que les églises, un nombre impressionnant de mosquées et de cortèges religieux musulmans, chiites, et sunnites, subissent attaques terroristes et massacres en Irak. Des sources dignes de foi indiquent que certains de ces mouvements terroristes seraient infiltrés par des services de renseignements arabes et surtout israéliens. Ceci n’a rien d’étonnant vu la stratégie de « diviser pour régner » que pratique Israël au Moyen Orient, de l’Irak au Soudan, en passant par le Liban, et qui est facilitée par des structures sociales et mentales rétrogrades dans beaucoup de sociétés arabes.

– Une large réprobation se manifeste en Irak et ailleurs dans l’Orient arabe contre ces actes. Mais en Egypte sur un fond de réislamisation la société depuis 1970, fleurissent des mouvements islamistes radicaux et souvent violents. Les Coptes d’Egypte sont parmi leurs cibles préférées, comme le montre l’attentat contre une église copte à Alexandrie au jour de l’An 2010/2011. Il faut dire que les Coptes en Egypte sont particulièrement discriminés : exclus de certaines professions, ne pouvant accéder à de hauts grades dans la police, l’armée et l’administration publique ; ne pouvant construire ou réparer librement leurs églises, sous ou mal représentés au Parlement et au gouvernement. Les attaques terroristes contre les Eglises n’ont fait qu’exaspérer cette communauté chrétienne qui souffre déjà suffisamment par ailleurs. Ceci explique les réactions des Coptes. Certains aussi soupçonnent une implication israélienne dans ces opérations comme en Irak…..

Face à cela de larges secteurs éclairés de la société égyptienne se solidarisent avec les victimes : officiels religieux et civils, intellectuels, universitaires, artistes, journalistes, écrivains et personnes ordinaires. La nuit de Noël 2011, des milliers d’Egyptiens Musulmans ont entouré les Eglises Coptes célébrant les offices religieux, et y ont souvent participé montrant leur solidarité à leurs frères chrétiens. Solidarité réelle car ils risquaient d’être eux aussi les victimes d’attentats contre ces Eglises.
Dans les autres pays arabes : Syrie, Liban, Jordanie, une réprobation quasi minime de ces attentats émane tant des autorités politiques et religieuses que de la société civile.

Il faut ici souligner qu’en Syrie, en Jordanie et au Liban, les chrétiens des diverses églises vivent sans discrimination, pratiquent leur religion, leurs activités éducatives culturelles, économiques, sociales et politiques comme leurs concitoyens musulmans appartenant à diverses communautés.

Conclusion :

Ce « Moyen Orient » qui a été le berceau aussi bien du christianisme que de l’Islam et qui a connu de longues périodes de vivre ensemble entre les adeptes de ces religions est déchiré par des conflits politiques et sociaux :

1- Le conflit arabo – israélien du au fait que le peuple palestinien est arraché de ces terres ancestrales depuis 1948 et qu’Israël continue ce processus depuis 1967 en dépit des résolutions de l’ONU dont Israël ne fait guère cas.

2- Les conflits sur les ressources pétrolières et gazières de l’Orient Arabe et Iranien, qui se traduisent par le quadrillage de la région par des bases militaires occidentales et par l’invasion de l’un des plus riches pays en ressources pétrolières : l’Irak, en 2003 ; sous prétexte d’y trouver d’inexistantes armes de destruction massive.

3- La misère des populations arabes et la corruption de beaucoup des régimes en place amènent à des tensions sociales et politiques souvent dérivées vers des tensions interethniques, dont la source est l’accaparement des richesses par une minorité alors que la majorité vit dans une pauvreté croissante.

C’est dans ce contexte, que le vivre ensemble chrétiens et musulmans aujourd’hui au Moyen Orient, connaît des difficultés majeures, qui ne pourraient être dépassées que par une résolution juste et équitable de ces conflits, un retrait des interventions étrangères, une mise en valeur des richesses de cette région au bénéfice de sa population en général et de ses secteurs les plus défavorisés en particulier, et enfin par la généralisation d’une culture valorisant la diversité et la citoyenneté.

boutros.labaki@gmail.com

* Beyrouth

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