On définit parfois l’entropie comme la mesure du désordre d’un système, ou de sa prédictibilité. Il s’agit d’une notion selon laquelle « dans tout processus, l’entropie reste constante ou augmente, et, si elle augmente, le processus est irréversible ». L’irréversibilité s’explique par le fait que le nombre d’états possibles au final est si grand qu’il ne peut y avoir de « retour en arrière » et le désordre résultant ne peut que s’amplifier.
Henri Poincaré a été le premier à remettre en cause la manière d’interpréter le hasard, et définit pour la première fois la « sensibilité critique aux conditions initiales ». Il a ainsi jeté les premiers jalons de ce qui allait devenir la « théorie du chaos ».
Un système chaotique est un système complexe régi par une grande variété de paramètres. Son comportement est imprévisible bien que ses composantes soient souvent gouvernées par des lois simples, connues, déterministes.
L’évolution de la crise libanaise fournit une illustration parfaite et vivante du système chaotique tel que défini par Poincaré. Depuis l’assassinat de Rafic Hariri, l’entropie du système est allée en s’amplifiant et le nombre de paramètres entrant en jeu rend impossible toute prévision basée sur une « analyse logique » de la situation.
L’existence de deux camps aux contours bien définis et agissant selon des logiques parfaitement claires et antagonistes, laisse croire que la bataille ne pourra se terminer que par un vainqueur et un vaincu. Ce n’est qu’illusion, car la seule évolution possible des systèmes chaotiques mène vers le désordre. En un mot comme en plusieurs, cela se traduira inévitablement par la guerre civile.
Ceux qui caressent l’espoir d’une victoire nette de leur camp sur celui de l’adversaire se fourvoient complètement. Une telle victoire suppose en effet l’anéantissement de l’adversaire, ce qui par définition est impossible.
Si les protagonistes ont plus ou moins réussi jusqu’à aujourd’hui à « contenir » les paramètres macroscopiques du chaos, ils savent parfaitement qu’ils n’ont aucune prise sur les « forces souterraines » qui animent la masse de leurs partisans. Nul ne peut contrôler un volcan entré en ébullition. En revanche, ce que chacun peut faire, c’est attendre l’explosion et assister avec une délectation morbide à l’écoulement des laves incandescentes.
Où vas-y nous ?
Cette interrogation à la forme biscornue, mais délicieusement baroque, je l’emprunte à un fier-à-bras libanais qui, débarquant un jour à Paris et ne possédant que quelques rudiments de français, n’a pu trouver comme réplique, pour contrer un voyou qui le regardait avec un mépris moqueur, que cette traduction (où vas-y nous) dans l’urgence de sa bravade libanaise habituelle: « Lwayn Rayheen ? »
Lwayn Rayheen. C’est aussi la question que se posent aujourd’hui tous les Libanais qui, tout en ne sachant pas y répondre, affirment quand même avec une belle unanimité : On ne sait pas où l’on va, mais on y va tout droit !
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