Dans les colonnes du quotidien L’Orient-Le Jour, le citoyen ordinaire a pu lire en ce jeudi 9 août une mise au point de la Sûreté Générale (SG) libanaise contestant l’article du journaliste Michel Hajji-Georgiou (MHG) du 7 août dernier à propos des démêlés de Wissam Tarif (WT), représentant de l’ONG internationale Aavaz avec la dite SG qui aurait saisi son passeport à l’aéroport de Beyrouth en vue de vérifications administratives, a-t-on appris ultérieurement. L’article du journaliste MHG relate les faits et lance un cri d’alarme contre toute dérive sécuritaire de nature à entraver le libre exercice des droits fondamentaux de l’homme sur le territoire de la république libanaise, auteur de la Déclaration de 1948 en la matière. MHG avait cru utile de mettre en parallèle l’incident survenu à WT et les vexations, filatures, harcèlements, dont aurait souffert feu Samir Kassir, de son vivant, de la part des services de sécurité. En d’autres termes, l’article du 7 août attire l’attention sur le danger qui guette les libertés publiques au cas où la SG adopterait des méthodes similaires à celles qui avaient cours sous l’occupation syrienne.
Le citoyen ordinaire ne peut qu’appréhender une telle dérive s’il juge la SG aux réalisations récentes de ses services de la censure, bureau anachronique dont la raison d’être, plus que discutable, est de permettre à des policiers de décider arbitrairement ce que tout un chacun peut lire ou voir. Les bévues et scandales récents en matière de censure cinématographique et littéraire sont loin d’être à l’avantage des services du Général Abbas Ibrahim.
La mise au point de la SG, publiée ce matin, suscite chez le citoyen ordinaire mais inquiet une série d’interrogations auxquelles il souhaite une réponse claire. Ainsi par exemple :
• Est-ce que la SG est un corps constitué au sein de l’Etat, bénéficiant de l’autonomie et de la personnalité juridique ? Ou est-elle simplement une des multiples institutions étatiques de l’administration du service public, relevant de la responsabilité de l’autorité politique qui la coiffe, en l’occurrence le Ministère de l’Intérieur ?
• Comment se fait-il qu’un fonctionnaire, en principe tenu à l’obligation de réserve, puisse entrer en polémique directe, sur la place publique, afin de contester les dires d’un citoyen-journaliste ? N’y a-t-il pas là une dérive administrative sous forme d’excès de pouvoir ?
• Par ailleurs, les responsables de la SG libanaise ne savent-ils pas qu’ils sont au service du citoyen et de l’Etat et non l’inverse ? Ne savent-ils pas que c’est le citoyen qui est supposé surveiller et contrôler « son » service public et non l’inverse.
• En outre, les fonctionnaires de la SG libanaise connaissent-ils le contenu de l’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui stipule clairement : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Le procédé choisi par la SG libanaise est pour le moins contestable. Cette administration n’a pas à présumer de la conviction intime du juge pénal comme elle le fait : « La justice pourra notamment vérifier s’il s’agit d’une préparation de l’opinion publique à un attentat contre M. Tarif pour en accuser ensuite la SG ». Une telle insinuation, venant de la part d’une administration aussi sérieuse et rigoureuse est de nature à lui faire perdre toute crédibilité car de tels propos relèvent, tout au plus de commérages pour ne pas aller jusqu’à parler de détournement ou d’excès de pouvoir.
Mais de tels propos contiennent une accusation implicite qu’on appelle « délit d’opinion ». Ainsi la SG s’interroge publiquement sur l’éventualité d’un futur assassinat de Wissam Tarif. De manière préventive, elle présuppose et soupçonne le journaliste MHG de machinations criminelles : monter l’opinion en vue d’accuser la SG si jamais une telle éventualité se réalise. En principe, de tels propos tenus en public s’apparentent à un procès d’intention ou à ce qui est connu sous le nom de diffamation calomnieuse si on s’en tient aux faits. Mais si on prend la chose quant à la forme, ces propos constituent un avatar des méthodes du Grand Inquisiteur qui, s’appuyant sur l’unique soupçon arbitraire, pouvait envoyer des gens sur le bûcher.
Nous savons que les esprits sont en ébullition à cause des bouleversements syriens qui jettent l’émoi chez les partenaires libanais des services sécuritaires voisins. Le citoyen ordinaire invite son administration publique à demeurer sereine et, surtout, à ne pas oublier qu’il existe encore au Liban une société civile qui observe, qui regarde, qui contrôle et qui parle, n’en déplaise à tous les inquisiteurs du pays.
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*Beyrouth