« Le pape François gêne la mafia. Si les parrains en ont le pouvoir, ils tenteront de l’arrêter. Le souverain pontife est en danger. » C’est Nicola Gratteri, procureur de Reggio de Calabre, qui l’affirme mercredi matin dans le quotidien Il Fatto. Grand juge anti-mafia, spécialiste de la ‘Ndrangheta – la mafia calabraise désormais la plus puissante de la péninsule – vivant depuis 1989 24 heures sur 24 sous escorte, Gratteri est un homme habituellement extrêmement discret. Son cri d’alarme n’en est que plus inquiétant.
Selon le magistrat, c’est la politique de transparence imposée par le pape à l’Institut pour les oeuvres de religion (Ior), la banque du Saint-Siège, qui suscite la colère des parrains. « François veut nettoyer les institutions financières du Vatican. Les mafieux qui recyclent l’argent de la criminalité organisée grâce à des connivences avec l’Église s’inquiètent. J’ignore si les parrains ont les moyens de faire quelque chose contre le pape, mais je sais qu’ils y pensent. Le danger est réel. »
« Mafia et religion vont de pair »
De quoi donner des sueurs froides aux services de sécurité du Vatican. En effet, dans sa volonté d’incarner l’évêque de Rome, pasteur parmi ses brebis, le souverain pontife a fait sauter toutes les mesures de sécurité. Chaque audience du mercredi se transforme en bain de foule durant lequel le pape est en contact direct avec des centaines de pèlerins. La place Saint-Pierre est aujourd’hui plus dangereuse que le 13 mai 1981, le jour où Ali Agca tira sur Jean-Paul II…
En plus de sa lutte contre le blanchiment d’argent, le pape François a appelé les mafieux à la conversion. Il s’attaque ainsi aux relations ambiguës entre hommes d’honneur et hommes d’Église, mafia et religion. « Dans toutes les planques de la ‘Ndrangheta, j’ai trouvé des images de la vierge de Polsi [une vierge vénérée dans l’Aspromonte, berceau de la criminalité organisée calabraise, NDLR]ou de l’archange Michel, raconte le juge Gratteri. Les rites d’initiation des nouveaux mafieux ont des références à la religion et les « picciotti » (soldats de la mafia) prient avant de commettre un assassinat. ‘Ndrangheta et religion vont de pair. »
Une excommunication tardive
Parfois, ce sont les curés eux-mêmes qui, dans les terres de la mafia, semblent se ranger du côté de la criminalité. Ainsi, il a fallu un attentat contre les vergers de l’évêché pour que l’évêque de Locri se décide à excommunier les mafieux, alors que, les années précédentes, la ‘Ndrangheta avait commis des centaines d’assassinats sans qu’il réagisse. La fille de Pasquale Candello, alias « le Suprême » et parrain des parrains de Reggio de Calabre, a reçu la bénédiction papale pour son mariage. « Peut-être qu’à Rome on ignorait qui elle était, précise Nicola Gratteri, mais à Reggio, tout le monde le savait. »
Toujours à Reggio de Calabre, l’évêque a crié à l’erreur judiciaire lorsqu’un « capobastone » (chef de clan) a été condamné. Dans les villages, certains prêtres fréquentent régulièrement les mafieux, leur donnant ainsi une légitimation auprès de la population. « Ces prêtres nous affirment qu’ils rencontrent des hommes d’honneur pour les remettre dans le droit chemin, explique encore le juge. Je comprends que l’Église accueille les repentis sincères. Mais dans la plupart des cas, les mafieux continuent à tuer ou à importer des tonnes de cocaïne. C’est trop facile. »